Corps de l’article
L’Organisation mondiale de la santé (oms) coopère avec de nombreux partenaires dans la mise en oeuvre de ses programmes, notamment d’autres organisations intergouvernementales, des gouvernements, des ong, des fondations et des entreprises du secteur privé à but lucratif. L’évolution de l’oms a été marquée par la Déclaration d’Alma-Ata de 1978 sur les soins de santé primaire, en reconnaissant que les progrès de la santé publique étaient en partie tributaires de la qualité et de l’accès aux médicaments. L’importance croissante des partenaires de l’oms est mise en évidence par le fait que le financement de l’Organisation, initialement fourni essentiellement par ses États membres, est maintenant assuré aux trois quarts par des contributions volontaires offertes par des partenaires des secteurs publics et privés, destinées à des programmes spécifiques, avec un risque de perte de contrôle des organes directeurs de l’oms.
Les activités de l’oms dans les domaines des médicaments et vaccins essentiels et de la propriété intellectuelle se sont heurtées à l’opposition de l’industrie pharmaceutique et à l’action de l’Organisation mondiale du commerce.
L’oms a élaboré des principes directeurs concernant sa collaboration avec le secteur privé. Des exemples de partenariats dans différents domaines de santé réunissent de nombreux partenaires publics et privés. Des exemples de conflits de l’oms avec le secteur privé montrent les risques de cette collaboration.
En conclusion, il apparaît que l’oms a perdu son rôle de direction et de coordination dans le domaine de la santé publique internationale en raison du rôle accru, avec des ressources supérieures aux siennes, de la Banque mondiale et de fondations importantes, de même que de la puissance de l’industrie pharmaceutique. L’oms reste cependant un organisme international nécessaire : elle doit s’imposer à nouveau par sa compétence et son indépendance.
I – Les partenaires
L’Organisation mondiale de la santé (oms) est une organisation intergouvernementale groupant 193 gouvernements. Ses principales relations sont avec les gouvernements qui, au sein de l’Assemblée mondiale de la santé et du Conseil exécutif, décident de ses programmes et de son budget. Elle a également des relations statutaires avec les Nations Unies, ses fonds et programmes et avec les autres agences spécialisées de l’onu, ainsi qu’avec d’autres organisations intergouvernementales.
L’article 71 de sa constitution l’autorise à coopérer, dans le domaine de sa compétence, avec des organisations internationales non gouvernementales (ong) et avec des organisations nationales, gouvernementales ou non gouvernementales.
Les buts et activités des 189 ong en relations officielles avec l’oms doivent être en conformité avec l’esprit et les principes de la constitution de l’oms et ils doivent être exempts de toute visée de nature essentiellement commerciale ou à but lucratif. La presque totalité de ces ong sont des associations ou fédérations dans le domaine de la santé publique. Cependant, on note que deux d’entre elles, la Fédération internationale du médicament et la Fédération internationale pharmaceutique, représentent des entreprises commerciales à but lucratif, bien qu’elles se présentent elles-mêmes comme des ong sans but lucratif (ifpma 2010).
En 2000, le Conseil exécutif de l’Organisation a encouragé des formes plus souples de partenariat et a approuvé une nouvelle politique autorisant les entités du secteur privé à contribuer aux ressources extrabudgétaires (oms 2000), une innovation considérable.
Les docteurs H. Mahler (1973-1988) et G.H. Brundtland (1998-2003), anciens directeurs généraux de l’Organisation mondiale de la santé (oms), avaient engagé celle-ci dans des partenariats public-privé dès les années 1970. Ceux-ci ont associé l’oms et d’autres organisations intergouvernementales, des gouvernements, des ong, des fondations et l’industrie pharmaceutique dans des programmes spécifiques. Une partie importante du financement de l’oms est actuellement assurée par les partenaires de ces programmes, y compris les contributions du secteur privé à but lucratif, ce qui a réduit la proportion des contributions gouvernementales dues au titre du budget ordinaire de l’Organisation à un quart du budget total.
Le marché pharmaceutique mondial vaut environ 825 milliards de dollars en 2010 ; il pourrait monter à 975 milliards d’ici à 2013. Les dix plus grandes sociétés pharmaceutiques contrôlent environ le tiers de ce marché, dont plusieurs avec des ventes de plus de 10 milliards de dollars par an et des marges de profit d’environ 30 %. Actuellement, ces sociétés dépensent le tiers de leurs revenus de ventes au marketing de leurs produits, deux fois plus qu’elles ne dépensent pour la recherche et le développement.
Les industries alimentaires, par exemple les entreprises de production et de vente d’aliments pour nourrissons, les producteurs de sucre, sont également des industries multinationales puissantes, dont les produits ont aussi un effet direct sur la santé. Ces industries, qui bénéficient généralement de l’appui de leurs gouvernements, sont parfois entrées en conflit avec les objectifs et les programmes de l’oms.
L’industrie du tabac, qui a longtemps bénéficié du soutien des États, est devenue l’ennemi reconnu des institutions sanitaires nationales, des ong et de l’oms.
Selon l’oms, et pour les observateurs objectifs, il y a un conflit d’intérêts de base entre les buts légitimes de l’industrie (le profit) et les besoins légitimes sociaux, médicaux et économiques des services de santé et de la population d’avoir accès aux médicaments essentiels, de pouvoir choisir et utiliser ces médicaments de la manière la plus rationnelle (oms 2010a ; ims Health 2009). Il y a également un conflit entre la protection des brevets dans le cadre de la propriété intellectuelle et le droit à la santé. La résolution de ces conflits peut être vitale pour les populations des pays en développement (Beigbeder 2004 : 152-154).
Actuellement, 4,8 milliards de personnes vivent dans les pays en développement, ce qui correspond à 80 % de la population mondiale. De ce chiffre, 2,7 milliards, soit 43 % de cette population, vivent avec moins de 2 dollars par jour. Les maladies communicables représentent 50 % du fardeau des maladies des pays en développement. De plus, la pauvreté, parmi d’autres facteurs, affecte directement l’accès aux produits de santé, dont les vaccins, les diagnostics et les médicaments.
