Depuis la fin de la guerre froide, les guerres intraétatiques ont pris une ampleur qu’il devenait de plus en plus difficile d’ignorer. Ces guerres « nouvelles » ont d’ailleurs apporté un nouveau souffle aux recherches menées sur les conflits. Au cours des années 2000, les opérations militaires en Afghanistan et en Irak effectuées par les Américains et leurs alliés ont eu le même effet sur l’intérêt des universitaires pour l’étude des stratégies de contre-insurrection. La nouvelle collection de Routledge, Studies in Insurgency, Counterinsurgency and National Security, répond à cet engouement. Le chapitre de Mumford et Reis établit la pertinence du concept de warrior-scholar pour étudier les stratégies de contre-insurrection. Celui-ci permet d’illustrer les différentes tensions existant entre le raisonnement derrière les principes liés aux tactiques ou aux stratégies de contre-insurrection et à leur mise en oeuvre (p. 1 et 3). Cette conception agit aussi comme un critère de sélection des théoriciens étudiés. Dans les faits, les théoriciens ont soit davantage été des théoriciens avant d’être des hommes de terrain, soit plutôt été des hommes de terrain avant d’être des théoriciens (p. 6-7). Ce concept opératoire a pour finalité d’alimenter le débat sur la contre- insurrection en relevant les connexions entre les dynamiques liées aux opérations de contre-insurrection et les solutions avancées par les warrior-scholars (p. 13-15). Somme toute, Mumford et Reis restent évasifs sur la méthode permettant d’analyser le parcours des warrior-scholars pour comprendre son effet sur sa pratique et sa théorie. L’absence de méthode explicite et cohérente engendre son lot de problèmes. Tout d’abord, l’emploi du concept de warrior-scholar varie beaucoup d’un chapitre à l’autre. Certains auteurs l’utilisent comme un fil conducteur pour analyser la pensée du théoricien étudié et son parcours. En contrepartie, d’autres ne se servent du concept que pour catégoriser le théoricien à l’intérieur d’une section ou de la conclusion. Autrement dit, le concept est utilisé de manière superficielle ou il est évacué. Dans une autre optique, certains choix d’auteurs ou de formes sont discutables. Le traitement entre la pensée du théoricien et son contexte propre est souvent inégal. Le parcours de vie n’apparaît pas toujours comme un élément révélant des éléments substantiels pour interpréter la réflexion du théoricien. Par exemple, il nous apparaît inutile de rapporter à plusieurs reprises le scandale sexuel autour du général Petraeus pour discuter de son influence ou des dynamiques des conflits en Irak et en Afghanistan. Aussi, deux des chapitres de l’ouvrage se penchent sur plus d’un warrior-scholar à la fois. Ce choix des auteurs est déroutant pour le lecteur, pour qui il devient difficile de déterminer la contribution propre à chaque théoricien. Pour conclure, voici quelques commentaires sur les chapitres qui ont retenu notre attention. Le chapitre explorant la transformation de la stratégie de contre-insurrection au sein des marines américains offre une lecture riche et heuristique sur le fonctionnement de ce corps d’armée légendaire. Malgré notre critique précédente, le chapitre sur Petraeus contient une thèse claire et un argumentaire démontrant bel et bien l’influence de ce général sur le terrain. Le chapitre consacré aux penseurs français propose au lecteur des questionnements pouvant être réutilisés dans d’autres recherches sur la stratégie de contre-insurrection. Finalement, l’absence de conclusion offrant une synthèse et une discussion des contributions des auteurs ainsi que des pistes de recherche nuit fortement à notre appréhension de l’ouvrage dans son ensemble.
The Theory and Practice of Irregular Warfare. Warrior-Scholarship in Counter-Insurgency, Andrew Mumford et Bruno C. Reis (dir.), 2014, New York, Routledge, 161 p.[Notice]
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Philippe Dumas
Doctorant, École nationale d’administration publique, Montréal, Canada