Si l’urss a perdu la guerre froide en partie à cause d’un modèle économique défaillant, la Russie pourrait bien être l’un des vainqueurs de la guerre économique mondiale. Il est indéniable que la Russie doit son retour sur la scène mondiale à sa stratégie économique. Après le trou noir des années 1990 (chute du mur de Berlin en 1989, éclatement de l’urss en 1991), la Russie semble avoir retrouvé les chemins de la puissance. Un succès qui tient plus à son potentiel économique (notamment ses réserves de matières premières énergétiques) qu’à ses forces armées. Aujourd’hui, Staline s’interrogerait non pas sur le nombre de divisions d’un ennemi potentiel de la Russie, mais sur le nombre de ses usines, le poids de ses ressources naturelles et celui de sa puissance financière. Une nouvelle donne mondiale que le régime de Vladimir Poutine a parfaitement intégrée. Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Poutine a mis en oeuvre une stratégie économique au service de la puissance russe. Peut-on alors parler d’un système, voire d’une doctrine nationale d’intelligence économique ? Nous tenterons de répondre à cette question en montrant comment s’articulent les rapports entre l’État russe et les acteurs privés chargés de la sécurité économique des entreprises russes et étrangères. Nous montrerons que l’ex-président Poutine a repositionné une partie de l’appareil administratif dans le but de protéger les intérêts économiques russes. Bref, que la Russie de Poutine se prépare à la guerre économique mondiale. Dans l’introduction, nous avons utilisé deux formules qui méritent d’être plus amplement explicitées avant d’entrer dans le vif du sujet. Il nous faut définir l’intelligence économique et la guerre économique, deux concepts qui n’ont pas encore trouvé leur marque dans les relations internationales en particulier et la science politique en général. Commençons par l’intelligence économique. Le terme est apparu en France dans le milieu des années 1990. Même s’il n’existe pas de définition reconnue par la communauté scientifique, puisque la formule a été forgée essentiellement par les milieux gouvernementaux, nous pouvons écrire que l’intelligence économique est l’ensemble des techniques de recherche et de protection de l’information essentiellement économique, technologique et commerciale utilisées en vue de préserver ou de conquérir des marchés. L’intelligence économique est toujours présentée comme la recherche d’information blanche, c’est-à-dire ouverte, accessible librement à tous par les moyens de communication classiques (Internet, publications, journaux, colloques). C’est ainsi que plusieurs rapports officiels français présentent l’intelligence économique (Martre 1994 ; Carayon 2006). Une doctrine nationale d’intelligence économique est donc une stratégie mise en place par un État pour soutenir ses entreprises sur les marchés mondiaux. Elle implique une stratégie concertée et discrète entre l’État, son administration et les entreprises. La guerre économique est un concept nouveau, difficile à définir (Herzog 1919 ; Hauser 1917). Pour l’écrasante majorité des spécialistes des relations internationales, la guerre ne peut être que militaire. C’est en effet la définition des dictionnaires, par exemple le Larousse 2004 : « La guerre est le recours à la force armée pour dénouer une situation conflictuelle entre deux ou plusieurs collectivités organisées : clans, factions, États. Elle consiste pour chacun des adversaires à contraindre l’autre à se soumettre à sa volonté. » Une définition qui rejoint celle de Clausewitz pour qui la guerre « est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ». Plus formaliste, l’approche de Quincy Wright présente la guerre comme « un contact violent entre entités distinctes mais similaires » qui est aussi « la condition légale permettant à deux ou plusieurs groupes de mener un conflit armé ». Pour Gaston Bouthoul, la guerre est un acte juridique, « une …
Parties annexes
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