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L’ouvrage de Jean-Christophe Videlin s’inscrit dans une vieille tradition universitaire française qui remonte à la publication de la thèse, en 1966, de Bernard Chantebout. L’organisation générale de la Défense nationale en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son livre, devenu depuis l’alpha et l’oméga de la littérature consacrée aux questions juridiques liées à la défense nationale en France, avait certainement besoin d’être dépoussiéré, d’autant qu’avec la professionnalisation des armées et la parution, il y a deux ans, du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, un aggiornamento des études juridiques sur la défense nationale française s’avérait plus que nécessaire. C’est la tâche que s’est assignée, avec succès, Jean-Christophe Videlin. Juriste omniscient sur les questions de défense nationale – il avait fait une remarquable thèse en droit public sur la politique spatiale militaire de la France, il y a une douzaine d’années, sous la direction du professeur Joël-Pascal Biays (†), pionnier des études de défense en France et animateur du Centre d’étude sur la sécurité internationale et la défense (cedsi) –, il enseigne inter alia ces questions au sein du master de sécurité internationale et défense à la Faculté de droit de Grenoble.
Structuré en quatre parties (service public, organisation institutionnelle, moyens et régime de la responsabilité administrative), l’ouvrage entend analyser l’intégralité des questions de défense nationale dans le champ du droit public français. On soulignera d’ailleurs ici que cet ouvrage est à destination d’un public averti, le lecteur non initié risquant de se heurter autant aux subtilités juridiques qu’à la rigueur méthodologique du droit administratif et constitutionnel français.
C’est dans une pénétrante et concise introduction que l’auteur définit le champ d’étude du droit public de la défense nationale dont l’apparition, souligne-t-il, est concomitante à celle même de l’État. « C’est pour cette raison […] que le droit de la défense nationale a évolué au rythme des soubresauts de l’histoire politique, sociale et économique de l’État », même si, comme le note l’auteur, les questions de défense forment, depuis le début de la ve république, un consensus entre toutes les forces politiques partisanes en France. Dans la première partie, Videlin s’attache à analyser « le service public de la défense nationale », lequel s’avère être une activité d’intérêt général, menée uniquement par l’État, dans le cadre d’une mission de service public même si cette mission régalienne est de plus en plus externalisée. La deuxième partie, certainement la plus intéressante, est consacrée à l’organisation institutionnelle de la défense nationale, marquée autant par les textes réglementaires, législatifs et constitutionnels que par la pratique des différents présidents français, notamment le général de Gaulle qui défendait la présidentialisation du régime alors naissant de la 5e république, la guerre d’Algérie et l’acquisition par la France de l’arme nucléaire constituant les deux événements structurant la pratique du pouvoir du chef de l’État en matière de défense nationale. Même si le terme « domaine réservé » n’existe pas sur le plan juridique, le président de la République, formellement « chef des armées », exerce politiquement cette magistrature, notamment par l’intermédiaire de son état-major particulier et des différents liens qui se créent entre celui-ci et l’état-major des armées. En cela, la France est une exception dans la galaxie des régimes parlementaires en Europe. Dans la troisième partie, l’auteur examine les moyens de la défense nationale, dans sa composante humaine et matérielle. Il y analyse, d’abord, les modalités de recrutement de ses agents, qu’ils soient militaires ou civils, ainsi que leurs régimes particuliers d’obligations et de sanctions. Il se penche ensuite sur « les moyens techniques » (biens mobiliers et immobiliers, armements, etc.) avec lesquels l’État pourra assurer sa mission en mettant en avant deux évolutions significatives : premièrement l’implication du droit communautaire sur le marché de l’armement et deuxièmement le désengagement crescendo de l’État dans les industries d’armements. La dernière partie, enfin, est consacrée à la responsabilité administrative. Videlin y détaille les conditions d’application de celle-ci et insiste, en même temps, sur le fait que, loin de constituer une exception, les contentieux administratifs liés à l’exercice de la défense nationale s’avèrent très nombreux. La fin de l’ouvrage, par contre, se conclut par… une absence de conclusion, ce qui ne manquera pas de surprendre le lecteur. On sera aussi étonné par l’absence d’un index qui aurait été certainement très utile.
En entrecroisant judicieusement les aspects constitutionnels, administratifs, communautaires et internationaux du droit public de la défense nationale, l’auteur a su donner à son ouvrage une rigueur juridique indiscutable. Certes, quelques coquilles et un nombre incalculable d’oublis d’accents viennent gâcher la lecture de l’ouvrage. Néanmoins, nonobstant ces quelques aspérités qui tiennent plus de la forme que du fond, le livre de Jean-Christophe Videlin, synthétique, tout en étant complet, a indubitablement vocation de devenir la référence de la littérature sur ce sujet.