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Depuis quelques années, la politique étrangère canadienne fait l’objet d’une attention renouvelée de la part de la population. La guerre en Afghanistan, les relations canado-américaines ou, encore, l’actuelle crise financière remettent constamment à la une des médias l’importance des relations internationales dans la vie quotidienne des Canadiennes et des Canadiens. Pour aider à saisir les bases de la politique étrangère canadienne et les mécanismes qui sous-tendent son élaboration, et plus généralement l’ensemble des relations internationales du Canada, plusieurs ouvrages d’introduction au sujet ont été publiés dans les dernières années. Parmi ces ouvrages, on trouve celui de John Kirton, politologue bien connu de l’Université de Toronto.
Dès l’introduction, l’auteur explique ce qu’est la politique étrangère canadienne, il présente selon lui les raisons fondamentales de son étude et, surtout, il définit les limites à l’intérieur desquelles il souhaite orienter le lecteur. En effet, Kirton explique clairement et succinctement la nécessité d’appréhender la politique étrangère à travers le prisme de la théorie : celle-ci offre un cadre où lier les différents éléments à prendre en considération et favorise l’identification des causes et de leurs effets possibles. Le ton est donc rapidement donné : ce sont les trois perspectives théoriques traditionnelles dans l’analyse de la politique étrangère qui serviront de guide au lecteur. Contrairement à Nossal, Roussel et Paquin dans Politique internationale et défense au Canada et au Québec, l’auteur ne s’attarde pas à une solution alternative possible aux trois approches habituelles, celle de la puissance. Plus précisément, Kirton renvoie à l’internationalisme libéral, à la dépendance périphérique et à la perspective du néoréalisme complexe. Chacune de ces trois approches permet de situer le Canada comme puissance moyenne (internationalisme libéral), puissance dépendante ou satellite des États-Unis et, enfin, comme puissance majeure. Dans son ouvrage, l’auteur ne cache pas son adhésion à la dernière approche et il explique en quoi le néoréalisme complexe est finalement l’approche la plus indiquée pour aider à comprendre, pour expliquer et pour prédire le comportement du Canada sur la scène internationale. D’une manière pédagogique, l’auteur utilise néanmoins le même canevas pour présenter ces approches en les illustrant par la crise des missiles de Cuba de 1962.
La seconde partie est davantage axée sur l’histoire de la politique étrangère canadienne depuis 1945. L’auteur utilise un découpage traditionnel en se référant à ces périodes sous l’angle des premiers ministres alors en fonction. Il ne faut toutefois pas se méprendre : il ne s’agit pas d’une histoire générale des événements qui ont marqué la politique étrangère et les relations internationales canadiennes. Kirton utilise, encore une fois, une méthode didactique intéressante en définissant trois catégories d’analyse pour ce survol : les doctrines, la distribution des ressources et les décisions. Cette façon de faire permet de jeter un regard intéressant sur ces périodes en montrant leurs particularités ainsi que les points de comparaison possibles. Les diverses approches théoriques sont bien entendues mises à contribution.
La troisième section consiste en une présentation de facture plutôt classique des déterminants de la politique étrangère. Plus précisément, Kirton fait une description intéressante des déterminants gouvernementaux, sociétaux et internationaux qui viennent structurer l’élaboration et l’orientation de la politique canadienne sur la scène internationale. Dans la quatrième partie, l’auteur s’attarde plutôt à une présentation thématique de certains aspects, principalement les enjeux par rapport aux principales régions du monde. Il n’est donc pas surprenant qu’une attention particulière soit accordée aux relations canado-américaines. Par la suite, les relations canadiennes avec l’Europe, l’Asie, les Amériques, l’Afrique et le Moyen-Orient font l’objet d’un survol rapide, mais toujours pertinent, depuis 1945. Même si c’est dans la cinquième et dernière partie que l’auteur s’intéresse aux organisations internationales par l’entremise de la gouvernance, notons que c’est principalement au moment d’une réflexion sur les relations entre le Canada et l’Afrique qu’il aborde la Francophonie et le Commonwealth. En effet, dans la cinquième partie l’auteur insiste sur la participation canadienne à l’Organisation des Nations Unies et au G-8. À ce propos, le chapitre sur le G-8 permet de bien synthétiser le rôle du Canada dans cette institution internationale particulière. Notons au passage la richesse des annexes (26) sur différents éléments allant des perspectives théoriques à une chronologie des principaux événements concernant la politique étrangère canadienne depuis 1945.
Canadian Foreign Policy in a Changing World est un ouvrage d’introduction à la politique étrangère canadienne qui possède donc plusieurs qualités intéressantes. La perspective adoptée par Kirton est claire et elle propose une démarche structurée pour aborder la politique étrangère canadienne. Pour les lecteurs francophones qui maîtrisent minimalement l’anglais, l’ouvrage est accessible et il représente un complément à l’ouvrage de Nossal, Roussel et Paquin disponible en français. Cependant, le choix de l’auteur ne lui permet pas de rendre clairement justice à certaines questions qui me semblent importantes lorsqu’on souhaite familiariser les étudiants avec les relations internationales du Canada. À cet égard, la politique d’aide au développement, la politique de sécurité et de défense et, surtout, la paradiplomatie des provinces et particulièrement du Québec trouvent, à mon sens, une place plutôt étroite dans ce livre. Dans ce dernier cas, l’absence des principaux travaux sur ces questions en français, nonobstant la nature de l’étude, me laisse sur mon appétit. Cela étant dit, le travail de Kirton offre aux personnes qui s’intéressent à la politique étrangère canadienne un ouvrage d’introduction intéressant, bien documenté – hormis la lacune soulignée précédemment – qui recèle des qualités pédagogiques indéniables pour ce genre d’ouvrage. Il reste maintenant à espérer que ce foisonnement de publications diverses sur les relations internationales du Canada dans la langue de Shakespeare se retrouvera aussi dans la langue de Molière.