Dans cette monographie sur la crise au Darfour, les auteurs s’attaquent de manière assez ambitieuse à deux aspects importants des études de conflit : les causes et la résolution. L’objectif premier (partie 1) est d’offrir une analyse multiniveau de la crise au Darfour de manière à aller au-delà des approches mettant uniquement en avant les facteurs identitaires. Le second objectif (partie 2) est de présenter les tentatives de consolidation de la paix (peacebuilding) et d’en discuter les limites et les perspectives futures. Comme le laisse entendre le sous-titre « The continuing crisis in Darfur », un autre objectif, plus normatif, est de montrer que la crise au Darfour se poursuit malgré une baisse relative des violences et sa faible couverture médiatique. La première partie, de loin la plus intéressante en raison de sa richesse empirique, s’attache à la compréhension de la violence au Darfour. Pour comprendre cette crise, une lecture mettant l’accent sur les seuls facteurs identitaires ne suffit pas. Selon les auteurs, la crise au Darfour se caractérise par une multitude de conflits de différents niveaux en interaction complexe. Le premier niveau est communautaire, le second se situe entre les élites locales, le troisième entre le centre et la périphérie, tandis que le quatrième est transfrontalier. À chaque niveau, la structure des relations entre les acteurs influence positivement ou négativement les dynamiques de violence du niveau en question. Par exemple, les inégalités structurelles entre le gouvernement central et les régions périphériques motivent certains groupes de la périphérie à créer des mouvements de rébellion, comme l’Armée de libération du Soudan (slm), afin de réclamer un redressement des inégalités. Les auteurs ajoutent que les relations entre acteurs à un niveau de conflit donné peuvent être influencées par des dynamiques externes propres à un autre niveau. Par exemple, les relations communautaires au Darfour – en plus d’avoir des dynamiques propres – sont fortement influencées par les politiques du gouvernement de Khartoum. D’un côté, afin d’affaiblir certaines tribus africaines, notamment les Fur impliqués dans l’Armée populaire de libération du Soudan (splm), le gouvernement central a adopté en 1994 de nouvelles divisions administratives conduisant à changer la représentation des Fur dans les compétitions locales. D’un autre côté, le gouvernement central a parfois habilement manipulé le besoin d’accès aux terres des groupes nomades de manière à s’assurer le soutien des tribus arabes. Dès lors, l’identité n’est pas en soi explicative des tensions entre tribus « africaines » et « arabes ». Il faut également prendre en compte le rôle du gouvernement de Khartoum. L’argument central des auteurs est donc que la complémentarité des différents niveaux de conflit réside dans la manière dont les comportements des acteurs s’influencent d’un niveau à un autre et affectent les relations entre parties en conflit. Dans un septième chapitre, les auteurs montrent que leur approche de « complémentarité des conflits » s’applique également au conflit opposant le Soudan du Nord et le Soudan du Sud. La seconde partie, bien moins approfondie, présente d’abord succinctement les réponses internationales à la crise au Darfour en organisant celles-ci en trois catégories : les actions gouvernementales, le rôle des organisations internationales et les missions de maintien de la paix (peacekeeping). Dans un dernier chapitre, les auteurs présentent différentes initiatives de paix qui s’attachent à résoudre un niveau particulier de conflits. Ils soulignent également que ces différentes initiatives ont eu, en certaines circonstances, des impacts négatifs sur les autres niveaux de conflit. Finalement, la conclusion revient de manière trop tardive et trop rapide sur les liens entre les différents niveaux de conflits. D’une part, on regrette que …
Violent Conflict and Peacebuilding. The Continuing Crisis in Darfur, Johan Brosché et Daniel Rothbart, 2013, coll. Routledge Studies in Peace and Conflict Resolution, Londres et New York, Routledge, 175 p.[Notice]
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Mélanie Cambrezy
Université de Montréal