Introduction : Antimilitarisme et militarisation au Canada et au QuébecÉtat des lieux et tour d’horizon théorique[Notice]

  • Jérémie Cornut

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  • Jérémie Cornut
    Département de science politique, Université McGill, Bureau 329, Pavillon Leacock, 855, rue Sherbrooke Ouest, Montréal (Québec) H3A 2T7
    jeremie.cornut@mail.mcgill.ca

Historiquement isolé des conflits et du militarisme européens, le Canada a longtemps eu la réputation d’être un « paisible royaume ». La primauté du pouvoir civil sur le militaire semble par ailleurs définitivement acquise. Parler de militarisation et de militarisme au Canada peut donc paraître étonnant, voire iconoclaste : si la société américaine et la société israélienne, par exemple, sont souvent perçues comme étant militarisées, tel ne serait pas le cas du Canada, où prédomineraient plutôt le pacifisme et l’antimilitarisme. Il existe pourtant une indéniable tradition militaire canadienne qui remonte à l’époque de la colonisation et des guerres impériales britanniques. Par ailleurs, la société civile canadienne semble connaître depuis quelques années une militarisation renouvelée. Ainsi, dans l’espace public, les symboles militaristes se multiplient, comme en témoignent par exemple les billets de 20 $ émis en 2013 où figure le Monument commémoratif du Canada à Vimy en France, l’autoroute entre Trenton et Toronto rebaptisée en 2007 « autoroute des héros » et la campagne du « ruban jaune » en signe de soutien aux militaires canadiens et à leurs familles. En plus du jour du Souvenir le 11 novembre et d’autres commémorations organisées annuellement – en souvenir, par exemple, de la Bataille d’Angleterre –, les célébrations collectives pour rendre hommage aux militaires occupent une place grandissante. Des festivités pour le bicentenaire de la guerre de 1812, un festival culturel militaire à Montréal en 2012 et 2013, de même qu’un défilé militaire à Toronto pour le 60e anniversaire du jour de la Victoire en Europe en 2005, témoignent de cet engouement. Tout cela ne manque pas d’entraîner des réactions et des mobilisations de la part de mouvements antimilitaristes. Ce numéro spécial propose un tour d’horizon de la militarisation et de l’antimilitarisme au Canada et au Québec, en abordant ces thèmes sous l’angle de la politique étrangère canadienne. Autrement dit, il s’agit d’étudier le lien entre (anti)militarisme et politique étrangère, en s’intéressant aux conséquences internes d’une politique étrangère canadienne militarisée, à l’effet de la militarisation de la société sur la politique étrangère du Canada et aux forces qui encouragent ces tendances ou qui leur résistent. Ce numéro d’Études internationales contribue ainsi aux débats fréquents au Canada et au Québec touchant la question de savoir si le pays est militarisé, non militarisé, antimilitariste ou même en voie de militarisation accrue. Il faut d’emblée préciser que, si les termes – que l’on définira plus loin – « militarisation », « militarisme » et « antimilitarisme » ont une forte charge émotive et normative, les articles de ce numéro les utilisent comme catégories analytiques pour désigner différents phénomènes sociaux dans le but de mieux les comprendre, et non pas pour les dénoncer ou les approuver. Comme l’ont montré de nombreux commentateurs et polémistes, si le gouvernement Harper rompt avec ses prédécesseurs à bien des égards, il semble particulièrement innovant en réservant une place de choix au militaire (McKay et Swift 2012 ; Engler 2012 ; Richler 2012). Dès son élection à la tête du Parti conservateur en 2004, Harper annonce qu’il entend revaloriser l’image de l’armée canadienne. Cette promesse est confirmée dans la plateforme électorale conservatrice de 2006, et elle est progressivement mise en oeuvre à la suite de son élection, ce qui fait naître des résistances. Les articles de ce numéro spécial ne s’intéressent pourtant pas seulement à la période récente. Au contraire, plusieurs auteurs montrent que le militarisme et l’antimilitarisme ont des racines anciennes, qui précèdent l’élection du gouvernement Harper. Comment penser la militarisation et l’antimilitarisme dans les relations internationales et la politique étrangère canadienne ? La conception dominant les Relations internationales …

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