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Un peu inhabituel dans le cas d’un ouvrage universitaire, cet ouvrage collectif a été publié pour rendre hommage à un homme encore vivant et actif, en l’occurrence le philosophe autrichien Hans Köchler. Power and Justice in International Relations ne paraît pas moins à un moment très opportun pour le sujet qu’il s’engage à traiter, c’est-à-dire le rôle que joue la politique dans les structures internationales de justice. D’aucuns diraient qu’il s’agit du lien entre le droit international et l’école réaliste des relations internationales. Le moment de la publication est d’autant bien choisi qu’il coïncide avec des débats suscités par la guerre « antiterroriste » menée par les États-Unis et leurs alliés depuis les attentats du 11 septembre 2001 et les dérapages « normatifs » que celle-ci a connus.
L’homme à qui l’ouvrage est dédié est présenté comme ayant consacré sa vie active à la cause de la justice globale et du dialogue entre les civilisations, notamment celles dites islamiques et occidentales. La première des quatre parties de l’ouvrage porte sur la menace que poserait au droit international l’usage de la force par les États-nations sans autorisation explicite du Conseil de sécurité de l’onu. Ici, Anthony Carty et Chin Leng Lim accusent Washington de bafouer les principes du droit international au gré de ses intérêts nationaux. Pour le premier, tous les leaders américains, y compris Barack Obama lors de sa campagne pour la présidence en 2007 et 2008, ont une illusion de la suprématie américaine et de certaines « valeurs occidentales » qu’ils s’engagent à protéger, quitte à violer des normes internationales et en toute ignorance du fait que le monde n’est plus unipolaire. Abondant dans le même sens, Lim présente un catalogue d’actes américains dans le contexte de la guerre « antiterroriste » qui seraient en violation des principes du droit international, mais que Washington justifie au nom de sa « sécurité nationale ».
Les trois contributions de la deuxième partie abordent certains débats épistémologiques et normatifs dans la pratique du droit international. Est-il possible d’établir la paix et de garantir la sécurité nationale sans violer des principes du droit international ? À la suite d’un conflit armé, dont une partie a été défaite, comme cela a été le cas dans la Seconde Guerre mondiale, est-il possible de punir les crimes de guerre sans que le processus aboutisse à une « justice des vainqueurs » ? Quelle est la valeur théorique ou opérationnelle ajoutée du concept de « sécurité humaine » aux débats autour du droit international ? Voilà certaines des questions soulevées par cette partie de l’ouvrage.
La contribution d’Edward McWhinney est celle qui est la plus directement liée aux débats du jour. Abordant la question des tribunaux internationaux établis à la fin des conflits armés, aussi bien interétatiques qu’intra-étatiques, l’auteur associe la genèse de ces tribunaux dans l’histoire contemporaine à ceux de Nuremberg et de Tokyo que les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont établis pour juger des responsables allemands et japonais. Après avoir analysé leur mode de fonctionnement et la composition de leur personnel, il conclut, à juste titre, que les verdicts des deux tribunaux ont manqué d’impartialité. Cela l’amène à apprécier les actes du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (tpiy), car, selon lui, le personnel de ce tribunal est suffisamment représentatif et il est au-dessus des influences politiques. Le tpiy a été, de surcroît, établi par l’onu et non pas par un pays ou un groupe de pays vainqueurs.
Fait regrettable, cependant, l’auteur laisse le lecteur sur sa faim en ce qui concerne la Cour pénale internationale (cpi), la première et l’unique cour internationale « permanente » créée « pour contribuer à mettre fin à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale », mais qui doit faire face à un certain nombre d’accusations, notamment sur son immatérialité procédurale. Le peu qu’on attendait de l’auteur était qu’il s’attarde à certaines de ces accusations et qu’il réfute celles qui ne sont pas fondées. Mais le lecteur doit se contenter du dernier paragraphe de sa conclusion qui s’emploie à louer le modèle de la cpi. McWhinney juge exemplaires la composition et le processus de sélection du personnel de la cour, mais émet quelques réserves non qualifiées à propos de son statut. Certes, la composition représentative du personnel de la cpi est irréprochable, mais certaines dispositions de son statut confirment qu’elle est une institution judiciaire oeuvrant dans un monde politique qui l’influence.
Les troisième et quatrième parties de l’ouvrage interrogent, respectivement, l’universalité du discours de droit international et la problématique de la justice sociale comme éléments du droit international et des droits humains. Somme toute, cet ouvrage collectif, nonobstant certains manquements que nous avons signalés, apporte une contribution significative aux débats courants sur la pratique du droit international, notamment la problématique du deux poids, deux mesures dans son application et l’instrumentalisation par certains États du discours d’intervention humanitaire et des droits humains à des fins particularistes.