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Cet ouvrage collectif s’inscrit dans le cadre de la littérature traitant du régionalisme en Amérique du Nord. Il cherche à dresser un portrait du processus d’intégration lancé par l’Accord de libre-échange des Amériques (aléna) en 1994, en abordant plus particulièrement la question du développement des institutions régionales.
Tous les espoirs étaient permis lors de l’entrée en vigueur de l’aléna et des ententes parallèles en matière de travail et d’environnement. En effet, l’accroissement des échanges commerciaux et des investissements entre les trois pays nord-américains, par l’élimination des tarifs douaniers et la réduction des barrières non tarifaires, devait permettre la réduction des importantes inégalités économiques existant entre le Mexique et ses voisins du nord.
Or, deux facteurs ont pu exercer un impact sur l’évolution de l’intégration nord-américaine. D’abord, la Chine a surpassé le Mexique comme source d’importations et centre de production manufacturière. Ensuite, il y a eu une croissance des préoccupations sécuritaires depuis les attentats du 11 septembre 2001. L’intégration entre les États-Unis et le Canada a ainsi été plus importante que celle entre les États-Unis et le Mexique. À cela, il faut ajouter que la question de l’immigration illégale mexicaine aux États-Unis est devenue un enjeu ayant pris une telle ampleur politiquement qu’elle pourrait menacer à terme, selon les directeurs de l’ouvrage, le processus d’intégration à l’échelle nord-américaine.
Les contributeurs de l’ouvrage retiennent l’immigration, la sécurité et le développement comme les trois principaux enjeux auxquels doit se mesurer le processus l’intégration en Amérique du Nord. Ils avancent que le peu de coopération observé pour résoudre ces problèmes communs est dû à la déficience, voire à l’absence d’institutions régionales, dont les mandats iraient au-delà de la simple libéralisation des échanges. L’absence d’institutions trilatérales serait aussi révélatrice du manque de légitimité quant aux trois enjeux susmentionnés comme un ensemble commun de problèmes nécessitant des solutions communes. Dans cette perspective, certains contributeurs cherchent à démontrer que le vide institutionnel observé est parfois occupé par des forces politiques et sociales, alors que d’autres traitent plutôt des dilemmes que ce vide soulève.
L’ouvrage se divise en trois parties. La première aborde les déterminants de l’intégration. On y examine, entre autres, la place qu’occupe l’Amérique du Nord dans l’ensemble global des processus d’intégration régionale à l’échelle internationale. La deuxième partie est composée d’exemples de constructions institutionnelles pour répondre aux problèmes liés à la main-d’oeuvre, à l’immigration et à la santé. Notamment, on y fait part du bilan des institutions mises en place par l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (anact), mais, également, on y fait l’analyse de situations où, en l’absence d’institutions régionales, des acteurs locaux se sont engagés et ont cherché à apporter des solutions aux problèmes qui se posent. La troisième partie traite des enjeux liés à l’économie et à la sécurité et qui ont un impact sur le processus d’intégration, par exemple les arrangements en matière de sécurité, le commerce, et les écarts de salaires entre les pays du continent.
Le chapitre rédigé par Coral R. Snodgrass et Guy H. Gessner aborde un aspect intéressant du commerce nord-américain, soit le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement à la frontière canado-américaine et examine, plus spécifiquement, le processus décisionnel des gestionnaires d’entreprises qui, de façon quotidienne, façonnent la relation de commerce transfrontalière. Le constat est évident : depuis les attentats du 11 septembre 2001, le passage à la frontière pose de nombreux défis aux entreprises obligées de respecter les délais de livraison très courts du commerce intrafirme qui caractérisent l’industrie de l’automobile et l’industrie des produits alimentaires transformés. Bien que plusieurs programmes aient été mis en place, à fort coût pour les compagnies canadiennes, pour accélérer les passages de biens à la frontière – tel le programme fast qui accrédite les camionneurs approuvés traversant la frontière –, les auteurs constatent qu’il n’existe aucun cadre institutionnel global visant à assurer un bon fonctionnement des activités commerciales transfrontalières. En somme, les résultats de l’enquête démontrent que les gestionnaires américains déplacent le fardeau de la conformité en matière de sécurité vers les fournisseurs canadiens. Le problème pour les fournisseurs canadiens est qu’il n’existe aucune réponse claire quant à la voie à suivre pour maintenir les chaînes d’approvisionnement. Ainsi, pendant que les décideurs politiques cherchent à créer des institutions ou à concevoir des programmes pour faciliter le commerce transfrontalier dans un contexte sécuritaire élevé, les gestionnaires canadiens prennent les décisions qu’ils croient nécessaires pour poursuivre leurs activités. Cela implique parfois le déménagement d’usines vers les États-Unis.
Les contributeurs de l’ouvrage ont eu raison d’identifier l’immigration, la sécurité et le développement comme les principaux enjeux de l’intégration nord-américaine. La démonstration y est clairement faite. Cependant, à la lumière de l’actualité nord-américaine, la question environnementale aurait également pu être mise en avant. En effet, depuis l’arrivée de Barack Obama à la présidence américaine en 2009, la question des changements climatiques occupe une place centrale dans le discours officiel. L’importance de cet enjeu peut être illustrée par tout le débat entourant l’autorisation pour la construction aux États-Unis du pipeline Keystone xl qui a envenimé, en quelque sorte, les relations canado-américaines. La prise en compte de cet enjeu aurait notamment été une occasion de faire l’analyse des institutions et des mécanismes mis en place par l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (anace).
Il s’agit, finalement, d’un ouvrage pertinent et d’actualité qui saura intéresser tout universitaire ou professionnel désireux d’approfondir la question du bilan et des écueils de la construction institutionnelle en lien avec le processus d’intégration en Amérique du Nord.