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L’ouvrage collectif On the Way to Statehood porte sur les formes contemporaines de sécession, dans un contexte de postdécolonisation et, comme son titre le souligne, de globalisation. À partir des points de vue des relations internationales, du droit, de la science politique, des politiques appliquées et de l’éthique, il se donne pour objectif d’explorer les aspects théoriques liés à la définition et aux conditions des sécessions. De plus, il retrace l’histoire de la reconnaissance internationale du droit à l’autodétermination. Enfin, la plupart des auteurs prennent des positions normatives fortes quant aux développements que devraient connaître les conflits actuels et futurs concernant la création de nouveaux États.
Après la décolonisation et suivant la fin de la guerre froide, plusieurs avaient annoncé la mort du nationalisme. Cela ne s’est pas vérifié depuis le début des années 1990, bien au contraire. Les conflits qui menacent le plus les États dans leur forme actuelle sont majoritairement intérieurs ; ces potentiels d’éclatement, lorsqu’ils sont menés à bien, renvoient au vocable de sécession. Le terme fait référence au détachement de territoires qui formaient un État souverain existant. La sécession est et restera encore quelque temps la façon principale par laquelle sont créés de nouveaux États. Mais, depuis que le vocable existe, les réalités qu’il recouvre ont passablement évolué.
Selon Mikulas Fabry, l’aspect qui est le plus marquant pour les sociétés modernes est que depuis le 19e siècle la réussite des sécessions dépend principalement de la reconnaissance internationale. C’est dans les Amériques que cette question se posa en premier lieu, tout d’abord avec l’indépendance des États-Unis, puis avec celle des anciennes colonies espagnoles. Devant de nouveaux États existant de facto et dont la création était présumée être le fruit du consentement populaire, l’Angleterre et les États-Unis leur reconnurent la souveraineté territoriale. Ainsi, au départ, le droit à l’autodétermination était un droit négatif. Il s’agissait d’une reconnaissance de sécessions déjà réalisées, avec une obligation des tierces parties de ne pas intervenir. À la fin de la Première Guerre mondiale, ce droit commença à se présenter comme un droit positif, dont l’apogée fut la vague de décolonisation à partir des années 1950. Dès lors, les efforts pour devenir un État indépendant durent être appuyés par la communauté internationale. Cela remit entre les mains de la communauté internationale l’acceptation ou le rejet au droit à la sécession. D’abord octroyée aux États issus de la décolonisation, puis étendue à l’ensemble des membres de l’Organisation des Nations Unies, l’intégrité territoriale prima à partir de ce moment sur l’autodétermination dans la théorie légale. Le revers de la médaille fut que les sécessions unilatérales devinrent illégitimes. Cet état de fait serait encore en vigueur, voire se serait même étendu depuis la fin de la guerre froide.
En est-il de même dans la pratique ? En tout cas, l’entrée dans « l’ère de la globalisation » ne marque pas pour autant la fin des tentatives de sécession. Quel serait le rôle particulier de la globalisation dans ce contexte ? En fait, la globalisation aurait transformé les conditions de possibilité des sécessions. Pour le seul auteur qui en traite, Lloyd Cox, elle encouragerait les mouvements sécessionnistes. D’un côté, la globalisation a peut-être diminué la capacité d’action de plusieurs États mais, de l’autre, elle n’a pas fait disparaître les avantages de devenir indépendant. Elle a aussi augmenté les capacités de mobilisations sécessionnistes par la mise en oeuvre de nouveaux moyens de communication. Le recours au concept de globalisation fait redouter de tomber dans des clichés, étant donné la surutilisation qui a été faite de ce concept et le flou qui entoure sa définition. Le chapitre de Cox vient heureusement en donner une définition intéressante, en tant que projet politique fondé sur les principes du néolibéralisme.
Mais le débat le plus intéressant entre les auteurs réside dans les raisons pour lesquelles la communauté internationale devrait reconnaître une sécession à l’heure actuelle. Sur quelles bases, par exemple, refuse-t-on l’autonomie à la Tchétchénie, mais la garantit-on au Kosovo ? De plus en plus, c’est en considérant les droits humains et les violations à leur encontre que les puissances occidentales interviennent à l’appui de tentatives de sécession. En accord avec cette pratique, Kathryn Sturman soutient que l’assistance devrait être offerte en réparation d’une injustice, tandis que pour Aris Gounaris la sécession ne devrait jamais être vue comme un remède. D’autres encore, comme Fabry, considèrent qu’il n’y a pas d’obligation morale de la part de la communauté internationale, mais juste des raisons pratiques à la reconnaissance a posteriori.
En somme, l’ouvrage est assez éclectique, mais les articles qu’il contient ont en commun une rigueur intellectuelle appréciable pour faire le point sur les différentes positions possibles à l’heure actuelle quant à la reconnaissance et aux suites à donner aux sécessions en cours. La globalisation joue finalement un rôle relativement mineur dans le contenu de cet ouvrage, ce qui est sans doute pour le mieux, étant donné le flou conceptuel qui entoure ce terme surutilisé ces dernières années. Le titre est un peu trompeur à cet égard ; ce livre traite des développements les plus récents en théorie et en pratique concernant les sécessions, mais sans qu’il soit besoin d’avoir recours au concept de globalisation pour les expliquer.