Après avoir rappelé l’évolution et le financement de l’oms, nous examinerons les débats et progrès concernant les médicaments essentiels et le problème de la protection des brevets, la propriété intellectuelle, source de conflits entre l’omc et l’oms, entre les pays riches et les pays en développement, ceux-ci soutenus par les ong. Nous donnerons quelques exemples de partenariats, suivis par des exemples de conflits et de pressions, dont la lutte antitabac, et les critiques concernant la gestion par l’oms de la pandémie h1n1.
II – L’évolution de l’oms
Les fonctions de l’oms énumérées à l’article 2 de sa constitution couvrent de nombreux domaines, dont le renforcement des services de santé des gouvernements, l’assistance technique, l’aide d’urgence, la suppression des maladies, la recherche, l’amélioration des normes de l’enseignement et de la formation du personnel de santé.
C’est dans ces domaines que l’oms a surtout travaillé dans ses premières décennies. Avec ses bureaux régionaux, elle s’est employée à renforcer les services de santé des États membres, elle a lancé des campagnes d’éradication du paludisme, un échec, et de la variole (1966-1977), un succès.
Un tournant a été pris avec la Déclaration d’Alma-Ata du 12 septembre 1978 sur les soins de santé primaires, avec l’initiative de « la santé pour tous d’ici l’an 2000 » lancée par le docteur Mahler et l’unicef. Elle a élargi le modèle médical pour joindre à la promotion et à la protection de la santé les facteurs socioéconomiques impliquant la société civile et les communautés – l’équité en matière d’accès aux soins et l’efficacité de la prestation des services étant des objectifs fondamentaux.
L’oms reconnaissait alors que son but « d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible » dépendait de nombreux facteurs dans des domaines extérieurs au strict domaine de la santé publique et de ses institutions nationales et internationales. Elle reconnaissait aussi que les progrès dans le domaine de la santé non seulement dépendaient de la prévention et de la qualité des soins, mais qu’ils étaient tributaires des produits liés à la santé. Par exemple, l’utilisation rationnelle des médicaments dépend de leur efficacité, de leur usage approprié, de leur qualité et de leur disponibilité. La Déclaration d’Alma-Ata a inclus « la fourniture des médicaments essentiels » comme un des éléments des soins de santé primaire (Beigbeder 1999).
III – Le financement de l’oms
À l’origine, le programme de l’oms était financé essentiellement par les contributions fixes que les États membres doivent payer, conformément à l’article 5.6 du Règlement financier dit « budget ordinaire ». Les fonds volontaires ont ajouté des ressources additionnelles modestes dans les années 1960, venant principalement d’autres organes des Nations Unies. Le lancement de grands programmes de contrôle ou d’éradication de maladies a provoqué une augmentation considérable des fonds volontaires et de leur proportion par rapport au budget ordinaire. En 1970, les fonds volontaires constituaient 20 % du budget total de l’oms. Au biennium 1998-1999, ces fonds ont excédé le budget ordinaire pour la première fois – le soutien financier du secteur privé était alors limité à 1 % du budget total de l’oms, auquel s’ajoutaient des donations de médicaments (oms 1999).
Le budget-programme de l’Organisation pour l’exercice biennal 2008-2009 était de 4 217 milliards de dollars, dont seulement 23 % était assuré par le budget ordinaire. Les contributions volontaires étaient en partie seulement « négociées » (soit 600 millions de dollars), c’est-à-dire sans objet désigné ou destinées dans une large mesure aux priorités de l’Organisation. Par contre, les autres contributions volontaires, soit 2 668 milliards, étaient des donations pour des programmes ou partenariats spécifiques qui ne correspondaient pas nécessairement aux priorités de l’oms, et dont la gestion relevait directement d’organes directeurs de ces programmes ou partenariats, et non directement du Conseil exécutif (oms 2008a).
La croissance de la proportion des contributions volontaires dans le budget total de l’oms a causé une dépendance de celle-ci à l’égard de gouvernements, d’autres institutions comme la Banque mondiale ou l’Union européenne ou de fondations telles que la fondation Bill et Melinda Gates ou, encore, d’entreprises pharmaceutiques telles qu’Aventis ou Boehringer (oms 2008b) et, donc, une perte de contrôle des organes directeurs de l’Organisation sur ses programmes et priorités, soit une « privatisation » partielle de l’oms au détriment de ses États membres.
IV – Les médicaments et vaccins essentiels
En 1975, l’Assemblée mondiale de la santé priait le directeur général de développer les activités relatives à l’établissement et à la révision de normes, de directives et d’étalons internationaux pour les substances prophylactiques et thérapeutiques en consultation avec les organisations compétentes, gouvernementales ou non gouvernementales en relations officielles avec l’oms, – et d’aider les programmes des États membres concernant le contrôle réglementaire des médicaments (oms 1975 : 129).
En 1977, un comité d’experts de l’oms a dressé une liste modèle de médicaments essentiels, destinés à satisfaire les soins de santé prioritaires des pays. Cette liste, révisée tous les deux ans, est utilisée par les États, l’unicef, le hcr et les ong. Elle comporte 208 médicaments essentiels. L’Assemblée mondiale de la santé demandait aux États membres d’adopter leurs propres listes.
En 1978, l’Assemblée constatait qu’une grande partie de la population mondiale n’avait pas accès aux médicaments et aux vaccins essentiels, indispensables pour assurer des soins de santé efficaces. S’opposant directement à l’industrie pharmaceutique, elle considérait que la production sur place de ces produits, soit la création de leur propre industrie pharmaceutique, était une aspiration légitime des pays en développement. Elle soulignait l’importance d’une information objective sur les préparations pharmaceutiques et « le risque d’activités promotionnelles incontrôlées de la part des fabricants, particulièrement dans les pays en développement ». Elle priait le directeur général, inter alia, « d’étudier le mode de détermination des prix des produits pharmaceutiques ainsi que des stratégies éventuelles pour les réduire, notamment par l’élaboration d’un code de pratiques commerciales, l’accent étant mis plus particulièrement sur les produits pharmaceutiques qui sont essentiels pour les populations des pays en développement ». Elle demandait la poursuite du dialogue avec les industries (oms 1978 : 129-130).
