Comptes rendus : Études stratégiques et sécurité

Thomas Lindemann, Penser la guerre. L’apport constructiviste, 2008, coll. Logiques politiques, Paris, L’Harmattan, 230 p.[Notice]

  • Papa Amadou Ba

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  • Papa Amadou Ba
    Institut d’études politiques de Bordeaux
    Laboratoire cnrs/spirit

Depuis l’irruption du constructivisme en théorie des Relations internationales, au début des années 1990, les références paradigmatiques en vigueur ont connu de profonds bouleversements. L’ouvrage retenu ici prend ancrage dans ce mouvement et prolonge ces réflexions dans un domaine classique des études internationales : la guerre. Il signale par la même occasion, si besoin est, que la guerre n’est pas un objet de recherche exclusivement réservé à l’appareil théorique réaliste ou aux études stratégiques. L’ambition du travail est double : il répond, d’une part, au défi de la rareté des publications francophones consacrées au programme de recherche constructiviste et vise, d’autre part, à affranchir le constructivisme de son image d’approche bancale, confinée à la sphère de la spéculation métathéorique et incapable de méthode pour se confronter à l’empirique. Aussi le but de Lindemann n’est-il pas uniquement de démontrer la pertinence du constructivisme comme corpus théorique mais, partant des apports de ce dernier, de dégager des outils d’analyse pertinents, aptes à renouveler notre compréhension des origines de la violence internationale. Dès le départ, l’auteur prend soin de préciser ses engagements épistémologiques en s’identifiant au « constructivisme moderniste », faisant sienne la possibilité d’une connaissance scientifique basée sur la compréhension de la réalité sociale, à l’inverse des courants linguistiques ou postpositivistes. Le positionnement est clair par rapport aux courants réalistes et néolibéraux de la discipline confinés à une lecture essentiellement rationaliste et matérialiste de la guerre, bloqués dans le schéma réducteur : rationalité sécuritaire ou rationalité économique. C’est plutôt prendre en compte la proposition selon laquelle les États n’agissent pas dans un vide normatif et identitaire. La réalité est indissociable des ressorts interprétatifs qui la constituent et lui donnent sens, et le constructivisme doit fournir un cadre explicatif rigoureux. La structure de l’ouvrage est pédagogique, ce qui sera utile aux étudiants. La première partie précise les assises théoriques et conceptuelles des approches constructivistes de la conflictualité, tout en rappelant l’hétérogénéité qui couve sous cette approche des Relations internationales et les différents clivages ontologiques, épistémologiques, voire normatifs, qui en découlent. S’appuyant sur les prémisses partagées par les constructivistes, notamment quant au rôle des croyances collectives, des identités des acteurs, et avec la même aversion pour toute démarche anhistorique, Lindemann parvient à fournir des axes de compréhension. Ces axes sont représentés par une série d’hypothèses qui renseignent sur le jeu complexe de différentes variables : perceptions faussées (sous-estimation, surestimation), inclusion ou exclusion identitaire (déni de reconnaissance, objectif ou perçu), prégnance des croyances collectives (normes belliqueuses valorisant la guerre ou les identités viriles, paix démocratique comme référentiel identitaire collectif). La deuxième partie du livre, qui correspond à la phase opératoire, confronte l’exploration théorique à différentes formes d’usage de la force et de crises internationales, de la Première Guerre mondiale à la récente guerre menée contre l’Irak par la coalition conduite par les États-Unis, en passant par la guerre des Six Jours. Le neuvième et dernier chapitre a la particularité d’être consacré à l’analyse des obstacles rencontrés par l’armée d’occupation américaine dans le maintien de l’ordre en Irak. L’étude de la guerre cède alors le pas à l’analyse des conditions de la paix. Dans l’approche constructiviste, la guerre perd sa dimension tragique. Bien qu’elle soit chargée du risque de normativité, l’auteur voit dans la notion de « reconnaissance » un élément nécessaire, bien qu’insuffisant, de la paix. Finalement, chaque cas proposé constitue un argument empirique qui met en relief les ressorts symboliques de la violence… et de la paix. Il n’est pas réducteur d’avancer que, sur la question des origines de la violence internationale, une phrase résume bien la thèse principale de l’ouvrage : « …