Corps de l’article
The Limits of American Power entend évaluer post hoc la puissance des États-Unis et ses limites en considérant les tentatives de règlement du conflit israélo-arabe dans le contexte unipolaire de l’après-guerre froide qui consacre la suprématie américaine.
Sturkey situe d’abord l’ambition de résoudre ce conflit dans le cadre de la vision globale commune selon lui, à quelques différences d’approche près, aux présidents Bush i, Clinton et Bush ii. Après avoir cerné les intérêts américains au Moyen-Orient (soutien à Israël, pétrole à prix accessible, lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et contre le terrorisme), il procède à l’analyse des facteurs structurels et conjoncturels qui conduisent Bush i à s’atteler, dans la foulée de la libération du Koweït, à la résolution du conflit israélo-arabe, perçue comme un « bien commun » à dispenser.
Considérant la puissance comme le moyen par lequel un État influence les « autres » en vue d’atteindre ses objectifs, l’auteur en donne un aperçu peu structuré théoriquement : éminemment relationnelle, la puissance se projette au travers d’instruments économiques, politiques, culturels et idéels – en sus de la force. Il pose que le choix des instruments à utiliser dans une situation donnée et la façon de les utiliser relèvent du statecraft, ce qui l’amène à concentrer son attention sur les trois présidents dans le contexte américain. Au risque de quelques confusions entre moyens de la puissance et instruments de la diplomatie, ces derniers sont identifiés comme étant la persuasion, les sanctions positives, les sanctions négatives et la coercition.
Sur cette base, et tout en reconnaissant la difficulté d’établir l’impact de la projection de puissance d’un acteur sur le comportement de sa « cible » et donc la subjectivité inhérente à l’exercice d’évaluation, l’auteur entreprend une analyse exhaustive de l’effectivité avec laquelle les instruments de puissance dont dispose Washington ont été mis au service de la paix au Moyen-Orient.
Six chapitres sont consacrés à la mise en perspective détaillée des efforts américains en direction du conflit israélo-arabe à partir du lancement, sous l’impulsion de Bush i, du dispositif de la conférence de Madrid. Après un premier point sur l’acheminement aux forceps vers cette dernière, l’auteur accorde un chapitre au volet jordano-israélien et multilatéral et un autre au volet syro-libano-israélien, réservant au volet israélo-palestinien trois chapitres articulés chronologiquement autour des principales phases identifiées dans le processus de paix et dans l’engagement américain. L’auteur reconstitue ainsi de manière dynamique et bien documentée une histoire du processus de paix, de ses avancées, impasses et échecs, mettant en exergue la dialectique entre les développements issus de l’interaction entre les protagonistes et les apports américains. Il identifie progressivement, au regard des situations et conjonctures du moment et en fonction des préférences, orientations et objectifs immédiats de chaque administration américaine, ce que font et ne font pas les États-Unis, les instruments et stratégies diplomatiques utilisés ou pas, de même que les circonstances et les contraintes ayant contribué à déterminer la conduite à tenir. Cela permet d’évaluer, à court et à long terme, l’impact des interventions et non-interventions américaines et de conclure, nonobstant les succès ponctuels, à un échec d’ensemble au regard de l’objectif d’une paix globale au Moyen-Orient.
L’exercice évaluatif est systématisé dans le dernier chapitre. En plus de l’imprécision américaine quant aux termes d’un règlement (surtout israélo-palestinien) et des contraintes intérieures et extérieures pesant sur les présidents, l’auteur souligne la réticence de ces derniers à recourir à toute la gamme d’instruments diplomatiques à leur disposition. Or les instruments qui ont été privilégiés n’ont démontré qu’une efficacité limitée. Après avoir tenté sur cette base d’expliquer pourquoi les États-Unis n’ont pas réussi à atteindre leur but, l’auteur tire en conclusion des leçons générales quant à une projection de puissance plus efficiente au regard de l’objectif recherché, tout en soulignant que le cas israélo-arabe n’est pas un indicateur pertinent des limites de la puissance américaine, puisque celle-ci ne s’est pas déployée en faisant usage de tous ses instruments.
Sans réelle valeur ajoutée pour le concept de puissance, l’ouvrage de Sturkey a toutefois le mérite de confronter cette dernière à l’épreuve de son exercice dans un cas où les acteurs les plus puissants ne semblent pas plus aptes que les plus marginaux à infléchir le cours des événements dans le sens de leurs préférences. Texte de synthèse sur les efforts américains en vue de résoudre le conflit israélo-arabe, l’étude souffre néanmoins de la difficulté d’établir incontestablement les chaînes de causalité entre les inputs américains et les évolutions observables ; notamment, la focalisation sur les États-Unis conduit l’auteur à faire l’impasse sur le rôle, crucial en quelques circonstances, d’acteurs tiers dans l’évolution du processus de paix. Cela tend évidemment à fausser l’exercice d’évaluation.
Par ailleurs, l’approche par les moyens de projection de la puissance semble réductrice, de même que l’analyse des intérêts globaux des États-Unis et des objectifs recherchés par une paix au Moyen-Orient. Ces deux faiblesses ne permettent pas de répondre, même en intégrant la dimension des contraintes pesant sur le décideur américain, à la question de savoir pourquoi les États-Unis optent pour des actions ou des positions décalées par rapport à leurs moyens et allant à l’encontre de leurs objectifs et intérêts. Dès lors, se dégage une impression selon laquelle l’ouvrage dévoile nombre de phénomènes qui semblent participer de la puissance et de ses limites sans que le cadre d’analyse permette de les exploiter afin d’enrichir ce concept.