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Cet ouvrage, constitué des actes d’un colloque tenu en décembre 2006, propose une réflexion sur le lien entre géographie et politique. Au coeur de la question de la définition de la nature de la géopolitique, un tel débat, toujours recommencé, promettait un intérêt réel. De nombreux ouvrages, qu’il s’agisse d’émules des écoles matérialiste, géoréaliste ou géographique, abordent cette question de la relation entre espace et politique, entre géographie et sciences politiques, chacun apportant un regard partiel.
L’ouvrage rassemble ici six chapitres thématiques, une introduction méthodologique et une conclusion ; dans les six chapitres, les auteurs s’efforcent d’illustrer la dialectique entre géographie et politique dans la configuration politique du monde et son analyse.
Un premier problème tient à la définition des termes : va-t-on parler de politique comme discipline scientifique, ce qui serait logique si l’on prend géographie dans son acception de discipline scientifique – et il vaudrait mieux dans ce cas parler de science politique ? Ou doit-on plutôt comprendre le terme « politique » comme le déploiement des stratégies de pouvoir ? Si tel est le cas, pour que le binôme associe des éléments comparables, alors la géographie ne serait pas la discipline, mais un synonyme maladroit d’espace, comme dans la fameuse maxime de Napoléon, « les États font la politique de leur géographie », d’une bêtise réductionniste désormais bien analysée. Si tel est bien le cas, cela lance mal le débat, car il est parfois tentant de ne voir dans cette « géographie » qu’un cadre physique, source de paramètres comme les ressources naturelles, le relief, le climat, etc., variables souvent mobilisées par de pauvres analyses en quête de la définition des sources de la puissance…
Le deuxième écueil auquel se heurte l’ouvrage est la cohérence des chapitres. Si le chapitre de Michel Foucher sur la dynamique contemporaine des frontières, à l’encontre du lieu commun de la fin des territoires, se distingue par la qualité de son argumentation et par le lien explicite qu’il développe entre réflexion politique et spatiale, il n’en est pas de même des autres chapitres. Un long développement nous apprend, certes, l’histoire politique de la Belgique et de ses complexes relations avec ses voisins, mais on serait bien en peine de saisir en quoi ce chapitre approfondit véritablement la réflexion sur la relation entre géographie et politique. Il en va de même des deux chapitres suivants sur le Kosovo, d’un intérêt moyen et, surtout, d’une contribution peu explicite au thème de l’ouvrage. Le dernier chapitre explore le lien entre l’espace libanais et la faiblesse de son gouvernement ; il s’intègre donc bien dans l’ouvrage mais la démonstration manque un peu de souffle.
Plusieurs de ces chapitres présentent aussi des imprécisions qui en rendent la lecture agaçante. Artan Fuga présente le concept d’« imbrication des frontières » comme étant une réalité de rapports de voisinage où les espaces administratifs, politiques, ethniques, culturels et autres forment des « strates » structurées sur un ordre « hiérarchique » et qui se reposent les unes sur les autres sans pour autant pouvoir se superposer. Outre qu’il est irritant de trouver, dans une définition, des guillemets destinés à masquer des imprécisions, cette définition n’est guère claire et semble se rapporter plus à la superposition d’espaces divers qu’à celle de frontières. On lit également un cliché dans ce chapitre : « Les territoires politiques et les espaces économiques ne se recouvrent plus. » L’ont-ils jamais fait ? L’un des enseignements majeurs des travaux de l’historien Fernand Braudel a été, précisément, de montrer que les espaces économiques ne se sont jamais historiquement cantonnés aux espaces politiques…
Le principal défaut de cet ouvrage est de ne pas comporter de structure, ni de proposition d’analyse. Si la conclusion de Jacques Barrat s’efforce de synthétiser les chapitres présentés, en revanche l’introduction ne comporte ni grille de lecture, ni réflexion générale sérieuse sur le lien entre géographie et politique. Thierry de Montbrial présente bien quelques considérations sur la différence entre géographie politique et géopolitique, mais il préfère se lancer dans l’échafaudage d’une théorie personnelle sur la praxéologie – la « science de l’action », qui évoque chez moi la mémoire des Haushofer et autres penseurs déterministes au service du prince… – dont le lien avec le thème du livre n’est pas évident. Le sous-concept d’« unité active » n’apporte rien de plus, à mon sens, que celui d’acteur.
Enfin, aucune carte ne vient illustrer cet ouvrage sur géographie et politique ! Bref, si certains éléments méritent qu’on y prête attention, on est un peu déçu à la lecture d’un livre qui ne tient pas les promesses de son titre.