Par cette résolution, l’Assemblée s’opposait directement aux intérêts des firmes multinationales sur le fond et proposait à nouveau un processus de codification. En 1982, l’Assemblée approuvait la création du Programme d’action pour les médicaments et vaccins essentiels (aped) au sein de l’oms, en vue de faire appliquer la liste modèle. L’industrie pharmaceutique et les États membres des pays riches menés par les États-Unis se sont immédiatement opposés à ce programme, qui aurait pu avoir des répercussions importantes sur les bénéfices des firmes. Onze des dix-huit firmes pharmaceutiques principales étaient basées aux États-Unis. Comme moyen de pression, le gouvernement américain imposait en 1982 le gel du budget ordinaire de l’oms et, en 1985, il bloquait sa contribution en protestation contre l’aped (Lee 2009 : 90-91).
En 1986, l’Assemblée adoptait une nouvelle stratégie des médicaments. En 1988, elle fixait « les critères éthiques de l’oms pour la promotion des médicaments médicinaux » (1988) consacrés à l’usage rationnel des médicaments. Ces critères semblent généralement ignorés, de même que le Code volontaire de pratiques pharmaceutiques adopté par la Fédération internationale des associations de fabricants pharmaceutiques (oms 2009a).
À partir de 1986, l’Assemblée ne s’est plus référée à l’élaboration d’un code international de pratiques commerciales, donnant ainsi satisfaction aux États-Unis, à certains États européens et à l’industrie pharmaceutique. Néanmoins, le concept et la pratique des médicaments essentiels sont maintenant reconnus sur les plans national et international. En 2007, la liste comprenait 340 médicaments, 156 des 193 États membres avaient des listes officielles de médicaments officiels (oms 2007).
Le « projet de présélection » des médicaments, mis sur pied en 2001, est un programme des Nations Unies mis en oeuvre par l’oms pour faciliter l’accès à des médicaments contre le sida, le paludisme et la tuberculose répondant à des normes unifiées de qualité, d’innocuité et d’efficacité. Dès le départ, le projet a reçu le soutien de l’onusida, de l’unicef, du Fonds des Nations Unies pour les activités en matière de population (fnuap) et de la Banque mondiale, parce qu’il apportait une contribution concrète à la réalisation de l’objectif prioritaire des Nations Unies : s’attaquer aux maladies les plus répandues dans les pays n’ayant qu’un accès limité à des médicaments de qualité.
La présélection avait à l’origine pour but d’offrir aux organismes d’achat des Nations Unies, tels que l’unicef, le choix d’une gamme de médicaments de qualité. Avec le temps, la liste des produits (c’est-à-dire des médicaments) répondant aux normes s’est allongée et elle est apparue comme un instrument utile pour l’achat des médicaments en gros, par les pays eux-mêmes ou d’autres organisations. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, par exemple, finance l’achat de médicaments présélectionnés par l’oms.
Ce projet, lancé en 2001, a rencontré l’opposition de l’industrie pharmaceutique et de l’administration américaine.
V – Propriété intellectuelle
Le 14 novembre 2001, la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (omc), réunie à Doha (Qatar), adoptait la Déclaration sur l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce et la santé publique (adpic) (omc 2001). Selon les termes de cette déclaration, les pays en développement étaient autorisés à contourner les monopoles liés aux brevets, lorsque cela est nécessaire pour assurer l’accès aux médicaments pour l’ensemble de leurs populations.
Dans la déclaration, les ministres insistent sur le fait qu’il importe de mettre en oeuvre et d’interpréter l’Accord sur les adpic d’une manière favorable à la santé publique – en promouvant à la fois l’accès aux médicaments existants et l’élaboration de nouveaux médicaments. On y souligne que l’Accord sur les adpic n’empêche pas et ne devrait pas empêcher les États membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. Cette déclaration réaffirme le droit des gouvernements de tirer parti des flexibilités ménagées par l’Accord pour lever les éventuelles réticences qu’ils pourraient avoir. En 2002, il a été décidé que les pays les moins avancés ne seront pas tenus de protéger les brevets pour les produits pharmaceutiques ni les données résultant d’essais jusqu’au 1er janvier 2016.
L’article 5b de la Déclaration de Doha affirmait que « chaque État membre de l’omc a le droit d’accorder des licences obligatoires, et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées ». En particulier, les situations d’urgence nationale liées au sida, à la tuberculose, au paludisme et à d’autres épidémies pourraient constituer de tels motifs. À la différence d’une licence volontaire (que le propriétaire du brevet octroie de lui-même), la licence obligatoire est décidée par le gouvernement d’un État sans l’accord du propriétaire. Mais le recours à ces licences est en pratique extrêmement rare et difficile.
Cependant, le 6 août 2007, un tribunal indien a rejeté la demande du laboratoire suisse Novartis qui avait intenté un procès contre la loi indienne sur les brevets. Selon Médecins sans frontières (msf), ce verdict représentait une victoire immense pour l’accès à des médicaments abordables pour les pays pauvres. Le directeur de la campagne msf d’accès aux médicaments essentiels lançait « un appel à l’industrie pharmaceutique et aux pays riches pour qu’ils ne touchent plus à la loi indienne sur les brevets et qu’ils arrêtent de faire pression sur les pays producteurs de médicaments en vue d’un renforcement de leur système de brevet » (msf 2007).
Après deux ans de négociations intenses, la 61e Assemblée mondiale de la santé a approuvé par consensus, le 24 mai 2008 (WHA61.21), la stratégie et le plan d’action mondiaux en matière de santé publique, d’innovation et de droits de propriété intellectuelle et la résolution qui l’accompagnait. L’oms a ainsi pu mettre en oeuvre le rapport final de la Commission sur les droits de propriété intellectuelle, l’innovation et la santé publique et s’accorder sur un programme global et ambitieux d’intensification de la recherche et du développement de nouveaux médicaments et de vaccins répondant aux besoins spécifiques des pays en développement, d’une part, et d’optimisation de l’accès aux médicaments, de l’autre.
