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Cet ouvrage collectif s’intéresse à la question des armes nucléaires et au rôle de l’Europe face aux défis de non-prolifération et de désarmement. On pourrait le classer dans la catégorie des relations internationales, mais il touche également de manière récurrente au droit international, puisqu’une partie importante des analyses est basée sur les normes internationales applicables en la matière, à commencer bien sûr par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968. L’ouvrage, qui regroupe des contributions à une conférence qui s’est tenue à la mi-2007, réunit des chercheurs pour la plupart relativement jeunes et encore peu connus dans le domaine. Si, comme toujours dans ce type d’ouvrages, la clarté et la qualité des contributions varient, le livre propose dans son ensemble un bilan intéressant et spécialisé sur la politique européenne en matière de contrôle de l’armement et de désarmement nucléaire. Cet intérêt particulier pour l’Europe comme acteur face aux défis de l’armement nucléaire est original et bienvenu, dans un domaine où tous les regards sont souvent tournés vers la politique américaine. Il nous semble, vu le caractère très spécialisé de la plupart des articles, que l’ouvrage s’adresse plus à un public de chercheurs/enseignants que d’étudiants.
Le livre est divisé en quatre parties dont le découpage n’est, en pratique, pas toujours très convaincant : la dissuasion nucléaire, le désarmement nucléaire, la prolifération nucléaire et les défis de la non-prolifération. Il ne contient pas de conclusion.
On appréciera l’étude d’une jeune chercheuse, Sophie Lefeez, analysant les conditions de fonctionnement et les dangers de la dissuasion nucléaire sous l’angle conjugué des sciences politiques, de la sociologie et de la psychologie. Son approche pluridisciplinaire lui permet de mettre le doigt de manière probante sur les paradoxes de la dissuasion nucléaire et l’irrationalité d’une partie importante de la doctrine en la matière.
Il est également appréciable qu’une partie de l’ouvrage soit consacrée au désarmement nucléaire, l’autre face de la non-prolifération, mais trop souvent négligée dans bon nombre d’études sur la question. Dans ce domaine, Lukash Kulesa propose une étude dont on remarquera, tout à la fois, la rigueur et la précision sur le plan de l’analyse juridique (l’auteur est juriste de formation), de même que l’intelligence et la finesse sur le plan de l’analyse politique. Après avoir dressé le bilan de l’évolution de l’obligation de désarment faite aux puissances dotées de l’arme nucléaire, Kulesa quitte le domaine des obligations juridiques pour s’intéresser aux aspects stratégiques et symboliques de la question. Sans grand espoir de revirement stratégique majeur des puissances dotées, il plaide, non sans malice, pour un changement de tactique : les puissances nucléaires devraient s’appliquer à simuler le désarmement de manière stylée et convaincante. Une telle posture, ne requérant pas de décision stratégique majeure de la part des États dotés, lui semble en effet réalisable sans volonté réelle de désarmer. Cependant, elle pourrait contribuer à rendre l’option nucléaire progressivement obsolète.
Dans la partie consacrée à la prolifération, il est beaucoup question de l’Iran, et de la Corée du Nord dans une moindre mesure. La contribution d’Anton Khlopkov a notamment le bénéfice de relativiser la menace que les projets supposés ou avérés de ces deux États dans le domaine nucléaire font peser sur l’Europe, un rappel d’autant plus bienvenu qu’il est trop rarement fait.
La dernière partie de l’ouvrage, traitant des défis de la non-prolifération, fait un peu office de bilan-conclusion. Alors que les succès du régime de non-prolifération (abstention nucléaire de nombreux États) sont reconnus, le risque d’effritement du régime est constaté et les auteurs s’interrogent sur les moyens permettant de le renforcer. À cet égard, l’étude proposée par Benoît Pélopidas a le mérite d’analyser dans le détail la position de différents acteurs en matière de non-prolifération (Union européenne, Brésil, Japon, États-Unis, Inde) et de montrer ainsi la particularité de la position européenne, qui se distingue par la recherche d’un « multilatéralisme efficace ».
Au final, bien que certaines contributions soient moins convaincantes que celles que nous avons choisi d’évoquer ici, l’ouvrage présenté nous semble participer, de manière à la fois rigoureuse et originale dans certains cas, à la poursuite du débat sur les armes et le désarmement nucléaires. L’accent mis sur la politique européenne en la matière accroît encore son intérêt, car il s’agit d’un terrain encore relativement peu traité. L’approche interdisciplinaire adoptée semble avoir été un choix intelligent et il est intéressant de découvrir une nouvelle génération de chercheurs dont certains semblent prometteurs. Outre l’inégale clarté et pertinence des articles et des fautes de frappe ou de syntaxe trop fréquentes, on pourra cependant regretter que l’ouvrage n’ait pas un fil conducteur plus clair et que l’économie ait été faite d’une conclusion qui aurait justement fait apparaître le lien de manière plus nette.