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À l’heure où l’Europe est engagée dans une quinzaine d’opérations de paix déployées sur plusieurs continents, l’ouvrage collectif dirigé par Fulvio Attinà et Daniela Irrera revient sur la montée en puissance de la politique de sécurité européenne dans un monde bouleversé depuis la fin de la guerre froide. Ce livre, que les auteurs destinent aux étudiants se spécialisant dans les questions de maintien de la paix et de politique de défense européenne, se concentre sur les spécificités des opérations menées par l’ue, qui s’inscrivent dans la pratique de la gestion internationale des conflits, mais aussi la renouvellent.

Organisé en deux parties, l’ouvrage propose une analyse transversale des transformations du maintien de la paix multilatéral avant d’étudier, dans un deuxième temps, des opérations sur le terrain, en Géorgie, Bosnie, rdc, Palestine, etc. Cette structure répond au souci pédagogique des auteurs et confère une logique d’ensemble à l’ouvrage : les éléments de la première partie apportant la base conceptuelle nécessaire à la lecture des exemples présentés en deuxième partie. Les idées clés, énoncées dans une introduction dense qui ne manquera pas d’accrocher l’intérêt du lecteur, sont ainsi développées avant d’être rassemblées en fin d’ouvrage.

Tout d’abord, si l’ue est récemment entrée sur la scène du maintien de la paix – les premières opérations remontent à 2003 –, elle n’a cessé d’être « en première ligne » et a renforcé ses capacités de gestion de crise militaires et civiles jusqu’à devenir un acteur incontournable du maintien de la paix et de la sécurité internationales. À ce titre, le tournant des années 2000, qui se caractérisent par l’« européanisation du maintien de la paix », est primordial. Comme le montre le chapitre 6, où l’on compare les interventions de la France, de l’Espagne, de l’Italie et de la Suède, les missions menées par les organisations régionales européennes ont majoritairement été déployées en Europe, où leur durée est plus longue, et elles ont été plus nombreuses que celles des Nations Unies. Capable de prendre le relais de l’onu quand l’Organisation peine à constituer une coalition multilatérale, l’ue est devenue, pour reprendre la formule en conclusion, « le meilleur partenaire des Nations Unies ».

Parallèlement, ce renforcement du rôle de l’ue contribue à la décentralisation de la sécurité collective au profit du minilatéralisme. Celle-ci participe d’une sélectivité accrue de la part des États, qui font varier les partenariats selon les crises dans un souci d’efficacité diplomatico-économique. Recentrer le maintien de la paix sur les organisations régionales et les coalitions ad hoc vise à mieux contrôler les responsabilités et les retombées des opérations, dont les coûts peuvent être plus élevés que les bénéfices. L’option minilatéraliste n’est donc pas exempte d’une ambition de « dominer pour influencer », qui ne saurait toutefois, comme le souligne Kathia Légaré, être confondue avec une nouvelle forme de tutelle, voire d’impérialisme, car elle constitue principalement une réponse à la transformation des relations internationales.

Le contexte international a changé et, avec lui, les causes de la guerre. La faillite d’un État, les manquements à l’état de droit, les faiblesses de l’économie sont autant de composantes à intégrer pour consolider la paix. C’est pourquoi les missions de paix visent désormais à reconstruire les institutions, l’administration, le système judiciaire et l’économie, à organiser des élections, professionnaliser les médias, etc. Mais l’ambiguïté majeure de ces nouvelles missions « intégrées » ressortit à leur nature de plus en plus intrusive. La consolidation de la paix implique une limitation de la souveraineté de l’État concerné qui va à l’encontre du principe d’autogouvernement. Là réside la contradiction intrinsèque des missions dont les universaux incontestables sont parfois imposés aux acteurs locaux, au moment même où sont prônés les stratégies d’appropriation et le principe de responsabilité locale.

Au-delà de ces trois enseignements essentiels, le lecteur exigeant sera satisfait de pouvoir creuser certaines thématiques liées. Citons notamment le chapitre 4, consacré au triple rôle des ong qui sont devenues une source primordiale d’information et d’expertise, participent aux actions civilo-militaires et relaient les demandes des acteurs locaux auprès des internationaux. Le chapitre 7 propose pour sa part une étude comparative des missions Althea en Bosnie et amis au Darfour, tout en revisitant les concepts d’« actorité » et de « nouvel interventionnisme ». Il convie ensuite le répertoire de la régionalisation/ dé-régionalisation pour dessiner les évolutions divergentes de la pesd et de l’Union africaine.

Sur le plan pratique, le lecteur se réjouira de trouver un index, une bibliographie riche et de nombreux tableaux et graphiques qui constituent un excellent support de recherche. On pourra certes regretter que l’ouvrage ne mentionne pas le passage de la pesd à la Politique de sécurité et de défense commune (psdc), effectif depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne au 1er décembre 2009. C’est là toutefois le risque de tout travail scientifique qui porte sur un sujet en constante évolution. La démonstration n’en est pas moins solide et ouvre des pistes de recherche précieuses sur un volet original de la construction de la puissance européenne.