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L’ouvrage dirigé par Dieter Mahncke et Sieglinde Gstöhl offre une mise au point précieuse sur un sujet au carrefour des études européennes et des relations internationales : la Politique européenne de voisinage (pev). Lancée en 2003, la pev associe les pays de l’Est non candidats à l’Union européenne (ue) et ceux du pourtour méditerranéen. Cette dualité géographique a pu rendre opaque un instrument par ailleurs en constante évolution, récemment augmenté du « partenariat oriental ». Pour y voir plus clair, chacun pourra se reporter sans hésiter au livre recensé.
Le premier atout de cet ouvrage est de s’inscrire dans une double perspective scientifique, à la fois thématique et régionale. Ainsi, la première partie analyse la Politique européenne de voisinage sous l’angle des droits de la personne et de la démocratie, de la sécurité, du régime des visas et de l’économie. Une fois ces éléments fondamentaux exposés, la deuxième partie se concentre sur certains partenaires, parmi lesquels l’Ukraine et les pays méditerranéens, sans oublier les régions qui ne sont pas concernées par la pev mais dont l’étude éclaire l’action extérieure de l’ue : les Balkans occidentaux et la Russie. L’ouvrage donne ainsi à connaître la pev en expliquant ses mécanismes et ses acteurs, mais aussi en la rapprochant de la politique d’élargissement, du Processus de stabilisation et d’association destiné aux Balkans occidentaux et du Partenariat stratégique avec la Russie.
D’entrée de jeu, Europe’s Near Abroad met en lumière la nature proprement politique de la Politique européenne de voisinage. Dans un chapitre passionnant, Jérémie Pélerin décrit les rapports de force entre les acteurs européens et analyse la dialectique des rivalités institutionnelles à l’origine de la pev. La Commission, clef de voûte des plans d’action signés avec chaque pays, a gagné en influence dans un domaine jusqu’ici réservé au Conseil, qui n’a toutefois pas abandonné ses prérogatives. Chacune des institutions a finalement délimité sa marge d’action : la Commission conserve l’initiative, tandis que le Conseil mène les négociations et supervise l’adoption et l’application de la pev.
Cette collaboration formalisée est essentielle à la bonne marche d’une politique qui s’adresse à des partenaires divers, comporte plusieurs piliers et vise à garantir la sécurité de la périphérie des Vingt-sept. La pev mise en effet sur la stabilité et la prospérité d’une ceinture de nations alliées, mais ne prépare pas pour autant à l’adhésion. C’est là toute l’ambiguïté d’une politique qui oscille entre intégration et exclusion. Ce dilemme est patent en matière de libéralisation des visas où, comme le montre Kevin O’Connell, l’Union européenne est partagée entre le souhait de favoriser les bonnes relations avec les pays limitrophes et la nécessité de contrôler les frontières et les migrations.
Dans ce domaine comme dans d’autres, les choix communautaires sont fonction des enjeux régionaux. Avec ses partenaires orientaux qui bénéficient d’une perspective européenne, l’ue insiste sur les critères des droits de la personne et de la démocratie. En revanche, sur le pourtour méditerranéen, la menace d’une victoire islamiste a poussé les États européens à soutenir tous les gouvernements en place pourvu qu’ils garantissent la stabilité. On le voit, et c’est là l’une des remarques majeures de l’ouvrage, la pev repose sur le dialogue, la concertation et l’échange avec ses partenaires. Au-delà des aides financières et autres mesures incitatives, son succès dépend surtout de la bonne volonté des administrations locales, qui évaluent les bénéfices des réformes à mettre en oeuvre à l’aune des coûts induits. Les réticences de la Biélorussie et de la Lybie, que compare Mathieu Briens, sont à ce titre éloquentes. Comme pour toute autre forme intrusive de diffusion de la démocratie et de l’économie de marché, le soutien et l’implication des responsables locaux sont décisifs.
Quoi qu’il en soit, comme le soulignent avec finesse Ruth Seitz et Daniele Marchesi, l’ue a tout à gagner de la Politique européenne de voisinage, qui renforce son pouvoir civil et normatif. Prolongeant cette idée dans la conclusion de l’ouvrage, Sieglinde Gstöhl remonte à la théorie. L’Union européenne est un « pouvoir global » qui dispose d’instruments économiques, juridiques et institutionnels pour exporter ses valeurs et ses normes. Dans le sillage des réflexions sur l’exportation de la démocratie, l’universalisation des standards et la socialisation par l’économie et le droit, la pev légitime la position de l’ue sur la scène diplomatique internationale, où l’influence n’est plus seulement conçue comme une capacité de sécurité, mais aussi comme une dynamique économique et culturelle.
On pourra reprocher à l’ouvrage une absence de liens entre les chapitres, qui apportent chacun une réponse sur un point précis sans qu’un fil rouge commun autre que le sujet central de la Politique européenne de voisinage ne soit nécessairement tracé. Toutefois, le corollaire de ce défaut, inhérent à tout ouvrage collectif, est la liberté de choix laissée au lecteur qui peut butiner dans le livre au gré de ses champs d’intérêt. Surtout, cette organisation ne nuit en rien à la qualité des sujets abordés. Chaque contribution constitue une étude fouillée, souvent enrichie de données chiffrées indispensables et de références bibliographiques variées. Grâce à cet ouvrage, le lecteur disposera ainsi des connaissances essentielles pour comprendre, se faire une opinion et poursuivre la réflexion.