La résolution de 2008 rappelle que la Déclaration de Doha ne doit pas empêcher les États membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. Les accords sur la propriété intellectuelle internationale contiennent des flexibilités qui peuvent faciliter un accès accru des pays en développement aux produits pharmaceutiques à meilleurs prix, y compris un accès aux médicaments génériques, alors que le prix des médicaments est un des facteurs qui peuvent empêcher l’accès aux médicaments. La stratégie se concentre sur les éléments suivants : la priorité donnée aux besoins en matière de recherche-développement ; la promotion de la recherche et du développement ; la constitution et l’amélioration d’une capacité novatrice ; l’amélioration de l’acheminement et de l’accès ; la promotion du financement durable ; la mise en place de systèmes de surveillance et celle d’établissement de rapports.
À la 62e Assemblée mondiale de la santé de mai 2009, après un débat animé, les États membres ont adopté un plan d’action final sur la santé publique, l’innovation et la propriété intellectuelle comportant une liste agréée de partenaires qui participeront au processus, ainsi qu’un calendrier et des indicateurs permettant de suivre les progrès. Le plan d’action vise notamment à favoriser l’innovation et à améliorer l’accès aux médicaments pour les maladies qui touchent davantage les pauvres.
Des discussions ont également eu lieu sur la possibilité de rédiger un traité sur la recherche et le développement biomédical, à l’initiative du Bangladesh, de la Barbade, de la Bolivie et du Surinam et avec le soutien d’ong. La Stratégie globale proposait des discussions exploratoires sur l’utilité d’un éventuel traité pour la recherche et le développement biomédical essentiels à la santé. Les États-Unis et l’Union européenne ont estimé que l’oms n’était pas le forum approprié pour de telles discussions. De même, la proposition de placer l’oms comme partie prenante (stakeholder) pour la négociation d’un tel traité a été retirée contre l’avis de plusieurs pays en développement et des ong, dont Essential Action, Health Action International, Knowledge Ecology International et Médecins sans frontières. Le conseiller juridique de l’Organisation a néanmoins affirmé que la question du traité serait légitimement examinée par le Conseil exécutif de l’oms.
VI – Les partenariats public-privé pour la santé
En janvier 1999, au Forum économique mondial de Davos, Kofi Annan a proposé un « Pacte mondial » entre l’ONU et le monde des affaires, une initiative révolutionnaire. Ce pacte demande que les entreprises alignent leurs stratégies et leurs opérations sur des principes universels concernant les droits de l’homme, les normes du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption. Des milliers de participants dans plus de cent pays ont adhéré au Pacte mondial, dont l’objectif principal est de promouvoir la légitimité sociale des entreprises et des marchés, sur une base volontaire, non contraignante. Une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (Rés. 60/215) de 2005 a souligné l’importance du rôle que jouent les partenariats volontaires dans la réalisation des objectifs de développement et a encouragé les partenariats public-privé, notamment dans le domaine de la santé.
Le Pacte mondial a été critiqué par les ong, qui ont souligné le danger pour l’onu de s’engager dans des programmes avec les entreprises multinationales toutes puissantes. Malgré ces critiques, l’initiative d’Annan a ouvert le système des Nations Unies au monde des affaires.
Le troisième directeur général de l’oms, le docteur H. Mahler (1973-1988), avait déjà lancé deux programmes en partenariat, la lutte contre l’onchocercose en 1974 et l’éradication de la poliomyélite en 1988.
Le docteur G.H. Brundtland, qui a succédé au docteur H. Nakajima (1998-2003), a suivi la voie déjà ouverte par ses prédécesseurs en engageant l’oms dans de nouveaux partenariats public-privé, avec les mêmes avantages et les mêmes dangers. Ces partenariats associent l’oms avec d’autres institutions internationales ou régionales, des programmes bipartites, des fondations, des ong et avec le secteur privé à but lucratif dans des programmes spécifiques, tels que la lutte contre le paludisme, la tuberculose, le sida, la recherche de vaccins pour le sida, le financement et la fourniture de médicaments ou de produits gratuits ou à prix réduit.
En 2000, les Principes directeurs applicables à la collaboration avec le secteur privé en matière de santé de l’oms (2000) constataient que l’oms entretient régulièrement avec les entreprises commerciales différents types de relations, dont la participation à des alliances, la recherche et le développement de produits pour améliorer la santé, et des activités visant à obtenir pour l’oms des dons en espèces ou en nature, et autres (Buse et Waxman 2002).
L’article 13 demande à l’oms d’éviter toute collaboration indirecte, en particulier une collaboration organisée par un tiers agissant en qualité d’intermédiaire entre l’oms et l’entreprise commerciale. Les articles 15 et 16 demandent à l’Organisation de ne pas solliciter ou accepter des fonds d’entreprises qui sont directement intéressées d’un point de vue commercial au résultats du projet auquel elles apporteraient leur contribution – et de faire preuve de prudence avant d’accepter un tel financement. L’article 27 demande que, pour des raisons de transparence, les contributions reçues d’entreprises commerciales soient reconnues publiquement.
VII – Exemples de partenariats public-privé
A — La lutte contre l’onchocercose (la cécité des rivières)
L’oms a lancé en 1974 le Programme de lutte contre l’onchocercose en Afrique de l’Ouest (ocp) en collaboration avec trois autres agences des Nations Unies, à savoir la Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour le développement (pnud) et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (fao). Elle a été soutenue par une coalition de plus de 20 pays et agences. L’oms a dirigé le programme financé par un fonds spécial de la Banque mondiale, chargée de mobiliser les ressources. Le Programme a couvert 1 200 000 km² pour protéger 30 millions de personnes des conséquences de la « cécité des rivières ».
