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En s’intéressant à la transformation de régions dans la politique internationale, c’est d’un sujet important que traite cet ouvrage issu du travail d’une équipe montréalaise rassemblée et coordonnée par T. V. Paul avec des contributions d’autres chercheurs renommés. Il s’agit d’un effort de lier approches théoriques des Relations internationales et dynamiques de coopération et conflit dans des régions.
Dans son introduction, T. V. Paul évoque (dans une note, p. 19) le manque jusqu’à présent d’études d’ordre régional dans une perspective postcoloniale ou poststructuraliste pour justifier le choix de ne retenir que les grilles de lecture réalistes, libérales et constructivistes. Et la focale de l’ouvrage est en premier lieu sur la sécurité – ce que montre le recours de Paul à la notion constructiviste de « communauté de sécurité », employée dans la contribution d’Amitav Acharya pour désigner une région aux relations pacifiées et explorée en profondeur par Vincent Pouliot.
Les réflexions des contributeurs sont foisonnantes. Deux questions paraissent cependant essentielles pour juger de l’apport et des limites de l’ouvrage.
La première est que les régions sont définies par Paul (p. 4) et Barry Buzan (p. 22-23) comme constituées d’États qui ont une proximité géographique et dont les relations sont de caractère distinct par rapport à leurs interactions avec d’autres acteurs internationaux. L’importance de puissances géographiquement externes est cependant évoquée souvent par les auteurs. Jeffrey Taliaferro, avec une approche réaliste néoclassique, s’intéresse en premier lieu à l’influence de deux sortes d’États sur l’évolution d’une région : les hégémons extérieurs et les « États pivots » potentiellement perturbateurs dans la région. Acharya compare l’influence souvent soulignée de normes et idées globales sur les régions avec le processus par lequel des idées partagées par des acteurs régionaux peuvent influencer le niveau global. Dans le cas de l’intégration européenne, John A. Hall souligne l’importance des États-Unis. Enfin, Pouliot se demande s’il est possible de considérer comme régions séparées l’Amérique du Nord et l’Europe intégrée, d’un côté, et l’espace de l’ancienne Union soviétique de l’autre (p. 212-221).
La deuxième question est de savoir quels sont les mécanismes de transformation des régions et à quel point ils sont généralisables. Après avoir testé le modèle libéral insistant sur la paix démocratique et l’interdépendance contre des explications réalistes, John R. Oneal souligne que c’est avant tout la libéralisation qui faciliterait la transformation de régions de conflit en zones de paix stable. Mais s’agissant de l’idée d’un modèle européen à suivre, Hall résume que la transformation de l’Europe « ne donne que peu de leçons pour le reste du monde » (p. 254), Buzan montre la spécificité européenne comme région « à création continue », tandis que Stéphanie C. Hofmann et Frédéric Mérand dressent le portrait d’une « Europe élastique » du fait de la multiplicité de ses institutions « dans un monde qui ne l’est pas » (p. 152-155).
Deux contributions appliquent des bases théoriques déjà existantes au cas des régions : Dale C. Copeland le fait avec la théorie réaliste du « différentiel dynamique » employée pour expliquer des guerres entre grandes puissances. John M. Owen avance quant à lui l’idée que le commerce entre États favorise des relations pacifiques à l’épreuve des relations multi-acteurs régionales. Malgré des éléments empiriques suggérant que leurs approches sont pertinentes, ces auteurs considèrent qu’il faudra plus d’études de cas avant de considérer leur perspective comme validée. Dans un autre sens, l’institutionnalisme de Hofmann et Mérand et le constructivisme d’Acharya et Pouliot mettent en valeur des éléments qui s’appliquent à chaque région de manière différente, notamment les pratiques dans les institutions régionales ou l’influence des idées.
Enfin, Norrin Ripsman approfondit une perspective éclectique, appliquée aussi par Hall au cas européen, et une étude séquentielle de la transformation de régions. Étudiant le cas de l’Europe de l’Ouest après la Seconde Guerre mondiale et celui des accords d’Israël avec l’Égypte, la Jordanie et l’olp, Ripsman constate que, pour que d’anciens belligérants établissent des relations pacifiques, un processus « du haut en bas » par des relations entre gouvernements est plus susceptible de succès que de miser sur une dynamique de « bas en haut ». Mais, selon lui, une paix stable requiert les deux. De ce fait, Ripsman rejoint la distinction de Taliaferro entre « stabilisation régionale » et « transformation régionale » et partage son avis voulant que différentes approches se prêtent à expliquer différentes séquences des relations entre acteurs régionaux (p. 79 et 101).
Au vu des contributions, l’éclecticisme reflète le fait que plusieurs approches sur le développement des régions sont pertinentes dans l’ouvrage, dont l’apport ne se cantonne cependant pas au niveau conceptuel. La contribution de Ripsman se termine par exemple par des suggestions sur la gestion de processus de paix, tandis que Taliaferro et Copeland s’interrogent sur le rôle que peuvent jouer les États-Unis. Si la valeur de l’ouvrage est incontestable, il faut cependant mentionner que le cadre fixé lui impose des limitations. Notamment, il s’agit souvent d’un état des lieux juxtaposé à des perspectives conceptuelles sur l’évolution des relations entre États régions, et pas encore véritablement d’un programme de recherche innovant sur la transformation régionale. On note d’ailleurs un certain flottement autour de cette même notion d’une contribution à l’autre. Ces lacunes sont peut-être inévitables ; elles n’en laissent pas moins un souhait d’approfondissement après la lecture de cet ouvrage.