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Mieux vaut le signaler immédiatement, cet ouvrage fort intéressant n’est pas pour les africanistes chevronnés. C’est avant tout un ouvrage de vulgarisation destiné à un large public que l’auteur, senior fellow au Center for Global Development de Washington, DC, a rédigé en songeant en tout premier lieu à ses étudiants de premier cycle de Georgetown University. À force de se faire questionner sur la différence entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, sur le rôle de l’omc ou encore sur les facteurs qui maintiennent l’Afrique dans son état de pauvreté malgré l’importance de l’aide reçue, J.T. Moss, déjà l’auteur de Adventure Capitalism. Globalization and the Political Economy of Stock Markets in Africa, a été incité à entreprendre la rédaction de cet ouvrage en lui donnant un fort contenu pédagogique. Comme il l’écrit dans une très courte conclusion, il lui est apparu nécessaire de tenter d’expliquer les raisons qui font qu’après cinquante ans d’indépendance le continent africain demeure toujours « mal parti » pour employer l’expression demeurée célèbre de René Dumont. Comme il le mentionne plusieurs fois dans son ouvrage, l’auteur insiste sur le peu de connaissances dont on disposerait pour faire d’une société pauvre une société riche. À ses yeux, on ne saurait toujours pas comment faire d’un pays comme le Tchad une nouvelle Corée du Sud. Moss semble confondre savoir et pouvoir. Ce ne sont pourtant pas les écrits qui manquent sur le sujet. L’ouvrage, n’ayant pas l’ambition de fournir des solutions, cherche avant tout à aider les étudiants (et tout autre lecteur intéressé par l’Afrique) à soulever les bonnes questions et à développer l’intention de chercher à en savoir davantage. L’auteur pèche par modestie car, comme on le verra dans ce qui suit, s’il ne manque pas à son objectif de développer la curiosité de ses lecteurs, il leur offre, ce faisant, une gamme variée d’informations qui les aideront à mieux saisir celles que fournissent sur l’Afrique les différents médias.

Puisqu’il cherche à faire oeuvre de pédagogue avant tout, Moss a parsemé son ouvrage d’encadrés que d‘aucuns, parmi les non-initiés, faut-il le répéter, trouveront fort utiles. Le lecteur est ainsi mis en présence d’informations très concises sur, par exemple : les seigneurs de la guerre et les enfants soldats, les principaux acteurs associés au processus de la démocratisation, la gouvernance (la bonne, bien sûr), le consensus de Washington, l’évolution de la Banque mondiale, etc. L’encadré qui m’a le plus intéressé ou appris porte sur une hypothétique négociation entre les responsables de l’aide extérieure d’un pays riche et les représentants d’un pays receveur appelés à fournir des garanties que les montants versés seront utilisés aux fins auxquelles ils sont destinés. Par l’illustration des diverses situations susceptibles de se présenter, l’auteur montre bien l’expérience qu’il a acquise au fil des ans et il indique à son lecteur comment éviter les pièges de l’illusion ou de la naïveté.

Trois parties se répartissent les 13 chapitres de l’ouvrage : « The Domestic Context », « Core Development Questions » et « Regionalism and Globalization ». La première partie, qui contient une mise en contexte se rapportant à l’histoire et à l’héritage du colonialisme, intéressera à n’en pas douter de nombreux lecteurs par son chapitre « Big Men, Personal Rule, and Patronage Politics ». En faisant allusion à ce qu’il désigne comme étant le syndrome du Big Man, Moss présente les caractéristiques de quelques individualités qui ont marqué l’Afrique postcoloniale souvent plus pour le pire que pour le meilleur. Comme on le devine, il est ici question de népotisme, de pouvoir personnel et d’accumulation de richesses non moins personnelles. Mais comme l’auteur sait partager le bon grain de l’ivraie, parmi les dix Big Men que son lectorat doit connaître, selon lui, se trouve en tête de liste nul autre que Nelson Mandela, suivi de Kwame Nkrumah et Julius Nyerere. Viennent ensuite les tristement célèbres Mobutu Sésé Seko, Idi Amin Dada et autres Charles Taylor et Robert Mugabe. Si l’auteur avoue au début de l’ouvrage retrouver le Zimbabwe avec toujours un égal plaisir, ce doit être pour ses gens et ses paysages, et non pour son controversé président dont il ne cache pas les égarements. Comme son lectorat est anglophone, Moss juge utile d’ajouter une seconde liste de prétendus Big Men que l’on devrait (sic) connaître, tels les Félix Houphouet-Boigny, Léopold Senghor et… Omar Bomgo. Pour ce dernier, l’expression « roi nègre » conviendrait sûrement mieux. Paul Kagame fait également partie de cette liste et mérite, lui aussi, des commentaires plutôt favorables malgré des réserves exprimées en raison de ses tendances jugées aventurières et autoritaires. Pour l’auteur, celui qui préside aux destinées du Rwanda depuis 1994 demeure « one of Africa’s most influential power brokers ».