Pendant des années, les interventions de l’ocp ont été exclusivement basées sur la seule méthode alors disponible, l’épandage d’insecticides avec des hélicoptères et des avions sur les sites de reproduction des simulies afin de tuer leurs larves. Grâce à la donation de Mectizan (ivermectine) par Merck & Co. en 1987, les interventions de lutte ont changé. À une lutte exclusive contre le vecteur par des larvicides s’est ajouté un traitement exclusivement à l’ivermectine. L’ocp a été officiellement fermé en décembre 2002 après avoir pratiquement stoppé la transmission de la maladie dans tous les pays participants, sauf la Sierra Leone où les interventions ont été interrompues par une guerre civile pendant dix ans.
Le bénéfice global de cette intervention a été de prévenir 600 000 cas de cécité. Dix-huit millions d’enfants, nés dans des zones maintenant sous contrôle, ont échappé au risque de la « cécité des rivières » et 25 millions d’hectares de terres ont été remis en culture. L’ocp a clairement démontré le rôle important joué par le partenariat pour l’amélioration de la santé et son impact sur le développement socioéconomique dans des régions éloignées et négligées (oms 2010e).
Les agences parrainantes ont lancé en 1995 le Programme africain pour la lutte contre l’onchocercose (apoc) pour le reste de l’Afrique. L’apoc est un plus grand programme de partenariat que l’ocp, comprenant 19 pays partenaires, dans lesquels participent les ministères de la Santé et leurs communautés endémiques, plusieurs ong de développement internationales et locales, le secteur privé (Merck & Co.), des donateurs privés et des agences de l’onu. La Banque mondiale est l’agent fiscal et l’oms est l’agence d’exécution du programme. Le traitement à l’ivermectine sous directive communautaire en est la stratégie. Il délègue aux communautés locales la lutte contre « la cécité des rivières » au niveau de leurs propres villages. Le programme, qui a été prolongé jusqu’à 2015, a pour but de traiter annuellement plus de 90 millions de personnes dans les 19 pays, protégeant ainsi une population à risque de 115 millions et prévenant plus de 40 000 cas de cécité chaque année (oms 2009c).
B — L’éradication de la poliomyélite
L’Initiative mondiale d’éradication de la poliomyélite a été lancée par l’Assemblée mondiale de la santé en 1988. Elle est soutenue par des gouvernements[1], l’oms, l’unicef, les us Centers for Disease Control and Prevention (cdc), le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (les partenaires du secteur privé comprennent Aventis Pasteur, De Beers et Wyeth). Rotary International et la Fondation Bill et Melinda Gates apportent un important financement à cette campagne. Les bureaux et membres de Rotary International fournissent une aide directe aux campagnes de vaccination. En janvier 2009, les deux institutions ont annoncé un nouvel engagement de 355 millions de dollars pour le programme. De nouveaux fonds ont également été offerts par l’Allemagne et le Royaume-Uni. Aventis Pasteur a donné 120 millions de doses de vaccin oral en 2005.
Avant l’Initiative, la polio était endémique dans plus de 125 pays sur cinq continents, paralysant plus de 1 000 enfants par jour. À la fin de 2009, il restait 1 517 cas déclarés dans 26 pays – en Inde, au Pakistan, en Afghanistan, au Nigéria et dans d’autres pays africains.
C — Les vaccins
L’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (gavi 2009) a été lancée en 2000. Cette coalition réunit des gouvernements (États-Unis, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni), l’oms, l’unicef, la Banque mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation Rockefeller, la Fédération internationale de l’industrie du médicament et des institutions de recherche et de développement. Ses objectifs sont, entre autres, d’améliorer l’accès aux services permanents de vaccination et d’accélérer les efforts de recherche et de développement sur les vaccins dont ont particulièrement besoin les pays en développement. Selon The Lancet (2009a : 1393), on estime que 2,5 millions de morts d’enfants sont évitées chaque année grâce aux vaccinations recommandées par l’oms contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la polio, la rougeole et l’hépatite B.
Le Fonds mondial pour les vaccins de l’enfant constitue un dispositif financier indépendant pour mobiliser de nouvelles ressources en faveur de la vaccination et les acheminer rapidement vers les systèmes de santé des pays en développement. Le Fonds a été créé avec une contribution initiale de la Fondation Bill et Melinda Gates d’un montant de 750 millions de dollars. En janvier 2010, Bill et Melinda Gates ont annoncé que leur fondation consacrerait dix milliards de dollars sur les dix ans à venir au développement et à la distribution de vaccins destinés aux enfants de pays en développement. La plupart des autres ressources proviennent de contributions gouvernementales – Canada, Pays-Bas, Norvège, Royaume-Uni, États-Unis – et d’argent collecté par l’International Finance Facility for Immunisation. Cette institution est chargée de mobiliser des ressources pour le Fonds mondial pour les vaccins. Les sommes sont recueillies directement auprès des États, sous forme d’obligations garanties par la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède. Ses décisions suivent les recommandations du Conseil de gavi.
Tous les pays ayant un pnb inférieur à 1 000 $ par habitant (74 pays) peuvent soumettre des demandes au Fonds pour bénéficier de mise à disposition de vaccins et du renforcement des services gouvernementaux de vaccination.
D — L’accès aux médicaments et la recherche
L’oms participe également à l’Initiative pour accélérer l’accès (Accelerating Access Initiative), créée en 2000, qui a pour objet d’améliorer l’accès aux médicaments contre le sida (oms 2010f). Les autres partenaires sont l’onusida, l’unicef, le Fonds des Nations Unies pour la population (fnuap), la Banque mondiale et six sociétés pharmaceutiques[2]. En 2007, 830 000 patients dans des pays en développement ont pris un ou plusieurs médicaments antirétroviraux à des prix réduits, fournis par une des sociétés.
