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L’Organisation mondiale du commerce (omc) a été mandatée par les gouvernements pour réaliser le plein emploi, en visant une croissance économique stable et un meilleur niveau de vie pour ses plus de 150 membres. Cet organisme a maintenant pour objectif d’assurer une utilisation optimale des ressources mondiales dans un contexte de développement durable. Le souci d’atteindre ces objectifs ainsi que ceux du cycle de Doha pousse l’omc à s’aventurer dans des domaines non traditionnels pour la politique commerciale. En conséquence, l’omc est devenue l’un des organismes clés d’une structure globale d’institutions et d’accords internationaux qui se chevauchent et qui sont amenés à prendre des décisions majeures. Les décisions de l’omc façonnent les politiques intérieures des pays membres ainsi que la gouvernance mondiale. Plusieurs voient dans ce rôle approfondi de l’omc une atteinte potentielle à la souveraineté nationale. Or, quel devrait être le rôle de l’omc dans la gouvernance mondiale ? Voilà la question centrale à l’origine de ce livre.
L’ouvrage contient une grande variété de points de vue de personnalités éminentes qui se penchent sur les incidences en matière de gouvernance mondiale des domaines de politique commerciale sous l’égide de l’omc. Il propose des pistes et des orientations permettant de créer des politiques plus cohérentes aux niveaux national et international. Les personnalités se succèdent : Pascal Lamy (directeur de l’omc), Louise Arbour (Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme), Supachai Panitchpakdi (secrétaire général de la cnuced ), Celsio Amorim (ministre des Affaires extérieures du Brésil) et Juan Somavia (directeur de l’Organisation internationale du travail) pour ne nommer que les principaux.
Les auteurs partent de la prémisse que le gatt, et maintenant l’omc, au cours de ses soixante ans d’existence, a été un succès majeur en matière de coopération internationale. Malgré ce fait, les points de vue sur la performance de l’omc divergent grandement. Des critiques de la mondialisation soutiennent que l’omc fait preuve d’une approche hégémonique sur les questions mondiales et qu’elle impose ses positions en matière de développement économique. D’autres encore condamnent la formulation de règles commerciales dans des forums peu transparents.
Les auteurs cherchent à faire la lumière sur les orientations futures que pourraient prendre l’omc et le régime multilatéral du commerce. Il apparaît clairement de chacune des contributions à l’ouvrage que la coordination entre les différentes organisations internationales en ce qui concerne les domaines non traditionnels du commerce est essentielle. La conjoncture commerciale internationale pose un défi critique à l’omc : comment contribuer de façon constructive aux objectifs internationaux en matière d’environnement, de droits de la personne et de normes du travail tout en continuant à fonctionner efficacement comme l’organisme international du commerce ?
Gary Sampson conclut que l’omc dispose déjà des outils institutionnels et légaux pour bien aborder les questions non commerciales qui viennent colorer le paysage commercial actuel et probablement celui de demain. Selon lui, modifier les règles de l’omc, pour faire de cet organisme un mécanisme de régulation en matière de droits de la personne, de l’environnement et des normes du travail, aurait pour effet de donner à l’organisation un mandat en matière de gouvernance mondiale pour lequel celle-ci n’a pas été conçue. En somme, les règles de fonctionnement de l’omc, établies depuis six décennies, ne devraient pas être modifiées pour ne pas nuire à l’efficacité de cette institution. La portée de l’omc a été sciemment étendue à des domaines ayant un effet de premier plan sur les politiques nationales de ses membres, comme les services et la propriété intellectuelle. Elle a également été étendue de facto par le truchement de son processus de règlement des différends. L’ordre du jour du cycle de Doha a placé à l’avant-scène les questions de développement et l’intérêt des pays en développement. Ces questions sont maintenant centrales. Chacune des contributions à l’ouvrage se penche spécifiquement sur le cycle de Doha. Tous ne sont pas optimistes quant aux chances de succès de l’entreprise. Néanmoins, certains auteurs plaident en faveur de la conclusion de ces négociations complexes.
Le tableau dressé par les différents auteurs est très utile, car il comporte une réflexion d’ensemble sur le régime du commerce mondial et son chevauchement avec les autres organismes internationaux tels que l’oit et l’ocde. Les auteurs n’hésitent pas à proposer une réflexion approfondie et détaillée de la relation entre les questions commerciales traditionnelles et les nombreuses normes sociales et règles environnementales. Chacune des questions chevauchant le commerce et l’environnement est analysée en profondeur. En particulier, il est question du besoin de mettre fin aux distorsions commerciales qui nuisent à l’environnement, de clarifier et d’améliorer les règles de l’omc en matière de subventions aux pêcheries et de réussir à aborder les problèmes environnementaux globaux par consensus. Une grande part de la réflexion porte sur l’agriculture et les défis complexes que ce secteur pose à l’omc et aux différents membres. Il en va de même pour les normes en matière de travail.
Ce livre offre donc une réflexion de haut niveau qui intéressera les praticiens et les analystes du commerce mondial. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un ouvrage académique traditionnel. Nous pouvons déplorer que le propos ne s’inscrive pas davantage dans la littérature spécialisée sur l’omc et l’économie politique internationale. Toutefois, il faut reconnaître que là n’était pas le but de l’exercice. En revanche, les lecteurs trouveront matière à réflexion dans cet ouvrage qui alimentera certainement les débats sur ce champ de politique complexe pour les années à venir.