Corps de l’article
Les interventions externes dans les conflits internes restent un enjeu pertinent pour les théoriciens et les praticiens en relations internationales. Les chercheurs analysent la dynamique, la durée et la légitimité des interventions ainsi que leur impact sur la fin des hostilités et le rétablissement des pays concernés après le conflit. La question sous-jacente de la majorité des études qui portent sur cette problématique est celle du succès ou de l’échec des interventions externes, et le critère communément utilisé pour évaluer le succès est l’établissement de la paix plus ou moins durable. Les auteurs ne s’accordent ni sur la durée de la paix ni même sur sa définition, mais l’approche centrée sur la paix fait plutôt consensus parmi les experts en la matière.
Le livre de Robert Nalbandov a l’avantage incontestable de proposer une nouvelle grille d’analyse des interventions externes, toujours inspirée par l’enjeu de succès, mais basée sur un autre critère, celui des objectifs de la partie intervenante. Selon Nalbandov, l’intervention sera réussie si les objectifs de la partie intervenante sont atteints. Ces objectifs peuvent être autres que la fin des hostilités et l’établissement de la paix, et les motivations des pays intervenants peuvent se ranger entre les engagements moraux et les calculs rationnels. Dans les deux cas, les interventions peuvent aggraver ou mitiger la sécurité interne au nom du bien public qui est la sécurité de la communauté régionale ou internationale.
Après avoir passé en revue les différentes théories des interventions, l’auteur choisit de faire une distinction importante entre les interventions unilatérales et multilatérales et il retient deux séries de critères qui, selon lui, contribuent au succès de l’intervention. Nalbandov avance que, pour réussir, les acteurs unilatéraux doivent avoir « une partialité efficace » et une supériorité opérationnelle, appuyer le plus fort, intervenir tôt pour démontrer son engagement ainsi que maintenir une certaine distance des belligérants en poursuivant clairement leurs propres buts sans entrer trop profondément dans les méandres de la politique intérieure.
Or, les facteurs de la réussite de l’intervention pour acteurs multilatéraux sont différents. Contrairement aux premiers, c’est l’impartialité, l’intervention tardive et la parité de tous les intervenants ainsi que la présence d’une superpuissance parmi les intervenants qui vont contribuer au succès de l’intervention.
La focalisation sur la nature et les particularités de l’acteur intervenant permet d’enrichir considérablement la compréhension de la dynamique des interventions ainsi que sur le processus même de l’établissement de la paix et de dépasser les limites du « truisme universel que la paix est meilleure que la guerre » (Nalbandov 2009). Il est certain que la présence de plusieurs variables ne facilite pas la généralisation ; cependant, elle reflète bien la complexité de l’objet d’étude. Nalbandov utilise la méthodologie rigoureuse pour ajouter des preuves à son raisonnement théorique. Ainsi, il utilise le modèle quantitatif pour démontrer sa validité et arrive à trouver un appui considérable en faveur de son hypothèse : son modèle a permis de prédire le succès ou l’échec des interventions dans 82 cas sur 107. L’analyse quantitative a montré également que les interventions multilatérales ont plus de chances de succès que les interventions unilatérales.
Pour approfondir les éléments de preuve et raffiner la compréhension des facteurs de causalité en jeu lors des interventions externes dans les conflits civils, Nalbandov réalise l’analyse qualitative des quatre études de cas en choisissant les interventions au Tchad (1966-1987), en Géorgie (1992-1994), en Somalie (1991-1994) et au Rwanda (1990-1996). Ces études qualificatives offrent des détails factuels intéressants, bien qu’ils ne soient pas nécessairement nouveaux, sur les motivations des intervenants et les interventions elles-mêmes. Cependant, tout en voulant confirmer et approfondir les résultats obtenus à partir de son analyse quantitative, l’auteur apporte certaines contradictions importantes qui remettent en question son argumentation. Ainsi, en traitant du cas géorgien, il avance que l’intervention de la Russie a été un échec, car elle n’a jamais réussi à établir des liens de confiance avec la Géorgie ni à offrir un appui décisif aux républiques sécessionnistes (l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud) avant 2008. Or, cela contredit son argument principal sur l’importance des objectifs de la partie intervenante. En effet, l’objectif de la Russie n’a pas été d’établir de convaincre la Géorgie de sa bonne foi, mais d’obtenir et de préserver des leviers d’influence géopolitique et économique en Transcaucasie, et elle y a plutôt réussi, bien avant la reconnaissance définitive de républiques sécessionnistes en 2008.
Cette contradiction démontre la faiblesse de la grille d’analyse proposée : en l’absence de critères clairs, qu’est-ce qui pourrait être considéré comme un succès ? Il est vrai que l’approche centrée sur la paix qui domine dans les études contemporaines est assez (trop ?) contraignante. Cependant, l’approche fondée sur les objectifs de la partie intervenante, qu’elle soit unilatérale ou multilatérale, implique trop de variables, ce qui diminue sans doute son potentiel de généralisation et de prédiction. Les objectifs des intervenants, souvent implicites, sont souvent complexes au point où il devient difficile de juger si l’intervention a réussi ou a échoué. Tout en ayant l’avantage d’offrir une vision alternative, la grille d’analyse proposée par Robert Nalbandov semble trop vague et ouverte aux interprétations pour constituer un défi véritable aux théories d’intervention centrée sur la paix.