L’Initiative sur les médicaments pour les maladies négligées
Médecins sans frontières (msf) a reçu le prix Nobel de la paix en 1999. L’ong a utilisé ces fonds, et ceux de ses sections nationales, pour créer un modèle alternatif pour la recherche et le développement de nouveaux médicaments pour des maladies négligées. Sept organisations ont créé cette initiative en 2003 : cinq organisations du secteur public, la Fondation Oswaldo Cruz (Brésil), le Indian Council for Medical Research, le Kenya Medical Research Institute, le ministère de la Santé de Malaisie et l’Institut Pasteur, msf et le Programme pnud/Banque mondiale/le Programme spécial de l’oms pour la recherche et la formation en maladies tropicales (oms 2010g).
E — Financement
Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme
Le Fonds, créé en 2002, associe des gouvernements, la société civile, le secteur privé et les communautés concernées (Fonds mondial 2010). Il travaille en étroite coopération avec d’autres organisations bilatérales et multilatérales, dont l’oms, pour réunir des fonds et financer des programmes. Il est devenu la principale source de financement des programmes de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Pour l’exercice 2010-2011, le Fonds a obtenu 2,4 milliards de dollars pour cette lutte[3].
VIII – Conflits avec le secteur privé
L’oms coopère avec le secteur privé à but lucratif, dont les instituts de recherche et les laboratoires pharmaceutiques nationaux, par des partenariats public-privé et au sein de réunions d’experts. Certains de ses programmes sont financés en partie par des industries pharmaceutiques. L’Organisation est accusée par ses censeurs d’être « sous l’influence » de ses partenaires du secteur privé, dont les actionnaires recherchent le profit, alors que l’objectif de l’oms est la promotion de la santé publique.
Quelques exemples de pressions ou d’allégations d’interférence par l’industrie auprès de l’oms sont donnés ci-dessous.
A — La Convention-cadre antitabac, 2003
L’usage du tabac reste la cause majeure des décès évitables. Environ 5 millions de personnes meurent chaque année de cette maladie « transmise » par la publicité et le parrainage. Le programme de lutte contre le tabac a été lancé par l’oms dans les années 1970 sans proposition de codification internationale. En 1994, l’oms notait que cette lutte se heurtait à la puissance d’une industrie qui utilisait tous les moyens pour discréditer son programme. Les profits de l’industrie sont énormes : les cinq plus grandes multinationales du tabac retirent chaque année de leurs ventes un revenu qui représente plus de 60 fois le budget annuel de l’oms (1994).
En mai 1996, l’Assemblée mondiale de la santé priait le directeur général d’entreprendre l’élaboration d’une convention-cadre conformément à l’article 19 de la constitution. Ce n’est qu’en 1999, un an après que le docteur Brundtland eut reconnu la lutte globale contre le tabac comme une de ses priorités (avec le paludisme), que les travaux préparatoires d’une convention ont commencé. Ceux-ci ont inclus des auditions publiques avec les instances de la communauté de la santé publique, l’industrie du tabac et des groupes d’agriculteurs. L’Alliance pour la Convention-cadre a réuni 300 ong dans plus de 100 pays. L’oms a réussi à contrer les efforts de l’industrie en vue de construire ses propres alliances avec d’autres agences des Nations Unies, dont la Banque mondiale.
La Convention-cadre fut adoptée par l’Assemblée par consensus le 21 mai 2003, malgré la forte opposition et les manoeuvres de l’industrie du tabac et la résistance d’une partie du secrétariat de l’oms qui aurait préféré une réglementation non contraignante, semblable au Code international de commercialisation des substituts du lait maternel. La Convention-cadre est entrée en vigueur le 27 février 2005. Ce premier traité international concernant la santé publique a été ratifié par 167 États (décembre 2009).
Cette campagne – et son succès –, avec un large éventail de parties prenantes, a mis en valeur l’importance des facteurs économiques de la santé. Elle a également montré que l’oms a su mener à bien cette réglementation dans l’intérêt de la santé publique malgré les obstacles créés par l’industrie du tabac, avec l’appui des États membres, dont les États-Unis.
B — GlaxoSmithKline finance l’oms indirectement
Selon un article publié par le périodique British Medical Journal (bmj 2007), le directeur du Département de la santé mentale aurait demandé à une organisation de malades (The European Parkinson’s Disease Association) en juin 2006 d’obtenir une donation de 10 000 $ de GlaxoSmithKline (gsk) pour financer la publication d’un rapport sur les maladies neurologiques dans les pays pauvres, y compris la maladie de Parkinson. L’Association aurait alors envoyé la somme à l’oms, qui en accuserait réception sans mentionner gsk, une violation caractérisée des Principes directeurs applicables à la collaboration avec le secteur privé en matière de santé (oms 2000).
Dans les années 1990, à la suggestion de la World Psychiatric Association (Association mondiale de psychiatrie), la Division de santé mentale de l’oms a publié un rapport recommandant l’utilisation à long terme de médicaments benzodiazépines addictifs. Les fabricants de ce médicament ont acheté de nombreux exemplaires du rapport, et une entreprise fit une donation de 500 000 $ à la Division.
Ces errements constituent un problème éthique, lié aux difficultés de financement des activités de l’oms. Ces considérations expliquent mais ne justifient pas que des fonctionnaires de l’oms acceptent pour leur département des subventions du secteur privé en contravention avec les principes en vigueur, et sans preuves d’un examen rigoureux des qualités des produits recommandés par l’industrie.
C — Les fabricants de sucre
La publication du rapport de l’oms sur le régime, la nutrition et la prévention des maladies chroniques (Diet, Nutrition and the Prevention of Chronic Diseases) en 2003 a déchaîné une violente campagne de l’Association américaine du sucre (Sugar Association) contre l’oms (2003). Le rapport recommande une limite de 10 % de sucres (free sugars) dans l’énergie contenue dans les régimes nutritionnels afin d’éviter l’obésité, y compris dans les boissons sans alcool riches en sucres. Cette association, avec le soutien de six groupes de fabricants alimentaires[4], a demandé au Congrès des États-Unis de bloquer son financement à l’oms à moins que l’Organisation ne retire les directives de son rapport, et a écrit au secrétaire américain à la Santé, Tommy Thompson, en lui demandant d’user de son influence pour le retrait du rapport. L’Association a convaincu 40 ambassadeurs à Genève d’écrire à l’oms dans le même sens. Elle s’est efforcée de discréditer les bases scientifiques du rapport des 30 experts indépendants d’autant de pays, en prétendant que le rapport « causerait des dommages irréparables aux pays en voie de développement ». La position des fabricants est que la limite doit être portée de 10 % à 25 % et rejette la conclusion que les boissons sucrées sans alcool contribuent à l’obésité.
