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Produire de l’énergie consomme souvent de l’eau, selon le processus mis en place ; transporter et transformer l’eau pour ses multiples usages consomme de l’énergie. C’est cette relation à double sens que les auteurs ont voulu explorer dans cet ouvrage collectif. La question est particulièrement pertinente dans les régions où l’approvisionnement en eau est problématique : Y produire une énergie fortement consommatrice en eau est-il pertinent au regard des autres besoins ? Dans quelle mesure certains projets d’alimentation en eau, qui supposent le transport de volumes d’eau importants sur de grandes distances et consomment donc beaucoup d’énergie, sont-ils réellement des options viables sur le long terme ?

Cet ouvrage n’est pas le seul à jeter un éclairage sur la relation entre eau et énergie. On peut mentionner, notamment, Water and Energy, de Gustav Olsson, paru en 2012, ainsi que Eau et énergie : destins croisés, de Gilles Guerassimoff et Nadia Maïzi (dir.), publié en 2011. Mais le sujet demeure relativement peu abordé dans la littérature. Il est toujours traité sous un angle national et suscite peu la réflexion quant à sa dimension internationale. C’est particulièrement vrai pour l’ouvrage recensé ici, centré sur l’Ouest américain.

Plusieurs chapitres sont très techniques, notamment ceux qui portent sur l’eau produite lors de l’exploitation du méthane dans les veines de charbon, ceux qui traitent du potentiel électrique de la puissance solaire thermique et ceux qui se concentrent sur la nouvelle génération de biocarburants. D’autres sont plus généraux ou plus politiques dans les problématiques abordées, comme le lien entre l’exploitation du pétrole de schiste, les besoins en eau très importants que suppose ce type d’extraction et les quotas d’eau sur le bassin du Colorado entre États fédérés ; deux autres abordent la question des quantités d’énergie très grandes que les transferts d’eau sur de grandes distances exigent. Le Central Arizona Project, notamment, qui permet à l’Arizona de distribuer sur son territoire son quota d’eau du Colorado, a demandé la construction d’une importante centrale thermique pour le seul pompage des volumes distribués, dont la plus grande partie est destinée à l’agriculture irriguée. Avec la tendance à l’augmentation des prix de l’énergie et l’urgence de réduire l’impact des gaz à effet de serre, les auteurs soulignent la nécessité de prendre plus activement en compte ce coût énergétique et environnemental des transferts massifs d’eau. D’autres solutions existent, tant dans le domaine de la gestion de l’offre que dans celui de la gestion de la demande. On peut, tout d’abord, produire de l’eau grâce aux techniques du dessalement et du recyclage, longtemps très énergivores, mais aujourd’hui nettement plus abordables grâce à la percée des techniques d’osmose inverse. Cependant, cette technologie demeure trop chère pour l’eau destinée à l’irrigation – en partie parce qu’elle n’est pas compétitive, dans l’Ouest américain, par rapport à l’eau subventionnée des grands projets de transferts massifs. Il est aussi possible de gérer la demande, par exemple en favorisant des usages moins générateurs de gaspillage, en encourageant les transferts du secteur agricole vers les secteurs industriel et urbain, en développant des incitations à l’économie d’eau.

Une dernière partie de l’ouvrage aborde des questions d’ordre managérial : Comment se structure le processus de décision dans ces dossiers d’infrastructures ou d’aménagement du territoire où le lien très fort entre gestion de l’eau et de l’énergie se trouve souligné ? Quelles sont les difficultés administratives, politiques, de planification économique, qui complexifient le processus de prise de décision ? Malheureusement, les réflexions présentées ici sont essentiellement exploratoires. Elles posent les jalons de recherches à mener, mais ne sont pas vraiment accompagnées d’une analyse générale des processus de décision. On relève aussi l’absence de conclusion générale.

Bref, il s’agit ici d’un ouvrage à vocation régionale (l’Ouest des États-Unis) qui aborde une problématique d’aménagement et de gestion des ressources sans dimension internationale – ce qui ne la rend pas inintéressante pour autant. Il est à parier que la complexité croissante de l’approvisionnement en eau dans cette région, les pressions économiques et politiques pour la mise en exploitation de ressources énergétiques nouvelles aux États-Unis – biocarburants, classiques (maïs) ou de 2e, voire de 3e génération, gaz et pétrole de schiste – mettront prochainement davantage l’accent sur ces questions du lien entre eau et énergie.