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L’ouvrage recensé propose une analyse détaillée des problèmes liés à l’identité de la théorie des relations internationales (ri). Les ri, généralement considérées comme un projet euro-américain, continuent de refléter la culture et la pratique du monde occidental. Professeur de ri et spécialiste de l’Asie, Amitav Acharya se penche sur le sujet, tout en mettant l’accent sur des thèmes tels que la théorie non occidentale de ri, la diffusion des normes et les institutions régionales comparées dans la politique mondiale, le régionalisme en Asie, en Afrique et en Amérique latine. La problématique centrale du livre s’articule autour des questions suivantes : Jusqu’à quel point les approches traditionnelles de ri sont-elles capables de dépasser les frontières culturelles et d’expliquer les cas dans le monde non occidental ? Comment peut-on considérer les ri au-delà de l’Occident, dans une perspective issue du Sud ? Comment la discipline de ri se développe-t-elle dans les pays du Sud ? L’auteur vise à dépasser la perception dominante de ri, à élargir le contenu de la politique mondiale en dehors des préjugés établis et à comprendre ainsi les contextes variés du tiers-monde. L’histoire reste un outil crucial afin de bâtir une perspective historique plus globale, d’après Acharya. En effet, l’ouvrage a une portée à la fois théorique et empirique. Prenant appui sur une synthèse compréhensive à travers les concepts de base, l’auteur oriente le lecteur surtout vers la critique de l’ethnocentrisme dans les ri. De ce point de vue, l’ouvrage complexe d’Acharya sera d’une grande utilité pour les chercheurs intéressés par les théories critiques de ri qui vont au-delà du courant principal.
Comme le titre de l’ouvrage l’indique, l’auteur présente une analyse des trois concepts clés de ri que sont la puissance, les institutions et les idées. Le livre est divisé en quatre grandes parties : la théorie des ri et ses mécontentements ; la puissance, l’intervention et les désordres globaux ; les institutions, l’autonomie et les ordres régionaux ; les idées, l’agence et les cultures normatives. Les différents chapitres abordent les enjeux liés à la domination occidentale en matière de ri et son impact sur l’ordre international. Le choix de considérer les pratiques occidentales comme universelles et les pratiques issues du monde non occidental comme inférieures conduit à ce qu’Acharya appelle le « faux universalisme » des ri. L’auteur propose de corriger cette dérive à l’occidentale en insérant les voix subalternes au coeur de la politique mondiale. Par exemple, il cherche à élargir l’épistémologie de ri en ajoutant certains éléments culturels du bouddhisme et de l’hindouisme. Cela dit, au lieu de rejeter les théories principales, telles que le réalisme, le libéralisme et le constructivisme, en raison de leur ancrage à la philosophie occidentale, il vaut mieux apporter les nouvelles approches appartenant au Sud. Selon lui, la théorie internationale a davantage besoin d’inclure les expériences du monde non occidental, ce qui constitue le plus grand défi de la discipline. Le but de cet ouvrage n’est pas alors de lancer un nouveau grand débat, mais de s’interroger sur ce défi. Dès les premiers chapitres, on découvre une critique théorique du réalisme et du néoréalisme à travers les concepts de puissance et d’anarchie. Remettant en question la validité de l’équation « bipolarité-stabilité », Acharya s’oppose à la représentation de la guerre froide comme « une paix longue », en montrant clairement que cet argument n’est pas tenable pour la stabilité régionale dans le tiers-monde durant cette période. Critiquant par ailleurs l’institutionnalisme libéral et néolibéral, il étudie les modèles d’institutions régionales en dehors du cas de l’ue et de l’otan, dont l’asean (l’Association des nations du Sud-Est asiatique), conçue comme une « communauté imaginée ». Essayant d’établir un lien entre le multilatéralisme et l’hégémonie, vu le leadership occidental concrétisé en hégémonie américaine, l’auteur propose un autre type de multilatéralisme appelé « post-hégémonique ». Il s’interroge en effet sur le nouveau multilatéralisme du point de vue des puissances émergentes. De là, il avance que les réactions locales à la puissance représentent un facteur crucial pour construire les ordres régionaux, bien que la puissance importe d’une manière générale.
De plus, il existe une disjonction entre les outils d’analyse en ri fondée sur l’expérience occidentale et les pratiques du tiers-monde. Par exemple, la théorie de la stabilité hégémonique ou encore les théories sur la sécurité nationale n’arrivent pas à refléter la situation du Sud. Parallèlement, les théories de courant principal préfèrent nier l’agence des sociétés non occidentales. Par ailleurs, Acharya, intéressé par le rapport entre la subsidiarité et l’ordre régional, nous propose des concepts comme la « localisation constitutive » en ce qui concerne la diffusion des normes dans les régions comme l’Asie du Sud-Est. Il explore la diffusion des idées et des normes comme la non-intervention, la sécurité coopérative et l’intervention humanitaire. À cet égard, l’auteur étudie d’un point de vue constructiviste et critique les dynamiques de norme, l’agence des acteurs locaux et moins puissants du Sud. En effet, la diffusion des normes aux différents coins du monde est en lien avec la multitude des agents et la diversité des cultures normatives. Les tableaux et les figures sur ce sujet sont particulièrement éclairants. Outre ces analyses théoriques, Acharya examine plusieurs situations empiriques, telles que la « guerre contre le terrorisme », les institutions multilatérales, l’intégration régionale, les formes alternatives de régionalisme en Asie, en Amérique latine et en Afrique. Selon lui, le régionalisme comparé représente un véritable espace disciplinaire à redéfinir et approfondir.
En somme, l’ouvrage d’Acharya, qui présente une synthèse pertinente des enjeux entourant l’identité de la théorie de ri, est original et dégage de nombres pistes à explorer pour le futur de la discipline.