Ces extraordinaires réactions, semblables à celles de l’industrie du tabac quand le Convention-cadre était en discussion, montrent la puissance de l’industrie par rapport à une organisation intergouvernementale, en même temps que l’importance ou l’influence potentielle de rapports ou de positions prises par l’oms à l’égard de l’industrie et de leurs effets sur les profits. Dans ce cas, l’oms a su maintenir la position prise par ses experts.
D — L’achat de Tamiflu de Roche par l’oms
Selon le Financial Times du 22 octobre 2009, l’oms se préparait à dépenser 500 millions de dollars pour acheter le Tamiflu pour la grippe A de la firme suisse Roche à un peu plus de 8 dollars le paquet, alors que l’indien Cipla vend un générique à 5,50 dollars. Y avait-il « anguille sous Roche » ? Un exemple de favoritisme coûteux de la part de l’oms, une liaison dangereuse avec l’industrie ? Ou, simplement, une différence de qualité des produits ?
E — La pandémie H1N1
Le 11 juin 2009, l’oms annonçait qu’une pandémie de grippe H1N1 était en cours : la phase 6 d’alerte était déclarée, dans le cadre du Plan mondial oms de préparation à une pandémie de grippe. Cette décision de la directrice générale de l’oms, docteure Margaret Chan, faisait suite à un avis unanime dans ce sens des membres du Comité d’urgence, formé conformément au Règlement sanitaire international, et de représentants supplémentaires de huit pays[5].
Selon l’oms, le virus grippal H1N1 était, sur les plans génétique et antigénique, très différent d’autres virus grippaux circulant dans les populations. Il pouvait provoquer des cas de maladie sévère, des décès. Sa propagation géographique a été exceptionnellement rapide. Le 1er juillet 2009, des cas d’infection avaient été confirmés dans 120 pays et territoires (oms 2010b). Le 12 février 2010, l’oms annonçait que le virus H1N1 avait tué au moins 15 292 personnes. On estime que les épidémies annuelles de grippes saisonnières entraînent entre 3 et 5 millions de cas graves et 250 000 à 500 000 décès par an dans le monde.
L’oms a alors été l’objet de nombreuses attaques des médias et de spécialistes, l’accusant d’avoir surestimé le risque de la grippe H1N1 sous la pression de l’industrie pharmaceutique (The Market Oracle 2009 ; L’Humanité 2010). En effet, les grandes sociétés pharmaceutiques ont fait des ventes et des bénéfices considérables liés à la pandémie H1N1 : les ventes du vaccin étaient estimées (novembre 2009) à plus de 7 milliards de dollars, qui passeraient à 18 milliards si la pandémie s’aggravait. Sanofi-Aventis (France) s’attendait à une augmentation de ses profits de 11 % en 2009. GlaxoSmithKline (Royaume-Uni) estimait les revenus annuels de la vente de ses vaccins à environ 4 milliards de dollars. En novembre 2009, elle a fait une donation de 50 millions de vaccins à l’oms (environ 10 dollars la vaccination) (The Globe and Mail 2009).
Les terrains d’attaque étaient d’abord que des « experts » de l’oms siégeant au Comité d’urgence et au comité sage, ou certains d’entre eux, avaient des liens d’intérêts avec des firmes pharmaceutiques, ce qui pourrait avoir influencé leurs avis[6]. En outre, les critères de déclaration de pandémie de 2005 ont été modifiés par l’oms en mai 2009 : alors que la définition antérieure exigeait qu’un nouveau virus puisse entraîner des taux élevés de mortalité, cette exigence a été supprimée, remplacée par une propagation et par des flambées dans plusieurs pays et régions.
Le 26 janvier 2010, l’oms devait s’expliquer au cours d’une audition publique de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (apce). Cette audition avait été provoquée par la proposition du docteur Wolfgang Wodarg, expert médical spécialiste en épidémiologie et ancien président de l’apce, et de treize de ses collègues, demandant des enquêtes immédiates sur les campagnes sur la grippe aviaire et la grippe porcine qui « semblent avoir causé de nombreux dommages, non seulement pour certains patients vaccinés et pour les budgets de santé publique mais aussi pour la crédibilité et la responsabilité d’importantes agences sanitaires internationales » (Conseil de l’Europe 2009 ; Le Monde 2010a).
Le représentant de l’oms, le docteur Keiji Fukuda, répondait à ces critiques en détail, en précisant que la politique et les mesures recommandées et prises par l’oms n’ont pas été « indûment influencées par l’industrie pharmaceutique ». Tout en reconnaissant que la coopération mondiale avec des partenaires divers, dont le secteur privé, est essentielle pour relever les défis de la santé publique, il soulignait qu’il existait de « nombreux garde-fous pour gérer les conflits d’intérêts, réels ou perçus, au sein des groupes consultatifs et des comités d’experts de l’oms » (oms 2010a).
À la suite de cette audition, l’apce a demandé la préparation d’un rapport sur le sujet, qui a été confiée au parlementaire britannique Paul Flynn. Le rapport pourra être débattu par l’Assemblée en juin ou en octobre 2010 (Le Monde 2010b).
