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Ce livre montre que l’opposition entre la droite et la gauche est fondamentale dans le débat démocratique et qu’elle demeure actuelle partout dans le monde, en politique internationale comme à l’intérieur des différentes démocraties. Cette opposition est cependant plus présente dans les démocraties bien établies que dans les nouvelles. C’est la raison pour laquelle elle semble moins visible en dehors de l’Occident, alors qu’elle se retrouve partout dans les régimes démocratiques.

Cette opposition, en dépit des formes variables qu’elle peut prendre, est centrée sur les éléments suivants : exigence de justice sociale ou, au contraire, exigence d’ordre et de sécurité ; foi en l’égalité ou reconnaissance d’une hiérarchie entre les personnes ; égalisation (réelle) des revenus ou égalité (formelle) ne portant que sur les droits ; confiance ou méfiance vis-à-vis des interventions étatiques ; protection sociale maximale ou minimale ; importance du budget de l’État ou réduction des taxes ; promotion de la solidarité humaine ou, au contraire, promotion de la compétition entre les hommes et des initiatives de chacun ; volonté d’améliorer la situation actuelle ou satisfaction à l’égard de cette situation. La mondialisation n’a guère changé l’antagonisme entre gauche et droite, mais lui permet de se redéfinir. La gauche critique la mondialisation parce qu’elle accroît les inégalités, entre pays et à l’intérieur de chaque pays, tandis que la droite se félicite de la mondialisation parce qu’elle libère les initiatives des entrepreneurs et entraîne la croissance économique.

La gauche comme la droite peuvent être autoritaires ou libérales. Le communisme s’est opposé au fascisme comme la social-démocratie s’est opposée au libéralisme, mais on trouve dans ces deux couples un même clivage.

Dans les affaires internationales, la gauche préconise un dialogue raisonnable entre États égaux en droit. La droite recourt davantage aux affrontements, croyant volontiers que la force fait le droit. La gauche croit à l’égale dignité de tous, la droite est volontiers impérialiste. L’une et l’autre pratiquèrent le colonialisme, mais la gauche y renonça bien avant la droite.

Après avoir mis en relief les grands traits de la gauche et de la droite, et montré comment l’une et l’autre se sont constituées à partir des révolutions américaine et française, les auteurs font l’histoire de leur rivalité à travers la construction du Welfare State, la gestion macroéconomique influencée par le keynésianisme, l’affirmation de droits fondamentaux, la décolonisation et la guerre froide. Entre social-démocratie et libéralisme, des compromis ont pu s’établir : syndicats et capitalistes réussirent à s’entendre et trouvèrent leur intérêt en collaborant durant les 30 ans qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. Ensuite, la droite devint plus agressive et plus idéologique, refusa de poursuivre le plein emploi et imposa politiques monétaristes, dérégulations, privatisations et baisses de taxes au nom de la compétitivité internationale. La chute de l’urss ne fit qu’ajouter au triomphalisme de la droite.

Les États-Unis, notamment sous Reagan, et le Royaume-Uni, en particulier sous Thatcher, furent hostiles au multilatéralisme de l’onu et imposèrent au tiers-monde des ajustements structurels, d’une part, la libéralisation du commerce et des flux financiers, d’autre part. Le libre marché était devenu la panacée pour le développement.

À la fin du xxe siècle, une nouvelle gauche réconciliée avec plusieurs aspects du néolibéralisme apparaît dans plusieurs pays industrialisés. La droite aussi se montre moins intransigeante. En matière de développement international, un rapprochement apparaît entre les agences de l’onu, qui ont toujours été plus à gauche, et le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’omc, qui tablaient sur le marché, mais commencent à en admettre les limites. Cependant, en dépit des discours sur la troisième voie et la reconnaissance par la gauche des effets pervers de plusieurs de ses politiques, la droite et la gauche s’opposent encore.

On doit pourtant se demander si cette opposition n’est pas dépassée par de nouvelles problématiques, telles que les revendications identitaires, la guerre contre le terrorisme et la dégradation de l’environnement. Pas nécessairement, croient nos auteurs, qui montrent avec aisance que les réponses données à ces problématiques sont le plus souvent soit de droite, soit de gauche. Il y a des nationalismes fascisants et d’autres qui sont d’authentiques mouvements de libération. Face au terrorisme, on peut tenter de corriger les situations iniques et désespérantes qui en sont la cause profonde ou, au contraire, se contenter de renforcer la sécurité jusqu’à en oublier certains droits fondamentaux. La droite a tendance à nier la gravité des questions écologiques, alors que la gauche considère que celles-ci mettent en jeu la responsabilité des pays industrialisés à l’égard des pays pauvres et des générations présentes à l’égard des suivantes.

Finalement, les auteurs avancent l’hypothèse que les théories en sciences politiques et en relations internationales sont influencées par les idéologies, qui seraient elles-mêmes de gauche ou de droite parce que les hommes qui les défendent sont engagés dans les débats démocratiques actuels.

Ce livre est loin d’être simpliste. Il est même souvent nuancé. On peut contester certains aspects de l’histoire qu’il trace du conflit entre gauche et droite, mais dans l’ensemble cette histoire me paraît juste. Puisque le livre insiste sur l’opposition toujours actuelle entre gauche et droite, on le soupçonnera d’être écrit d’un point de vue de gauche, mais il n’en est pas moins informé et intelligent. J’aurais cependant voulu qu’il reconnaisse la culture de dépendance que la gauche a parfois encouragée par des politiques de sécurité sociale, qu’il aborde les ripostes à ce problème et qu’il discute notamment du débat entre Welfare et Workfare.