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Le 6 mai 2010, les attentats dramatiques dont la ville indienne de Mumbai (la capitale de l’État du Maharastra indien) a été le théâtre – à la fin de novembre 2009 – ont connu un dénouement attendu. Ce jour-là, Mohammad Ajmal Amir Kasab, seul survivant du groupe des neuf terroristes qui avaient perpétré l’attentat, a été condamné à la peine capitale. Ce citoyen pakistanais, selon les médias indiens, n’est qu’un symbole d’une « conspiration », un puzzle dont le gouvernement central de New Delhi continue de réunir les pièces.
Outre une nécessaire réponse à l’indignation de son opinion publique, l’Inde a en tout état de cause visé à rappeler aux puissances mondiales dominantes, séduites par la réaction mesurée qui fut la sienne à la suite des attentats, qu’elle n’envisage pas la question de sa sécurité à la légère. Ainsi n’entend-elle pas donner la priorité aux préoccupations de la communauté internationale, inquiète de l’évolution de ce que l’on nomme désormais la région Af-Pak (Afghanistan-Pakistan). La communauté internationale souhaite, faut-il le rappeler, qu’Islamabad et New Delhi établissent des relations cordiales. La République islamique du Pakistan, libérée de l’hypothèque d’un danger indien qu’elle estime prééminent, serait ainsi à même d’honorer l’alliance à laquelle les États-Unis l’ont contrainte au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Reste que l’Union indienne ne peut inaugurer d’harmonieuses relations avec son voisin sans définir une résolution du conflit du Cachemire qui autoriserait la satisfaction – partielle – de ses exigences.
Après la déclaration de Simla (juillet 1972) qui mit fin au troisième conflit armé indo-pakistanais, avalisant la naissance du Bangladesh, New Delhi – proposant une interprétation de ce texte qu’Islamabad contestait – se jugea libre de proclamer que toute résolution du conflit relevait de seules négociations bilatérales. Le profane en retira l’impression que les puissances mondiales dominantes, qui avaient pourtant qualifié dès le début des années 1950 le Cachemire de poudrière de l’Asie, ne s’inquiétèrent véritablement de la difficile évolution des relations indo-pakistanaises qu’au mois de mai 1998. À cette date, l’Inde et le Pakistan affirmèrent – tour à tour – leur statut de puissances nucléaires. Il faut cependant rappeler ici que New Delhi effectua son premier essai au cours de l’année 1974.
L’ouvrage que le diplomate Howard B. Schaffer, aujourd’hui à la retraite, consacre à l’enjeu du Cachemire tend à corriger une telle perception. Il s’inscrit dans la démarche que choisirent les politologues P.R. Chari, Pervaiz Iqbal Cheema et Stephen P. Cohen, lors de la publication deux années auparavant d’une étude (American Engagement in South Asia, 2007) qui se pencha sur les efforts de médiation consentis par la diplomatie américaine. Tandis que Chari, Cheema et Cohen envisagent quatre crises majeures qui opposèrent Islamabad et New Delhi de 1986 à 2002, Schaffer retrace – pas à pas – l’évolution de la position des États-Unis, des prémices du conflit du Cachemire (octobre 1947) à nos jours. Son récit chronologique a pour fil directeur la succession des présidences à la Maison-Blanche. Et il rend compte des débats d’idées qui rythmèrent autant les gouvernements de Washington que les diplomates en poste en Inde et au Pakistan. Tout au long de l’ouvrage, l’auteur incite le lecteur qui aurait tendance à privilégier les approches nationale et internationale à garder à l’esprit une troisième dimension : les relations entre États, qui procèdent de liens noués par leurs dirigeants. Au demeurant, la perception américaine de la politique pakistanaise et des dirigeants qui la mirent en oeuvre a varié au gré des équipes dont les locataires successifs de la Maison-Blanche s’entourèrent.
Sans doute les quatre premiers chapitres (1947-1963) de l’étude examinée ici intéresseront-ils davantage le profane. Quant au familier du sous-continent indien, son intérêt s’éveillera à la lecture des chapitres cinq, six et sept. Il peut aspirer à une compréhension plus détaillée de l’évolution de l’approche de la Maison-Blanche, alors que le contexte politique asiatique se faisait plus mouvant.
Washington, après quelques tentatives de médiation, estima ainsi qu’influer en coulisse sur les diplomaties indienne et pakistanaise permettrait en temps de paix, sinon une résolution de l’enjeu du Cachemire, du moins le maintien de relations tolérables entre les deux adversaires. Il choisit cependant de ménager les susceptibilités indiennes, tandis que son allié pakistanais cachait mal son amertume, lui qui avait escompté un appui américain pour affirmer sa souveraineté sur l’ensemble de l’ancien État princier du Jammu et Cachemire. Ultime analyse : dans le dernier chapitre de son étude, Schaffer tente de répondre à l’ambition des États-Unis quant au choix d’une médiation qui conduirait à la résolution définitive du conflit du Cachemire.
Le profane qui se bornera à la lecture de l’ouvrage sera en tout état de cause à même d’acquérir une bonne connaissance d’un enjeu qui s’oppose à toute véritable construction régionale de l’Asie du Sud. Une interrogation demeure qui préoccupe désormais une recherche aux publications foisonnantes : Schaffer, renonçant à une publication dans une collection récente (adst-dacor Diplomats and Diplomacy) qui – notamment – vise à recueillir des témoignages de personnages prestigieux, n’aurait-il pu se contenter de trois ou quatre longs articles qui lui auraient permis d’éviter l’écueil de longs rappels de faits désormais bien connus ? Les familiers du sous-continent auraient ainsi été à même d’apprécier – plus aisément – l’éclairage intéressant que l’étude propose.