L’oms a déclaré qu’un examen de la gestion de la pandémie serait conduit par des experts indépendants et que ses résultats seraient publiés. Cependant, cet examen ne commencerait pas avant que la pandémie ne soit déclarée terminée (Foulkes 2010 ; Flahault 2010)[7]
Conclusion
L’oms participe à de nombreux partenariats, mais elle n’apparaît pas comme la partenaire principale. La visibilité de l’oms a été diminuée par les programmes de santé publique financés ou entrepris par la Banque mondiale, et par les interventions dans son domaine par des fondations américaines opulentes, dont la Fondation Bill et Melinda Gates. La croissance des « contributions volontaires » par des gouvernements, d’autres organisations intergouvernementales, des fondations et l’industrie pharmaceutique a causé une dépendance de l’oms par rapport à ses partenaires, et entraîné le danger d’une déviation de ses programmes par rapport à ses propres priorités[8]. L’oms peine à maintenir sa position d’« autorité directrice et coordinatrice, dans le domaine de la santé, des travaux ayant un caractère international », comme le demande sa constitution (art. 2 a). Les critiques formulées à l’égard de sa gestion de la pandémie H1N1 l’ont ébranlée, en attendant de voir si le rapport à venir du Conseil de l’Europe et sa propre évaluation lui donnent raison.
L’oms reste un organisme international nécessaire, en particulier dans le domaine de la réglementation et de la normalisation, pour alerter les États de risques d’épidémies ou de pandémies, pour lancer des programmes de lutte ou d’éradication de maladies, pour intervenir dans les catastrophes humanitaires. Elle peut et doit s’imposer à nouveau par sa compétence basée sur une rigueur technique, sa transparence, son indépendance à l’égard de la politique et par rapport aux puissantes firmes pharmaceutiques.
Les objectifs de l’oms, la santé publique mondiale et son soutien aux pays en développement, ne sont pas les mêmes que ceux du secteur privé, qui doit faire des bénéfices pour ses actionnaires. L’industrie pose des obstacles aux baisses du prix des médicaments, aux médicaments génériques et à leur production dans les pays en développement. Elle résiste aux demandes de l’oms d’une exception pour la santé dans les débats à l’omc, et d’une plus grande flexibilité dans la mise en oeuvre des accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.
La collaboration de l’oms avec ses partenaires, y compris avec le secteur privé, bénéfique pour les populations concernées, est une nécessité et un acquis, concrétisés par des partenariats et alliances. Sa coopération avec l’industrie est nécessaire, en raison du rôle de l’industrie pharmaceutique dans la production et la fourniture de médicaments et de vaccins, l’innovation et la recherche. L’oms bénéficie des partenariats public-privé sur le plan technique par l’expertise des fabricants et des chercheurs et, sur le plan financier, par des financements en complément des contributions gouvernementales et de fondations.
Que peut faire l’oms dans ses rapports avec l’industrie ? Assurer une base scientifique à ses prises de position publiques, par l’intermédiaire de comités d’experts réellement indépendants et une plus grande transparence. Convaincre les gouvernements d’accepter une réglementation des politiques et des pratiques de l’industrie ou, à défaut, encourager les firmes à adopter des codes volontaires de pratiques qui prennent en compte les besoins sanitaires des populations, particulièrement ceux des pays en développement, et effectuer des contrôles impartiaux de leurs pratiques. Aider les pays en développement à recourir à des licences obligatoires et à développer leur production de médicaments, y compris les médicaments génériques, tout en insistant sur le respect des normes de qualité. L’oms doit continuer de promouvoir la nécessité d’un contrôle international de la qualité des produits pharmaceutiques. Le rôle des ong de proposition et de vérification est crucial dans toutes ces activités.
Tout en collaborant avec l’industrie et ses autres partenaires, l’oms doit maintenir son intégrité en faisant respecter des règles éthiques de participation aux partenariats, en renforçant son expertise technique et en assurant son autonomie, conditions nécessaires au respect de ses recommandations et conseils.
Parties annexes
Note biographique
Yves Beigbeder
Ancien fonctionnaire de l’Organisation mondiale de la santé (oms).
Notes
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[1]
Treize pays de l’ue, l’Australie, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Qatar, la Russie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, les États-Unis apportent une assistance financière à l’Initiative (gpei s. d.).
-
[2]
Abbott, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, GlaxoSmithKline, Merck & Co. et Hoffmann-La Roche.
-
[3]
Le financement du Fonds a été assuré principalement par les États-Unis, le Japon, la Commission européenne et des pays européens, ainsi que par la Fondation Bill et Melinda Gates.
-
[4]
Cette coalition comprend the US Council for International Business qui représente plus de 300 sociétés, dont Coca-Cola et Pepsico (Boseley 2003).
-
[5]
Le Comité d’urgence conseille le directeur général sur les questions en rapport avec la proclamation d’une urgence de santé publique et la nécessité de relever le niveau d’alerte à la pandémie. Le directeur général prend les décisions finales après avoir reçu l’avis du Comité. Pour son action contre la pandémie, l’OMS demande également l’avis d’un groupe permanent d’experts, le Groupe stratégique consultatif d’experts sur la vaccination (SAGE), qui conseille l’Organisation sur l’utilisation des vaccins (oms 2009b ; oms 2010c). Les huit pays sont l’Australie, le Canada, le Chili, l’Espagne, les États-Unis d’Amérique, le Japon, le Mexique et le Royaume-Uni. La phase 6, ou phase de pandémie, se caractérise par la propagation interhumaine du virus dans au moins deux pays d’une région de l’oms et par des flambées à l’échelon communautaire dans au moins un pays d’une autre région de l’oms (2010d).
-
[6]
Dix des quinze membres du Comité sage ont des liens avérés avec des firmes pharmaceutiques. Selon Le Monde (2010c), trois experts sanitaires sur quatre de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ont des intérêts dans l’industrie pharmaceutique. Les experts internationaux viennent de listes d’experts nationaux.
-
[7]
Le docteur Fukuda a mentionné dans une conférence de presse virtuelle tenue le 14 janvier 2010 qu’une évaluation serait effectuée par des personnes non liées à l’oms (2010a).
-
[8]
Les plus grands donateurs en santé publique sont la Banque mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates, le gouvernement américain et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Les partenariats ont souvent attiré des fonds dont l’oms aurait pu bénéficier (The Lancet 2008 : 1185 ; 2009b : 201).
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