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La tâche que se donnent les directrices de ce volume est d’examiner la sécurité européenne à partir d’une nouvelle approche. Cette approche intègrerait les diverses possibilités qu’offrent plusieurs points de vue, plusieurs contextes géographiques et plusieurs formations politiques. Les dimensions élargies de l’approche proposée reflètent les dimensions de la sécurité européenne elle-même, tout comme l’intégration théorique des auteures reflète l’intégration politique des États concernés.
Parmi les sujets dont traite Old Europe, New Security, on retrouve les questions suivantes : qu’est-ce qui motive les acteurs européens, que ce soient les États-membres ou des acteurs non-gouvernementaux ? Ces acteurs européens privilégient-ils la défense nationale plutôt que la sécurité européenne ? Sur quels fondements les divers objectifs nationaux s’appuient-ils ? L’expérience historique seule est-elle toujours la pierre angulaire de la sécurité européenne ? Est-ce que la sécurité européenne se fonde à son tour sur une culture régionale autonome les auteures prenant pour acquis que cette culture régionale autonome existe ? Lesquelles des institutions européennes sont susceptibles de s’adapter à la nouvelle architecture politico-militaire de l’Europe ? Quels rôles jouent la Politique européenne de sécurité et de défense (pesd) et la Politique européenne de sécurité commune (pesc) ? Comment ces politiques se comparent-elles avec le rôle de l’otan ?
On peut s’en douter, n’importe quel ouvrage qui propose une telle gamme d’objectifs se doit de comporter au moins deux approches distinctes, mais connexes. En première partie, le débat s’ouvre donc sur des chapitres tantôt plus théoriques, tantôt plus historiques. On retrace pendant plusieurs chapitres l’évolution de la politique de sécurité de l’Union européenne. M. Johnson, pour sa part, compare les valeurs européennes et américaines qui sous-tendent leurs politiques de sécurité respectives. L’auteure suivante, J. Adamski, analyse ce que révèlent les discussions autour du traité de Bruxelles et de la communauté européenne de défense, surtout en ce qui a trait aux préférences historiques de la population. Vient ensuite l’analyse de P.H. Liotta, qui aborde le concept européen de sécurité dans la mesure où il actualise les valeurs et les préférences de la population. Cette analyse pénétrante permet une meilleure compréhension du processus et du contenu des politiques de défense et de sécurité. K. Keulman approfondit l’analyse de politiques particulières, en l’occurrence celle portant sur la pesc et celle portant sur l’Identité européenne de sécurité et de défense (iesd). Les deux chapitres qui suivent examinent, dans celui de C. Krupnick, le détail de la structure de la sécurité européenne, et dans celui de C. Schweiss, le développement, la situation actuelle et les structures intérieures soutenant les capacités opérationnelles de l’Union européenne.
En seconde partie, on retrouve tout d’abord les travaux de C. Jebb et C. Schweiss sur la réaction européenne face à la crise dans les Balkans. Leurs conclusions sont plus optimistes que celles de la plupart des chercheurs dans le domaine. R.M. Beitler, quant à elle, en jugeant de la situation complexe au Proche-Orient, trouve pour sa part que l’approche européenne – la plupart du temps très distincte de celle des États-Unis – mène à des résultats bien différents. Dans le chapitre suivant, V. Nadkarni explore l’approche adoptée par l’Union européenne vis-à-vis de la Russie, son voisin le plus imposant. Nadkarni conclut que la multiplicité des domaines de négociation vient à en faire une relation complexe et plutôt imprévisible. Enfin, J. Roy examine en détail l’histoire et l’actualité du rôle de l’Europe en Amérique latine.
L’ouvrage étant issu d’une collaboration qui date de 2001, il reflète les circonstances d’alors et se montre sur certains points déjà suranné. Lorsqu’elle n’a qu’une voix, qu’une parole, l’Union européenne parle d’importance sur toutes les questions internationales, qu’elles soient économiques, politiques ou militaires. Quand elle vote en bloc sur les résolutions proposées par les organismes internationaux, il s’agit la plupart du temps du bloc de voix le plus important. L’ironie du sort, c’est que sans grand discours sur la démocratie, l’Union européenne a élargi sa composition de dix États-membres, sans le moindre recours aux interventions militaires. Cela fait contraste avec les États-Unis, qui ne parlent plus guère d’autre chose depuis les évènements du 11 septembre. Pour Washington, la structure européenne de sécurité comporte d’importantes lacunes – c’est l’argument de Schweiss, Johnston et Adamski. Il est sûr que la définition de la sécurité régionale est beaucoup plus large en Europe. On pourrait même dire qu’il ne s’agit pas de négligence, mais bien d’une volonté politique spécifique, lorsque l’on remarque que certains intérêts géopolitiques sont laissés pour compte. Selon les auteurs, les Européens auraient habilement exploité la diplomatie, au moment même où les Américains la délaissaient. Par ailleurs, le multilatéralisme européen aurait un lien plus direct avec la sécurité du continent qui ne peut expliquer les valeurs qui la sous-tendent. Loin de refuser l’emploi de la force militaire, les Européens ne l’emploieraient qu’appuyés par le droit international et la légitimité reconnue. Voilà le contraste le plus frappant avec la politique américaine, et c’est surtout à un auditoire disposé d’avance à accepter ce genre de conclusions que l’ouvrage s’adresse.