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Ce livre est un ouvrage collectif auquel ont participé une douzaine d’auteurs. Disons-le d’emblée, il n’est pas destiné à un large public. C’est un ouvrage scientifique basé sur d’excellentes références, mais qui suppose une bonne connaissance des théories des relations internationales. Présenté sous forme de question, le titre invite le lecteur dans la discussion de l’une des principales hypothèses de la théorie libérale en privilégiant également l’approche empirique, puisqu’il importe de vérifier dans les faits la corrélation entre la nature des régimes politiques et le fait de gagner une guerre. Ce débat implique une maîtrise de la littérature libérale sur la question (la « paix démocratique »), sur le concept de démocratie, mais aussi une solide culture générale sur les guerres contemporaines. Les différents auteurs démontrent manifestement qu’ils possèdent cette culture. Si tous partagent la même conviction, à savoir que les démocraties ont gagné la plupart des guerres qu’elles ont menées, ils ne s’accordent ni sur la méthode suivie ni sur certains arguments avancés. C’est essentiellement la contribution de Dan Reiter et d’Allan Stam qui plante le décor et suscite commentaires et critiques chez les autres auteurs. Il n’est pas possible d’examiner ici par le menu tous les arguments que ces auteurs avancent. Disons pour résumer (au risque de caricaturer) qu’ils insistent sur le fait que les démocraties ont gagné pratiquement toutes les guerres depuis 1815 parce que leurs leaders démocratiquement élus ont des comptes à rendre à leurs électeurs. Une guerre n’est souvent engagée que si elle est sûre d’être gagnée, et il faut qu’elle soit de préférence courte, ce qui est évidemment problématique. Reiter et Stam insistent également sur l’importance du débat public (l’information des citoyens et les critiques) qui s’engage avant qu’on ait recours à la force, ainsi que sur les contraintes budgétaires auxquelles les électeurs sont sensibles. La qualité et la formation du personnel militaire sont également mises en avant comme explication. Cela dit, les deux auteurs cités relèvent le fait que des démocraties sont amenées à former des alliances, y compris avec des non-démocraties pour vaincre un adversaire (la « grande alliance » entre les Alliés et l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale). Ils mettent également en question l’idée que les démocraties peuvent éventuellement consacrer plus de ressources économiques pour la guerre que ne le font des États non démocratiques. À l’appui de leur thèse, les deux auteurs font référence à de nombreux conflits qui se sont déroulés au cours des années 1816-1985 et plus près de nous, y compris les guerres du Proche-Orient et du sous-continent indien, d’Afghanistan (2001-2002) et d’Irak (1991 et 2003). Certains des arguments avancés sont convaincants, d’autres le sont moins. Beaucoup de paramètres (notamment le type de leadership) sont pris en compte, mais il semble que les facteurs idéologiques le soient moins. Ils mentionnent le nationalisme (notamment dans le cas de l’Allemagne nazie et du Nord-Vietnam), mais évoquent peu ou prou les guerres coloniales. Prétendre que le président George W. Bush (et les décideurs américains) surestima en 2003 les liens entre Saddam Hussein et les groupes terroristes, ainsi que le programme irakien d’armes de destruction massive (p. 36), relève d’une naïveté déconcertante. Pourquoi les auteurs n’évoquent-ils jamais le bellicisme des néoconservateurs dans l’administration Bush ? Ils reconnaissent que les démocraties sont plus aptes à gagner des guerres conventionnelles que des guerres de guérillas, mais pourquoi ne pas orienter les recherches vers ces cas de figure (l’Afghanistan en est un bon exemple), d’autant que les guerres conventionnelles sont moins nombreuses que dans le passé et que certaines opérations dites humanitaires se sont soldées par des désastres (la France au Liban, les États-Unis en Somalie, etc.).
Tous les arguments exposés plus haut sont soit repris en compte, du moins partiellement, soit contestés, et la réponse à la question du titre est pour le moins à géométrie variable chez les autres contributeurs. Ainsi, David Lake axe sa contribution sur le fait que l’État doit assurer la protection de ses citoyens et que cette demande de sécurité augmente avec les menaces externes. C’est en termes de coûts qu’il mesure la possibilité pour les démocraties de vaincre dans un conflit. Risa Brooks critique vivement l’argumentation de Dan Reiter et d’Allan Stam qui négligent, selon elle, des facteurs influençant l’issue de la guerre, comme la sophistication des armements, la qualité du renseignement, le poids de la logistique, le niveau d’entraînement des troupes engagées, etc. Elle insiste, dans sa contribution au débat, sur le processus décisionnel dans les démocraties et établit une distinction entre une culture politique libérale et des institutions démocratiques issues d’élections libres. De même, elle critique la manière dont les deux auteurs perçoivent de manière trop rigide les démocraties et les autocraties et leur capacité à faire la guerre. Une autre contribution, celle de Michael Desch, est tout aussi critique à l’égard des arguments de Dan Reiter et d’Allan Stam. Selon Desch, ceux-ci ne tiennent pas suffisamment compte du jeu et des intérêts des acteurs étatiques. Il revient lui aussi sur l’alliance entre les Alliés et l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale et insiste sur le fait que l’Allemagne nazie n’a pu être défaite que grâce à la participation massive de l’URSS. Il suggère également que, parmi tous les facteurs qui expliquent qu’une guerre puisse être gagnée ou non, la démocratie occupe une place marginale. Si les responsables démocratiquement élus craignent en cas de défaite de ne plus être réélus, les autocrates peuvent craindre eux aussi de perdre le pouvoir s’ils s’engagent dans un conflit à l’issue incertaine. Dans sa contribution, Desch insiste sur différents éléments susceptibles de faire basculer la balance dans un sens ou dans un autre : la stratégie, le soutien populaire, la pugnacité au combat, etc. Enfin, il note que les alliances dans lesquelles on ne trouve que des démocraties sont rares et insiste sur le rôle du nationalisme dans les guerres modernes (Seconde Guerre mondiale, guerres menées par Israël, etc.). Beaucoup de ces arguments, sous une forme ou une autre, se retrouvent dans d’autres contributions intéressantes qui apportent des éclairages spécifiques sur certains conflits. Le débat reprend force et vigueur lorsque Dan Reiter réplique à ses contradicteurs à la fin de l’ouvrage. Si sa lecture est parfois un peu indigeste, ce livre offre un appoint non négligeable à une problématique toujours actuelle. Le lecteur attentif trouvera dans les nombreuses notes de bas de page des références utiles s’il souhaite approfondir la question.