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La notion de diplomatie publique (public diplomacy) fait l’objet de débats où se mêlent le théorique et le normatif, l’analyse scientifique et le conseil diplomatique. Une partie de la littérature sur cette notion se compose en effet d’ouvrages étudiant différents cas, retraçant le débat sur la notion de diplomatie publique et donnant différents conseils sur son application ou plaidant pour un renouveau dans son utilisation. Une partie de la littérature mêle donc une approche scientifique du concept et une approche normative destinée aux praticiens. Ces praticiens ont d’ailleurs souvent participé aux publications sur la notion de diplomatie publique, comme c’est le cas ici pour Potter, ancien membre des services diplomatiques canadiens.
Le livre en question se rapproche donc d’autres sur la même question, tels que l’ouvrage de Kathy R. Fitzpatrick The Future of us Public Diplomacy. Il s’appuie sur le cas d’espèce canadien et s’organise globalement autour de trois thèmes : le débat théorique sur la notion de diplomatie publique et son corollaire, l’idée de « puissance douce » (soft power) mise en avant par Joseph Nye ; l’étude du cas canadien et surtout de la période 1996-2000 caractérisée par le mandat de Lloyd Axworthy au ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international ; et, enfin, des appréciations sur les outils et le futur de la diplomatie publique. Contrairement au livre de Fitzpatrick, qui se concentre sur l’avenir dans le système diplomatique américain de cette diplomatie publique, l’ouvrage de Potter consacre plus de temps à une mise en perspective théorique de l’idée de diplomatie publique et de ses instruments, sous la plume de Sean Rushton et Jason Bouzanis.
Comme phénomène, l’utilisation par les gouvernements de leur image, de certaines formes de communication, de certains discours destinés aux publics étrangers est ancienne. La diplomatie publique comme notion est toutefois assez récente. Elle s’est développée essentiellement sur le plan théorique comme une fonction des idées de Joseph Nye sur la puissance douce. Dans ce cadre, la diplomatie publique est autre chose et bien plus que de la propagande. Dans le domaine économique, commercial, mais aussi stratégique, la puissance douce théorisée par Nye utilise les images, le discours, les normes pour modifier l’environnement international, entretenir l’image d’un pays, améliorer sa position internationale. La diplomatie publique vient d’une vision des relations internationales comme un phénomène engageant non seulement les gestionnaires de politique étrangère, les diplomates, mais aussi les peuples. Elle vient aussi d’une vision d’outils diplomatiques « alternatifs » prenant en compte le rôle de la communication. Dans ce cadre, le but de la diplomatie publique est donc d’établir le contact avec les opinions étrangères, en jouant sur l’image projetée par un pays, sa « marque ». Un État peut ainsi apparaître comme un acteur pacifique du système international, comme un tiers de confiance, comme un endroit sûr où investir ou émigrer. De même, la diplomatie publique se sert aussi d’outils comme l’éducation ou les normes dans l’espoir de faire évoluer l’environnement, l’atmosphère des relations internationales.
Le cas canadien est particulièrement intéressant, car la diplomatie publique est généralement associée à de petits États, le cas des États nordiques venant naturellement à l’esprit. Le livre aborde également le cas du Brésil par exemple, suggérant l’utilité de la diplomatie publique pour des types variés d’États. Comme dans le livre de Fitzpatrick, mais adapté au cas canadien, un regret semble traverser le livre : celui d’une baisse d’intensité de la diplomatie publique d’États comme le Canada ou les États-Unis. Au contraire, plaident les auteurs, les temps présents devraient être ceux d’une mise en avant de la diplomatie publique face à des questions importantes et qui se règlent mal avec les outils de la diplomatie traditionnelle ou de la « puissance dure ». Théoriquement le livre revient aussi sur le passage suggéré par Nye à la « puissance intelligente » (smart power), mêlant puissance dure et puissance douce dans la réalisation de buts diplomatiques.
L’ouvrage s’attarde à certains éléments concrets, comme l’usage des nouvelles technologies en diplomatie publique ou le rôle de la diplomatie publique dans le domaine économique, ou à des éléments théoriques comme la relation de cette même diplomatie publique avec la communication.
On a donc là un livre intéressant sur une notion fascinante. Un livre qui ouvre la voie à des réflexions non seulement sur les méthodes de diplomatie alternative, mais aussi sur le rôle des petits acteurs ou encore sur la relation entre opinion publique et diplomatie, le rôle des opinions en politique étrangère. On pourrait dire que Potter, comme Fitzpatrick, défend avant tout son métier comme praticien de la diplomatie publique. On utilisera cet ouvrage pour le cas canadien, mais aussi pour la définition assez claire et fouillée donnée de la notion et du débat qui l’entoure. On pourra le lire en complément des travaux de Pierre Cyril Pahlavi sur la diplomatie publique canadienne ou, par exemple, ceux de Christine Ingebritsen sur les petits États « entrepreneurs de normes » ou de Christopher Browning sur l’idée de « marque » nationale.
Pour finir, on pourrait noter un certain manque de profondeur historique des études sur la diplomatie publique. Dans sa préface, Potter présente la diplomatie publique comme une invention récente, mettant en avant l’intermission entre politique étrangère et politique intérieure qui caractérise les sociétés démocratiques nées au 19e siècle. Mais si une diplomatie publique « pure » voit le jour après la Seconde Guerre mondiale, le phénomène est ancien : porosité entre politique intérieure et politique étrangère, importance des images, discours destiné aux populations, appel à la norme en relations internationales, diplomatie « alternative », contacts personnels, etc. Si les praticiens de la diplomatie publique rejettent souvent l’idée d’une filiation avec la propagande, insistant sur le fait qu’ils ne visent pas par exemple à mentir aux publics étrangers, on pourrait utiliser le débat sur la diplomatie publique pour éclairer les activités de communication destinées aux publics étrangers d’entités internationales au 20e siècle et avant. Une des réflexions que soulève ce livre est peut-être celle d’un manque de dialogue entre l’analyse théorique de la notion et l’étude historique. Le débat sur la diplomatie publique donne pourtant d’intéressantes clés méthodologiques pour étudier dans le long terme les diplomaties de l’image de petits États comme les pays nordiques.