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Cet ouvrage aborde la question des politiques de la Russie à l’égard de son territoire nordique, Sibérie et Extrême-Orient. Il offre une analyse des politiques publiques menées par Moscou et les gouvernements régionaux, mais discute également des dimensions internationales de ces politiques.
L’ouvrage est publié dans un contexte de changements climatiques majeurs dans la région arctique, qui suscite de vifs débats quant à leur impact potentiel sur l’exploitation des ressources naturelles, le développement de la navigation ou les sociétés autochtones de ces territoires. Les pays de l’Arctique réagissent souvent avec une rhétorique militaire, voire agressive, en particulier la Russie et le Canada. De nombreuses publications viennent contribuer à ce débat sur les politiques gouvernementales, les relations régionales et les transformations en cours de l’Arctique, mais la plupart sont, en anglais ou en français, centrées soit sur l’Amérique du Nord, soit sur une approche fortement empreinte d’une dramatisation excessive qui n’aide pas à la compréhension des phénomènes en cours : les questions de la souveraineté, supposément menacée dans le cas du Canada, occupent la part du lion de ces productions contemporaines.
On trouve peu d’ouvrages sur la politique arctique soviétique ou russe, ou alors ces ouvrages n’abordent que des aspects spécifiques ou techniques. On relève, par exemple, Russia and the Arctic. The Last Dash North, de M. Smith et G. Keir (2007) ; Remote Sensing of Sea Ice in the Northern Sea Route. Studies and Applications, de O. Johannessen et al. (2006) ; The 21st Century-Turning Point for the North Sea Route ?, de C. Ragner (2000) ; Maritime Claims in the Arctic. Canadian and Russian Perspectives, d’É. Franckx (1993) ; et The Soviet Arctic, de P. Horensma (1991). De ce point de vue, la publication de Russia and the North vient combler un certain vide dans la littérature en anglais ou en français, en apportant un éclairage pertinent sur les politiques contemporaines de la Russie à l’endroit de son nord et de l’Arctique.
L’ouvrage, partant du constat de l’importance stratégique du territoire sibérien et de l’Extrême-Orient russe (20 % du pib russe et 22 % de ses exportations), se propose d’examiner les éléments clés de la politique russe. Approche utile, il ne se cantonne pas dans l’analyse des interactions internationales de Moscou avec ses voisins, mais souligne aussi la complexité et l’importance de la dimension intérieure, des rivalités de pouvoirs, de la dialectique centre-périphérie dans l’élaboration de ces politiques russes vis-à-vis du Nord. Dans le cadre postsoviétique, de 1991 à 2009, la Russie a connu une histoire économique et politique tourmentée, faite de crises et de rebonds, de phases de décentralisation, puis de reconcentration des pouvoirs. Faire l’économie de ce contexte intérieur ne permet pas de comprendre la politique russe actuelle.
Un premier chapitre détaille la posture militaire russe, utile écho aux alarmes médiatiques dans la mesure où l’auteur module considérablement la portée de cette prétendue « menace russe » dans l’Arctique. Deux chapitres évoquent la politique de mise en valeur des ressources naturelles, pêche d’une part, hydrocarbures d’autre part, en abordant ces questions essentiellement sous l’angle de la gestion du gouvernement fédéral. Deux autres chapitres traitent de la place faite aux nombreux peuples autochtones ; un chapitre étudie la coopération régionale avec la Norvège, la Suède et la Finlande dans le cadre de l’euro-région Barents, un autre aborde la question des impacts des changements climatiques et des politiques russes pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre, tandis que le dernier traite des impacts de la transition de l’économie soviétique vers une économie de marché sur l’aménagement du territoire, en particulier sur le déclin démographique des régions du nord. Bref, un éventail diversifié d’aspects sont abordés afin de décrire, de qualifier la politique russe à l’égard son nord, avec un grand absent : la politique de développement portuaire et de la navigation dans la Route maritime du nord, où Moscou espère voir le trafic se développer afin de financer sa coûteuse flotte de brise-glace nucléaires.
Pour intéressant que puisse être chacun de ces chapitres, le choix de structure présente deux défauts. Tout d’abord, en se concentrant sur les aspects de gouvernance, de présentation de la politique du gouvernement fédéral russe, les auteurs négligent souvent de faire un état des lieux, une analyse des enjeux actuels des secteurs abordés : Que représente le secteur des pêches à l’heure actuelle dans l’économie nationale et régionale ? Quel impact ce secteur a-t-il sur les stocks et sur les relations avec les voisins ? Comment la production d’hydrocarbures a-t-elle évolué ? Qui sont les peuples autochtones sibériens, où vivent-ils, quels sont leurs problèmes et leurs revendications ? Certes, donner ces informations supposait d’ajouter quelques pages, mais l’information aurait certainement été appréciée du lecteur, qui aurait ainsi pu replacer le discours sur la gouvernance dans le contexte des problématiques économiques, sociales et politiques contemporaines.
Ensuite, travers souvent observé dans les ouvrages collectifs, les chapitres semblent « déconnectés » les uns des autres. L’introduction et la conclusion s’efforcent certes de synthétiser l’information, et de souligner le rôle prépondérant des luttes politiques à Moscou dans la définition de la politique russe envers son nord, et les auteurs des divers chapitres renvoient parfois à d’autres textes dans l’ouvrage, mais la succession des chapitres donne l’impression d’un recueil de textes, intéressants certes, mais plus ou moins bien assemblés.
Bref, un ouvrage intéressant, certes point parfait, mais qui vient combler un besoin, celui de resituer la politique arctique russe dans son contexte politique et économique intérieur.