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La multiplicité, la récurrence et la violence des conflits civils en Afrique sont des phénomènes souvent abordés, mais qui demeurent aujourd’hui l’objet d’opinions et de lectures fort divergentes au sein de la communauté scientifique. Cet ouvrage collectif rédigé sous la direction d’Arsène Brice Bado recense diverses hypothèses quant aux causes et aux dynamiques des guerres civiles en Afrique. Adoptant une approche holiste qui tient compte de la multitude de facteurs et de dynamiques qui déterminent un tel phénomène social, l’ouvrage se distancie des approches théoriques déterministes et simplificatrices. Il cherche plutôt à mettre en évidence les particularités des conflits africains de l’après-guerre froide. Là est tout l’enjeu de cet ouvrage dont la méthodologie se fonde sur une articulation de facteurs structurels, d’éléments amplificateurs et de phénomènes déclencheurs. Si l’on applique ce modèle aux conflits africains, la faiblesse institutionnelle de l’État constituerait par exemple un facteur structurel sur lequel se grefferaient des éléments amplificateurs, tels que la contestation des résultats d’un scrutin électoral, et des éléments dits déclencheurs, qui dans un contexte différent n’auraient aucunement réussi à provoquer un conflit civil ; on peut évoquer la brutalité policière à l’égard de manifestants.
Les neuf chapitres de cet ouvrage se structurent autour de trois sections. Les trois premiers chapitres sont une introduction à l’analyse et à la théorisation des conflits. Ils mettent en évidence les facteurs explicatifs privilégiés dans la majorité des analyses des conflits africains, à savoir les facteurs politiques, identitaires, économiques, socioculturels, institutionnels et géopolitiques. Dans le même temps, leurs auteurs avancent qu’une approche plurielle et transdisciplinaire, qui tient compte de la diversité des causes à l’origine de conflits, est nécessaire à une analyse objective et à l’élaboration d’initiatives préventives adaptées. Ils replacent les décisions et les choix des acteurs au coeur des dynamiques de conflictualité tout en considérant l’héritage historique, les territorialités et les éléments systémiques nécessaires au déclenchement de la violence. Une grille d’analyse de l’interface de conflictualité est ainsi établie, illustrant la manière dont les tensions s’articulent au niveau d’agrégats de facteurs de conflits, dans des contextes qui sont particuliers et marqués par des séquences temporelles menant au conflit en tant que tel.
Les trois chapitres qui suivent traitent de problématiques conflictuelles spécifiques. Dans le chapitre 4, Arsène Brice Bado applique le cadre analytique introduit dans les trois premiers chapitres de l’ouvrage au conflit que connaît la République centrafricaine. Il met en avant l’enchevêtrement de crises tant nationales (politique, démocratique, économique et sécuritaire) que régionales, qui constituent le complexe conflictuel centrafricain. Dans le chapitre qui suit, Marie Gagné traite de la problématique des acquisitions de terres à grande échelle et propose une analyse objective d’un phénomène qui reste majoritairement porté par les organisations non gouvernementales et les milieux militants. Au moyen d’une revue de littérature équilibrée et bien étoffée, l’auteure relève les incohérences et insuffisances théoriques de la littérature existante sur le sujet, ainsi que le manque de fiabilité des données et l’absence de définition consensuelle du phénomène. Le rôle des acquisitions de terres à grande échelle dans les conflits fonciers et civils est-il majeur ou négligeable ? C’est une question similaire que pose le chapitre suivant qui s’interroge sur l’instrumentalisation de l’appartenance ethnique dans les conflits civils africains. Emmanuel Mabou y démontre que, lors de l’éveil démocratique des pays africains, les médias et les pouvoirs politiques ont façonné la réalité à l’aune de logiques identitaires, usant de la force coercitive et du devoir moral de solidarité que confère l’attachement ethnique dans leur conquête du pouvoir politique et d’avantages économiques.
Enfin, le troisième ensemble, qui conclut l’ouvrage, traite des conflits civils africains dans leurs dimensions sécuritaires régionale et internationale. Bien que l’analyse du rôle de l’Union africaine et des communautés économiques régionales dans le système de résolution de conflits sur le continent ne soit pas particulièrement positive dans son ensemble, Guy Marcel Nono considère que l’espoir est permis quant à la confiance que les États placeraient dans l’Union africaine comme meilleur moyen de réalisation de leurs besoins respectifs et communs. L’implication de l’Union africaine et la collaboration des États africains dans la résolution des conflits sur le continent sont ainsi perçues comme des moyens d’approfondir l’intégration régionale et économique dans un contexte pacifique à la condition que davantage de moyens et de matériel y soient consacrés. Enfin, la problématique des conflits identitaires revient dans le dernier chapitre, qui analyse la mise en pratique de la théorie du droit international dans la prévention des conflits génocidaires. Dans ce chapitre, Tohouindji Christian Hessou s’intéresse en particulier à l’obligation positive d’influence face aux protagonistes d’un potentiel génocide, obligation qui incomberait, en premier lieu, aux grandes puissances. La question fondamentale des frontières entre le respect des principes westphaliens de non-intervention et de non-ingérence, d’une part, et l’obligation positive de diligence et d’action préventive face au risque de génocide, d’autre part, est abordée du point de vue de la légalité internationale et un cadre théorique d’analyse clair et circonstancié est dressé.
L’ouvrage se conclut par une grille d’analyse des facteurs de conflits armés dans laquelle les divers facteurs économiques, politiques, institutionnels ou sociaux sont présentés dans leur qualité d’éléments structurels, amplificateurs ou déclencheurs de conflit. Cette grille d’analyse, loin de prétendre fournir un manuel typologique des différents facteurs de guerres civiles sur le continent africain, a l’avantage d’offrir une vision globale des enjeux auxquels doivent faire face les États africains. Par cette approche, l’ouvrage contribue à la recherche pour une meilleure épistémologie et méthodologie de l’étude des guerres civiles qui tend vers l’objectivité en tenant ainsi compte des différentes lectures contradictoires d’un même fait social. Le rôle central de l’historicité, de la géographie et de l’action humaine est replacé au coeur de l’analyse, la conclusion rappelant en effet que « tout événement peut devenir un catalyseur de conflit » (p. 184).
L’exposé critique que présente cet ouvrage riche et bien documenté lève toute une série de présupposés normatifs et théoriques qui portent préjudice à l’étude des conflits africains et, par conséquent, aux efforts et aux moyens qui sont consacrés à la prévention, à la gestion et à la résolution de ces derniers. À l’heure où une série d’échéances électorales se préparent à jalonner la vie politique africaine dans les semaines et les mois à venir, un ouvrage comme celui-ci offre un certain nombre de clés de lecture des enjeux politiques et sécuritaires du continent. Dans l’ensemble, la langue accessible, mais non moins précise et rigoureuse de cet ouvrage en fait une lecture intéressante pour toute personne cherchant à comprendre les ressorts d’un continent complexe et souvent mal connu. S’il existe déjà une littérature prolifique sur les guerres civiles en Afrique, que ce soit en français ou dans la langue de Shakespeare, cet ouvrage s’en distingue par son approche plus épistémologique et méthodologique. Bien que le livre soit enrichi de plusieurs grilles d’analyse, de tableaux récapitulatifs et de schémas, l’absence d’index rend la recherche d’informations plus difficile pour le lecteur. Enfin, il est dommage que de nombreuses erreurs typographiques se soient glissées dans le texte.