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Par son approche résolument interdisciplinaire et internationale, l’ouvrage renouvelle et enrichit les études de la coopération transfrontalière dans un contexte européen. Le travail présenté synthétise un cycle de recherche pluri-annuel sur des thématiques relevant de la coopération transfrontalière ; il concrétise, surtout, l’une des abondantes passerelles qui lient chercheurs et praticiens des relations internationales. Cette contribution collective se distingue par l’origine interculturelle (allemande, suisse et française) de ses auteurs, qu’ils soient universitaires – historiens, juristes, sociologues, politologues et économistes – ou bien acteurs de cette coopération. Le propos permet, ainsi, de croiser les approches scientifique, administrative et politique de trois points de vue nationaux. D’ailleurs, plusieurs parties de l’ouvrage sont présentées en français, en allemand et en anglais.
Depuis le milieu du 20e siècle, surmonter les frontières est le but poursuivi par la coopération transfrontalière régionale en Europe. Or, en dépit d’une place secondaire dans les documents officiels et les stratégies de développement de la Commission de Bruxelles, les régions frontalières européennes sont appelées à jouer un rôle de premier plan dans le processus d’intégration, et ce, davantage encore depuis l’élargissement à l’Est de l’Union. Par la grande variété d’expériences qui les caractérisent, les régions frontalières françaises font, à cet égard, figure d’exemples. Les territoires transfrontaliers servent de témoins et de laboratoire à l’intégration européenne, les résultats y étant particulièrement visibles (corridors transnationaux). À travers un regard singulier sur la région franco-germano-suisse dans l’espace rhénan, les auteurs s’emploient à répondre à trois principales interrogations : Où sont les origines de la coopération ? Qui sont les acteurs ? Quels sont ses fondements théoriques et politiques ?
D’abord, la coopération transfrontalière trouve son origine dans la fonction westphalienne de la frontière. Aucune coopération n’est envisageable sans frontières stables et reconnues réciproquement, ce qui fit défaut jusqu’à la fin des années 1950 en raison de l’attachement au concept d’unité nationale, des conquêtes territoriales et de la montée des séparatismes. Ainsi, il a fallu attendre 1980 pour que le terme même de « coopération transfrontalière » soit officiellement retenu par la Convention-cadre de Madrid du Conseil de l’Europe. Cet accord a rapidement été dépassé avec les accords de Schengen qui ont véritablement permis la libre circulation dans l’Union européenne ou la Suisse, mais qui ont été négatifs pour tous les pays extérieurs. En outre, les motivations qui poussent les régions vers la voie de la coopération peuvent être multiples. Les origines peuvent être politiques (revendications régionalistes), économiques (expansion économique, quête de débouchés), culturelles (institutionnalisation culturelle de l’Eurocité basque), voire psychologiques (rapprocher les populations, soigner les « cicatrices de l’Histoire » pour reprendre le mot de Rougemont).
Ensuite, s’appuyant sur des exemples concrets, l’ouvrage pointe la multiplicité d’acteurs de la coopération transfrontalière, souvent autonomes les uns par rapport aux autres, et souligne les diversités institutionnelles dans lesquelles la coopération s’inscrit. Ainsi, plusieurs systèmes politiques, parfois très différents, se superposent. Il y aurait autant de processus de coopération transfrontalière que de régions frontalières. Et si la coopération met la région, et non l’État, au coeur de l’intégration européenne, elle ne se limite pas à la coopération entre acteurs publics. Pour reprendre la métaphore des poupées russes, la coopération peut également mobiliser les potentiels économiques (chambres de commerce, syndicats) et les ressorts de la société civile. La question consiste alors à déterminer, par une approche essentiellement sociologique, si la coopération transfrontalière doit être adaptée en fonction du groupe de personnes concernées (travailleurs transfrontaliers) et si elle a des conséquences sur ces différentes catégories socioculturelles de la population (femmes, seniors).
Les fondements théoriques et politiques de la coopération transfrontalière, enfin, sont abordés de manière transdisciplinaire (géographique, politique, juridique) pour souligner la complexité inhérente à la multiplicité des cas d’études. Il en résulte une primauté de la rationalité des systèmes politiques nationaux qui entrave la gestion des relations transfrontalières. Les auteurs s’interrogent donc sur les modalités d’une gouvernance transfrontalière et sur la manière dont elle est gérée par les acteurs de la coopération, mettant ainsi en lumière toute la complexité d’une gestion politique (région du Rhin supérieur, Eurodistrict catalan).
L’ouvrage, stimulant malgré certains aspects parcellaires et disparates, s’adresse à un large public. Il séduira, spécialement, tous les praticiens – responsables économiques et politiques – qui s’intéressent à la coopération transfrontalière autrement qu’à travers l’étude des relations bilatérales interétatiques. En revanche, et bien que les historiens ne se soient emparés de la coopération transfrontalière que depuis une période relativement récente, le cadre théorique des contributions demeure très académique et ne bouleverse en rien la littérature sur le sujet. Il convient néanmoins de signaler la qualité de la méthodologie et de l’écriture de ce chantier prometteur qui ne constitue que le premier volume des études sur la coopération transfrontalière conduites à l’initiative du nouveau centre de recherche Frontières, acteurs et représentations d’Europe (fare) de l’Université de Strasbourg. Susciter de nouveaux thèmes de réflexion et de discussion, l’essentiel est bien là.