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La recherche présentée dans cet ouvrage a pour objectif d’évaluer l’influence des lobbies industriels dans les négociations internationales d’environnement, à partir de l’analyse des négociations de la Convention sur la diversité biologique (cdb) et plus particulièrement des thématiques de biosécurité ainsi que d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages (apa). Pour mener à bien cette étude, l’auteure s’est servie, comme grille d’analyse, du modèle libéral de la diplomatie à deux niveaux de Putnam, complété par un angle d’approche centré sur les firmes internationales, en tant qu’acteurs des politiques internationales, et selon une conception constructiviste de leurs préférences. La méthode suivie a été inductive et surtout qualitative. Elle s’appuie sur une analyse de statistiques et une revue détaillée de la littérature. Le protocole de cette recherche repose sur cinq corpus de données pour lesquels des instruments de contrôle ont été mis en oeuvre afin d’assurer un maximum de pertinence de l’information recueillie en adoptant un mode narratif et en faisant un « suivi des processus » de l’influence. À cet effet, des entretiens semi-directs on été menés (avec la méthode de la triangulation) auprès d’acteurs clés des négociations passées et actuelles de la Convention sur la biodiversité et des archives de négociations ont été consultées. La littérature scientifique a aussi été utilisée de façon approfondie, notamment les écrits en sciences politiques sur les négociations internationales.
L’ouvrage est divisé en trois parties. La première partie s’interroge sur les conditions d’intervention des firmes comme acteurs des négociations internationales. Il ressort de cette analyse des différentes théories en cours dans les disciplines des relations internationales, selon l’auteure, qu’aucune n’éclaire suffisamment les multiples aspects du rôle que ces dernières jouent dans ces négociations. Alors que l’approche libérale néglige délibérément leur rôle, l’économie politique donne plutôt une vision déterministe du pouvoir des entreprises, tandis que le courant constructiviste occulte pour sa part la question de l’identité de ces importants acteurs dans le processus. La deuxième partie de l’ouvrage présente le bilan de l’action des firmes en amont des négociations. Il s’en dégage que leur influence passe nécessairement par l’habileté à communiquer avec les décideurs tant au moment de la formulation des politiques au niveau national que dans la politique étrangère des États. Sur ce plan, l’auteure identifie trois scénarios possibles dans les relations entre les firmes et les gouvernements en fonction des thématiques et des pays : un schéma d’un « État compétitif » (c’est le cas des États-Unis où le gouvernement se met au service de ses entreprises) ; un rôle d’arbitre entre les différents groupes de pression (c’est le cas de la Commission européenne) ; et, enfin, la poursuite de la préférence nationale (c’est le cas dans certains pays en développement, où l’État entend s’opposer à la mainmise des entreprises étrangères sur leur patrimoine en privilégiant les siennes). La troisième partie de l’ouvrage s’intéresse à la mobilisation des acteurs industriels pendant les négociations. L’auteure y montre comment une partie des acquis des firmes sur le plan national sont remis en cause lors de ces dernières. C’est ainsi que les acteurs industriels tentent tant bien que mal d’influencer directement les négociations internationales pour les infléchir dans le sens de leurs intérêts.
L’originalité de l’étude est de mettre en évidence le fait que l’influence des firmes n’est ni constante ni uniforme, comme il est souvent avancé. Dès lors, ces résultats s’opposent à une vision déterministe des firmes, jusqu’alors dominante, selon laquelle celles-ci constitueraient un groupe homogène, calculant rationnellement ses intérêts et parvenant systématiquement à imposer se préférences. En effet, par opposition aux études antérieures, cet ouvrage présente au moins trois résultats innovants. Premièrement, il met l’accent sur la diversité des groupes industriels impliqués dans les négociations internationales de la cdb et montre les disparités entre ces groupes en matière d’influence. Deuxièmement, contrairement à d’autres approches, notamment celles dérivant de l’économie politique internationale (l’approche néogramscienne), la présente étude souligne le fait que les entreprises sont loin de maîtriser les processus de décision liés à ces négociations, que leur influence est très souvent modérée ou même inexistante. Et, troisièmement, les niveaux où se joue l’influence ne sont pas uniformes, variant d’une firme à une autre. Le degré d’influence observé pour chaque catégorie d’acteur à chaque niveau d’analyse dépend évidemment de plusieurs facteurs.
La grille d’analyse proposée par l’auteure a permis de distinguer quatre niveaux possibles d’influence : deux au niveau national et les deux autres au niveau international. Dans cette perspective, selon Orsini, quatre explications sont possibles, dont deux sont liées au contexte, à savoir les différentes étapes des négociations et les alliances éventuelles avec les gouvernements, alors que les deux autres sont inhérentes à l’organisation même des stratégies que chaque firme met en place, notamment sa capacité d’intégrer d’autres dimensions et son niveau de coordination interne. Ainsi, selon l’auteure, dans la formulation des politiques les firmes obtiennent de meilleurs résultats sur le plan national que sur le plan international. Or, pour agir efficacement sur les négociations, les coalitions hétéroclites regroupant plusieurs entreprises doivent au préalable surmonter leurs divergences. Ce qui n’est pas toujours évident pendant les négociations internationales, auxquelles s’ajoute le jeu de pouvoir comme trame de fond qui pousse les firmes à toutes les échelles de la prise de décision. Ainsi, l’adaptabilité des stratégies des firmes, qui est un impératif de succès pendant les négociations, est très souvent difficile à réaliser. En outre, très souvent, leurs actions sont en décalage par rapport aux thématiques négociées au sein de la Convention, ce qui fait qu’elles ne parviennent pas à suivre correctement les négociations, soit par manque de compétences techniques, soit à cause de la rigidité de leurs politiques. Enfin, la Convention sur la diversité biologique a la particularité de soulever des questions de justice sociale et d’équité souvent mal prises en compte dans les négociations, en particulier à l’égard des pays en développement, notamment pour ce qui concerne l’apa, qui s’apparenterait plutôt à « une colonisation inversée ».
En conclusion, l’ouvrage dresse un bilan de l’évaluation du degré d’influence des firmes sur les négociations des deux sous-accords de la Convention sur la diversité biologique. Ainsi, selon Orsini, cette influence est à nuancer. Elle est davantage marquée sur le plan national et s’exerce souvent dans des directions opposées, en fonction des intérêts défendus par les différents groupes industriels, intérêts influencés à leur tour par plusieurs facteurs. Outre les résultats pratiques auxquels l’auteure est parvenue, l’ouvrage met en évidence les avantages d’un décroisement des théories des relations internationales pour analyser en détail les phénomènes internationaux. L’apport théorique de cet ouvrage est double comme modèle de compréhension de l’influence des firmes sur les négociations internationales. Il réfute les approches rationalistes et structuralistes qui échouent régulièrement devant l’écueil de l’empirisme, tout en mettant l’accent sur l’importance d’une approche théorique mixte pour les aborder au moyen de différentes études de cas. Amandine Orsini termine son étude par l’ouverture de pistes de réflexion futures pour mieux cerner toutes les dimensions d’une telle approche, comme l’étude de la mise en oeuvre des normes internationales ou le rôle de certaines catégories d’acteurs non étatiques, les ong notamment, dans les politiques internationales.