Intuitivement, plusieurs chercheurs dans le domaine des études du développement international postulent que la corruption nuit au développement et que le phénomène est répandu. Depuis 1993, l’organisation Transparency International tente de documenter quantitativement la gravité de la corruption dans le monde. Cependant, pour aller au-delà de l’intuition, des données empiriques plus qualitatives sont aussi nécessaires. L’ouvrage Corruption, Grabbing and Development, sous la direction de Tina Søreide et Aled Williams en collaboration avec le U4 Anti-Corruption Resource Centre du Chr. Michelsen Institute (Norvège), est un intéressant et inspirant recueil de courtes études de cas sur l’accaparement des ressources, ses effets en matière de développement, les diverses manières de le pratiquer et des pistes de solutions adaptées aux cas documentés. Søreide et Williams réunissent une diversité d’auteurs – praticiens et chercheurs – qui contribuent à présenter les divers aspects de l’accaparement à l’aide de données empiriques et de recherches appuyées sur un travail de terrain significatif. L’objectif central du livre est de démontrer que les stratégies standardisées de lutte contre la corruption et l’accaparement ne peuvent s’appliquer efficacement partout et en tout temps. Les études de cas proposées mettent l’accent sur la complexité et la spécificité de chaque cas d’accaparement dans un contexte bien particulier. Tous les auteurs s’entendent sur les causes. L’accaparement résulte, selon eux, des asymétries d’information, d’une allocation floue des responsabilités, de systèmes déficients de reddition de comptes, d’un marché dysfonctionnel ou d’échecs de coordination. Leurs recommandations sur la façon de réduire l’accaparement varient toutefois de manière importante. La définition du concept clé de l’ouvrage peut paraître exagérément large. Pour les auteurs, l’accaparement a lieu si quelqu’un s’empare de quelque chose sans y avoir droit ou bien s’il s’approprie plus que sa juste part, telle qu’elle est déterminée formellement, informellement ou tacitement par la société (p. 1). Dans ce cadre, la corruption est une forme spécifique d’accaparement où des décideurs reçoivent des pots-de-vin pour influencer la législation ou l’allocation de ressources publiques. Outre la corruption, d’autres pratiques sont des formes d’accaparement : le vol, le détournement de fonds, la fraude, l’escroquerie, etc. Søreide et Williams rappellent aussi que si l’accaparement peut, bien évidemment, être illégal, il peut aussi désigner un comportement immoral ou non respectueux des normes d’équité en vigueur dans une société. Les seize études de cas sont regroupées par catégories conceptuelles. La première catégorie réunit les cas qui expliquent l’accaparement par les caractéristiques spécifiques d’un secteur économique ou d’une fonction étatique. Jill Wells décrit, par exemple, certaines caractéristiques de l’industrie de la construction, considérée dans son ensemble, qui en font un secteur vulnérable à l’accaparement. Muriel Poisson analyse pour sa part le cas de l’éducation aux Philippines, en Sierra Leone et en Indonésie afin de montrer comment on peut capturer et détourner des ressources d’une fonction étatique. La deuxième catégorie s’attarde aux cas d’accaparement sur le plan sectoriel dans un contexte national spécifique. On délaisse l’aspect comparatif pour se concentrer sur des cas nationaux spécifiques : services policiers au Kenya (Andvig et Barasa), dynamique d’accaparement de terres au Malawi (Chinsinga et Wren-Lewis) ou perception frauduleuse de rentes du système d’assurance santé en Colombie (Hussmann et Rivillas). Les cas de la troisième catégorie portent non pas sur l’aspect technique ou individuel de l’accaparement, mais bien sur son aspect politique. Que se passe-t-il lorsque les acteurs politiques sont ceux qui accaparent les ressources ? Les auteurs s’intéressent à quatre cas : les élites politiques espagnoles (Bel, Estache et Foucart), bangladeshies (Inge Amundsen), angolaises (Lucy Corkin) et ougandaises (Helle et Rakner) qui ont en commun des pratiques d’accaparement qui s’érigent comme des composantes essentielles du système politique. Les acteurs …
Corruption, Grabbing and Development. Real World Challenges, Tina Søreide et Aled Williams, 2014, Northampton, Edward Elgar, 216 p.[Notice]
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Jano Bourgeois
Doctorant, Département de science politique, Université du Québec à Montréal, Canada