Corps de l’article
Depuis la fin de la guerre froide, la littérature en relations internationales s’attarde tout particulièrement à l’émergence de nouvelles menaces à la sécurité qui se distinguent par rapport à la menace militaire classique. Ce sont désormais les guerres intraétatiques ainsi que les menaces de type non militaire qui sont devenues un objet central d’analyse. Francis, avec son livre Uniting Africa, s’inscrit au sein même de cette littérature. Il soutient que la gestion de ces menaces émergentes de l’ère postguerre froide doit s’effectuer par le mécanisme de l’intégration régionale et du régionalisme. L’apport de Francis au sein de cette littérature est, entre autres, d’appliquer la notion d’intégration régionale au continent africain, notion qui est traditionnellement appliquée à l’Europe.
La thèse principale de l’ouvrage de Francis réside donc dans la nécessité pour la survie du continent africain de s’unir afin de répondre et de gérer adéquatement les nouvelles menaces à la paix et à la sécurité qui sont présentes dans le contexte postguerre froide. Tout en renouvelant la pertinence du panafricanisme, Francis soutient que l’unité de l’Afrique contemporaine doit s’effectuer par le mécanisme de l’intégration régionale. De ce fait, il se positionne en faveur de la mise en place de systèmes régionaux de paix et de sécurité, de l’émergence de mécanismes institutionnels de gestion, de prévention et de résolution des conflits, tels que ceux de l’Union africaine (ua) ainsi que de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (cedeao).
Afin de bien appuyer cette thèse, Francis a divisé son ouvrage en deux grandes parties. Alors que la première permet d’approfondir l’argumentation de l’auteur à l’aide d’explications plus conceptuelles et théoriques, la seconde est consacrée à l’exposition empirique, ce qui se traduit par l’analyse de l’évolution des arrangements institutionnels qui forment les systèmes régionaux de paix et de sécurité en Afrique contemporaine.
Dans la première partie de l’ouvrage, Francis, tout en constatant l’accroissement du nombre de guerres civiles intraétatiques en Afrique, élabore un cadre d’analyse des conflits africains. Ce cadre d’analyse tient compte du caractère multidimensionnel et spécifique des conflits en Afrique ; l’auteur souligne la nécessité de traiter ces conflits au cas par cas. Par le fait même, il affirme l’importance d’une approche africaine à ces conflits, celle de trouver des solutions africaines aux problèmes africains. L’accroissement des conflits intraétatiques, combiné avec leur grand potentiel de déstabilisation régionale, constitue donc une occasion d’émergence d’une réponse collective et solidaire typiquement africaine.
Tout en élaborant son cadre d’analyse des conflits, Francis s’attarde tout particulièrement à l’effet Fire next door qui caractérise les guerres civiles éclatant au sein des pays africains. Cet effet, qui peut se définir par une régionalisation du conflit, s’illustre par les répercussions de déstabilisation des États à proximité du conflit civil. Il devient donc une source de motivation pour les organisations régionales et subrégionales à intervenir dans un conflit à proximité. De ce fait, Francis constate un renforcement du régionalisme sécuritaire en Afrique depuis la fin de la guerre froide, ce qui s’est notamment traduit par un accroissement des interventions humanitaires de maintien de la paix menées par les organisations régionales d’Afrique, dont la cedeao, l’ua et la Communauté de développement d’Afrique australe (sadc).
Dans la deuxième partie de Uniting Africa, Francis s’attarde tout particulièrement aux arrangements institutionnels qui forment les systèmes régionaux de paix et de sécurité en Afrique. L’auteur y trouve effectivement l’évolution des capacités d’intervention des organisations régionales lors d’une crise politique et humanitaire, notamment les capacités organisationnelles de maintien de la paix. À cette fin, Francis débute par une analyse de l’évolution des capacités d’intervention de l’Union africaine, organisation qui regroupe l’ensemble du continent, pour ensuite s’attarder à l’analyse des mécanismes de gestion des conflits propres aux organisations subrégionales.
Les évolutions institutionnelles de la cedeao, de la sadc et de l’Autorité intergouvernementale sur le développement (igad) font donc chacune l’objet d’un chapitre. Pour la cedeao, qui regroupe la région de l’Afrique de l’Ouest, Francis s’attarde en particulier au développement des capacités institutionnelles d’intervention en analysant les opérations de la cedeao menées au Liberia en 1990, en Sierra Leone en 1997, en Guinée-Bissau en 1998 et en Côte-d’Ivoire en 2002. Pour la région du sud de l’Afrique, Francis traite des capacités d’intervention de la sadc qui ont notamment été mises en oeuvre en République démocratique du Congo dans les années 1990 en partenariat avec l’ua et les Nations Unies. L’auteur s’intéresse finalement au rôle de gestion de crise que remplit l’igad dans la région de la corne de l’Afrique, cette dernière organisation subrégionale ayant privilégié la mise en oeuvre de mécanismes de diplomatie préventive et de médiation entre les parties belligérantes impliquées dans le conflit.
Devant les nouvelles menaces et les nouveaux défis du contexte postguerre froide, l’ouvrage de Francis prône donc un renouvellement du panafricanisme par le mécanisme de l’intégration régionale. Selon l’auteur, la construction, l’extension et l’institutionnalisation des systèmes régionaux de paix et de sécurité constituent effectivement la façon pour l’Afrique contemporaine de prendre en main sa propre destinée, et ce, en partenariat avec les acteurs externes ainsi qu’avec les Nations Unies.
L’intégration régionale est un thème vecteur de l’ouvrage de Francis. Ce dernier s’adresse donc principalement aux universitaires qui s’intéressent à l’étude de l’émergence des systèmes collectifs de sécurité sur une base régionale. Uniting Africa est toutefois accessible tant aux étudiants qu’à leurs professeurs, puisqu’il constitue également une prise de conscience intéressante de la dynamique sécuritaire de l’Afrique contemporaine. L’ouvrage de Francis est effectivement riche dans l’exposition de l’évolution historique des systèmes institutionnels de sécurité en Afrique. Il demeure toutefois en surface en ce qui concerne les théories de l’intégration régionale. Il aurait été préférable pour Francis de s’attarder davantage à l’approfondissement théorique de son ouvrage.Marie-Michèle TremblayProgramme Paix et sécurité internationaleshei, Université Laval, Québec