Le chapitre « Political Change and Democratization », s’avère particulièrement intéressant étant donné tous les efforts mis en oeuvre depuis bientôt vingt ans en vue de s’éloigner du modèle politique à parti unique généralisé lors de l’avènement de l’indépendance des pays africains (et parfois encouragé par les anciennes puissances colonialistes). Un tableau présente la fameuse classification en trois catégories de Freedom House, prenant son appui sur deux critères : les droits politiques et les libertés civiles. Onze pays, dont le Mali et le Sénégal, font partie du groupe de pays considérés comme « libres », vingt et un se trouvent parmi les « partiellement libres », dont le Kenya, le Gabon et le Nigeria, et seize se voient octroyer le triste label de « non libres ». Le Rwanda, le Cameroun et la Côte-d’Ivoire appartiennent à ce dernier groupe. Dans le chapitre qui ouvre la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur n’emploie pas la langue de bois pour parler d’échec complet de l’industrialisation. Mais, encore une fois, il se sent obligé d’évoquer l’absence d’explications valables susceptibles de faire comprendre les causes de cet échec. Si on le savait pouvoir lire le français, on serait ici tenté de suggérer à l’auteur certaines lectures à l’instar de ce qu’il suggère lui-même à la fin de chacun de ses chapitres sous l’étiquette For further readings… Ainsi, il affirme que personne ne connaît les raisons de la faible croissance du continent africain. Il n’est évidemment pas question d’évoquer ici un sort prédestiné, et, à l’instar de ce que l’on enseignait dans les années 1960, l’auteur juge utile de chercher quelques explications liées à la géographie, au climat, à la démographie et à la diversité ethnique. Viennent ensuite comme tentatives d’explications des allusions aux excès de réglementation et aux interventions étatiques impertinentes. Une chose demeure certaine : pour l’auteur, il est inutile de chercher une réponse universelle au questionnement qui sert d’introduction à ce chapitre. Mais, comme des réformes s’avèrent inévitables, elles font l’objet du chapitre « Economic Refom and the Politics of Adjustment ». Encore une fois, le chapitre débute par un questionnement : pourquoi les réformes fonctionnent-elles dans certains pays et pas dans d’autres ?

Pour tenter une esquisse de réponse, l’auteur fait l’historique du rôle de l’État en Afrique en insistant sur l’influence du nationalisme et d’une certaine conception du socialisme. Les années 1960 et 1970, on le sait, ont été celles de la recherche d’une voie intermédiaire entre les deux modèles opposés qu’offraient l’Occident, d’une part, et les pays du bloc communiste, d’autre part. C’est aussi l’époque des théoriciens du développement économique dont les travaux de certains seront auréolés du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en l’honneur d’Alfred Nobel (prix désigné à tort prix Nobel de l’économie). L’absence de résultats satisfaisants va conduire en 1990 au « consensus de Washington » que l’on peut relier aux programmes d’ajustements structurels même s’il concernait l’Amérique latine avant tout. Il est alors question de discipline fiscale, de réforme du champ de la taxation, de déréglementation, de privatisation, d’ouverture des frontières, etc. Autant de mesures qui vont pousser l’agriculture africaine dans l’état qu’on connaît aujourd’hui, comme le signale l’auteur dans un chapitre subséquent.

Comme il faut bien parler d’aide internationale, l’auteur y consacre un chapitre complet : « The International Aid System ». Ici, comme dans d’autres parties de l’ouvrage, on laisse place à l’humour par une invitation à ne pas confondre cida (notre fameuse acdi) avec sida (rien à voir avec le vih, car il s’agit de la Swedish Agency for International Development). Les différents types d’aides se trouvent présentés, allant de l’aide bilatérale à l’aide multilatérale. En ce qui regarde la première, dite également aide liée, ce sont les Italiens qui se situaient en 2003 en tête de liste (92 %), alors que le Canada se positionnait comme bon cinquième (47 %), l’Irlande, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède fermant la marche avec, semble-t-il, un « magnifique » 0 %. Particulièrement intéressantes dans ce chapitre sont les informations sur les incontournables ong qui, comme on le sait, peuvent présenter le pire et le meilleur. L’auteur opte en faveur du meilleur en ce qui les concerne, car elles se montreraient souvent plus efficaces que les lourdes bureaucraties étatiques. Ironiquement, fait-il remarquer, étant donné l’importance que certaines ong auraient tendance à prendre dans certains pays, il y aurait lieu de parler plutôt de mgo (mostly governmental organizations). C’est aussi dans ce chapitre qu’il est question des objectifs du millénaire décrétés par l’onu en 2000 en relation avec des objectifs devant être atteints non pas d’ici à 2099, mais avant 2015…

Après un inévitable chapitre sur la dette et les implications de sa gestion, dans le chapitre « Poverty and Human Development » on retrouve les plaies qui affectent l’Afrique. Certaines évoquées ici, mis à part celle se rapportant au sida (la maladie et non le pendant suédois de l’acdi), étaient déjà connues au temps de la décolonisation. Le tout représente un ensemble d’une complexité telle que J.T. Moss ne craint pas de tomber dans l’exagération en évoquant la nécessité de rechercher les diverses causes de la pauvreté en tenant compte des spécificités de chaque village, voire de chaque famille. C’est dans le chapitre suivant, « RegionaI Institutions and nepad. (New Partnership for Africa’s Development) », qui ouvre la troisième partie, que l’auteur aborde la question du panafricanisme. S’il reconnaît que ce dernier, inspiré des États-Unis, demeure un rêve vraisemblablement irréalisable, l’Union européenne se présenterait comme un modèle envisageable. L’auteur en veut pour preuve l’existence de groupes régionaux comme la sadc (la Southern African Development Community : rien à voir, donc, avec nos sociétés d’aide au développement des collectivités). L’avant-dernier chapitre, « Africa and World Trade », intéressera tous ceux qui s’interrogent sur les conséquences néfastes des programmes d’ajustements structuraux comportant l’abandon des subventions à l’agriculture nationale et l’obligation d’ouvrir les frontières aux produits agricoles européens et américains lourdement subventionnés.

Cependant, l’auteur demeure très nuancé dans la présentation des faits, comme s’il ne voulait pas heurter son pays d’adoption. Il offre néanmoins dans l’ensemble un portrait assez complet de l’état de la situation du continent africain, même s’il manque à mon avis un chapitre sur l’éducation. À n’en pas douter, les étudiants de Moss, comme tout autre lecteur non spécialisé, trouveront dans cet ouvrage une foule de réponses à leurs questions.