IntroductionLa sécurité européenne et le tournant pratique en relations internationales[Notice]

  • Amélie Forget et
  • Antoine Rayroux

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  • Amélie Forget
    Département de science politique, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal, C. P. 6128, succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7
    amelie.forget.2@umontreal.ca

  • Antoine Rayroux
    Département de science politique, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal, C. P. 6128, succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7
    antoine.rayroux@umontreal.ca

L’Europe de la sécurité et de la défense existe-t-elle vraiment ? Malgré les politiques adoptées par l’Union européenne (ue) depuis une vingtaine d’années, nombreux sont les experts qui doutent des fondements d’une approche réellement « européenne ». Selon les auteurs réalistes et intergouvernementalistes, jamais des États forts comme l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni ne laisseront l’intérêt européen dominer sur la sécurité nationale, une compétence régalienne qui touche le fondement même de l’institution étatique. Les puissances européennes ont fait en sorte d’élaborer une politique de sécurité et de défense de l’ue en accord avec leurs intérêts nationaux (Rynning 2011). Quand survient une crise internationale d’importance, comme la guerre en Irak en 2003 ou l’intervention en Libye en 2011, les spécificités nationales reprennent le dessus, et les Européens agissent en ordre dispersé. Or, en moins de dix ans, la Politique de sécurité et de défense commune (psdc) de l’ue s’est institutionnalisée et s’est dotée de structures et de comités permanents dans les domaines politique, civil et militaire (Menon 2011). Cette psdc est venue s’ajouter aux activités traditionnelles de la Commission européenne en matière de relations extérieures (initialement commerce et aide au développement), dont certaines ont elles aussi acquis une dimension sécuritaire. Avec la psdc, l’ue a mis en oeuvre vingt-huit interventions civiles et militaires de gestion de crises internationales partout dans le monde, des activités extérieures qui dépassent largement le cadre du soft power. Pour les auteurs constructivistes et institutionnalistes, ces divers développements sont la source d’un apprentissage pour les États membres et leurs représentants, voire d’une convergence vers certaines normes communes, par exemple en matière de culture stratégique (Meyer et Strickmann 2011). Mais ces processus concrets d’apprentissage ou d’européanisation restent encore indéterminés. Dans ce numéro d’Études internationales, nous nous penchons spécifiquement sur la dimension extérieure des politiques de sécurité de l’ue, qui ont trait à la gestion et à la résolution des crises internationales. Plutôt que de se limiter aux débats théoriques qui ont cours en études européennes, notre contribution s’inscrit dans le tournant pratique en relations internationales (entre autres Neumann 2002 ; Pouliot 2008 ; Mérand 2010 ; Adler et Pouliot 2011b ; Adler-Nissen 2012). Prenant appui sur cette littérature, cet article et ceux qui suivent documentent et approfondissent l’hypothèse qu’un champ de la sécurité européenne s’est constitué par les pratiques de certains acteurs, tant au niveau interne que régional et international. Par champ, nous entendons une configuration sociale, structurée par des relations de pouvoir, un enjeu et des règles du jeu qui sont « tenues pour acquises » par ses acteurs (Mérand et Pouliot 2008). Par pratique, nous entendons des modes d’action qui : 1) produisent du sens socialement ; 2) sont répétés au sein d’un champ par des acteurs dotés d’une certaine compétence ; et 3) mettent en oeuvre un savoir et un discours dans le monde matériel (Adler et Pouliot 2011a : 4). Les différentes contributions de ce numéro s’intéressent au contenu et aux effets des pratiques des acteurs impliqués dans la prise de décision et la mise en oeuvre des politiques du champ de la sécurité européenne. À ce titre, notre introduction poursuit deux objectifs : premièrement, justifier la pertinence d’une analyse de la sécurité européenne par les pratiques et démontrer le bien-fondé de la littérature sur les pratiques en relations internationales ; deuxièmement, identifier ces pratiques et leurs effets structurants. Nous cherchons avant tout à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion en dressant un inventaire, sans doute provisoire, de ces pratiques et de leurs effets. Les pratiques que nous répertorions dans …

Parties annexes