Corps de l’article
Ce manuel se distingue des ouvrages classiques d’enseignement de la science politique. Il fait en effet le lien entre des éléments habituellement évoqués séparément, en mettant en relation des analyses et des descriptions propres au droit constitutionnel et à l’étude des institutions politiques avec des références habituellement évoquées dans des manuels d’histoire, d’histoire économique, d’histoire des idées politiques ou de théorie politique.
L’ouvrage s’ouvre sur l’affirmation de l’importance maintenue de l’État, unitaire ou fédéral, et croise différentes approches théoriques pour aboutir à un rappel des éléments constitutifs de l’État : une population, un territoire, un gouvernement et la souveraineté. Avant d’aboutir à la notion de régime politique, les éléments essentiels que sont la constitution et le système judiciaire sont étudiés. La constitution, écrite ou coutumière, se caractérise par sa suprématie, et décrit la communauté et les idéaux qui sont sa source, les institutions de l’État, les droits fondamentaux reconnus, ainsi que les mécanismes de médiation des intérêts. Les institutions judiciaires varient, ainsi que le mode de désignation des juges, en fonction du système juridique en vigueur dans l’État (système de droit civil ou de Common Law). Les institutions judiciaires ont pour rôle d’assurer le respect des prérogatives de chacun des organes de l’État, d’empêcher les abus de pouvoir, et de veiller au respect de la constitution selon des modalités variables, là encore selon les États. À partir de là, se construit une définition très large de la notion de régime politique, qui intègre tant les institutions que les composantes géographiques, historiques, démographiques, socio-économiques et internationales du système politique, mais aussi les concepts de culture et de socialisation politiques. Une typologie des régimes politiques s’avère alors possible, en distinguant, à partir de leur base constitutionnelle, les régimes qui concentrent les organes de l’autorité politique de ceux qui les différencient. On trouve alors à une extrémité, les régimes démocratiques et libéraux, à l’autre, les régimes autoritaires et totalitaires. Les importantes différences au sein de ces deux pôles, les systèmes électoraux et les modes de scrutin ainsi que les partis politiques (partis de masse et partis de cadres) et les systèmes de partis (parti unique, parti dominant, système bipolaire et système multipolaire) sont ensuite étudiés précisément, sans oublier les groupes d’intérêt et leur place dans les régimes politiques.
Tous ces éléments sont ensuite repris dans l’étude de sept pays considérés comme représentatifs des régimes politiques existants, et regroupés en grands groupes, qui constituent autant de parties de l’ouvrage : les pays démocratiques et capitalistes, les pays communistes et les pays du tiers-monde.
Chaque partie consacre, avant l’analyse de pays, un chapitre général aux régimes politiques du « grand groupe » de pays. Les démocraties libérales en Europe occidentale, expliquent les auteurs, sont ainsi fondées sur une histoire politique faisant appel à la notion de souveraineté populaire et sur une histoire économique marquée par la propriété privée. En revanche, l’Europe orientale a connu une histoire différente, et la construction des États, à l’Est, répondait davantage à des besoins militaires et policiers. Par ailleurs, le rôle joué par la bourgeoisie a été fort différent aux deux pôles de l’Europe. En conséquence, la modernisation qui survient passe soit par la démocratie, soit par le fascisme, soit par le communisme. Les clivages politiques qui constituent la base du système partisan, eux-mêmes largement déterminés par la culture catholique ou protestante du pays, ne sont pas les mêmes dans l’ensemble des démocraties libérales. L’évolution institutionnelle est un reflet de l’histoire et des révolutions, et les régimes politiques des pays démocratiques et capitalistes ont été influencés par l’idéologie libérale dominante, mais aussi – dans une moindre mesure – par le conservatisme et le socialisme. Ces régimes politiques sont illustrés par les exemples britannique, étatsunien, français et allemand.
Les régimes politiques des pays communistes sont ensuite étudiés, puis précisés au travers de l’urss et de la Russie contemporaine. Ici, ce sont essentiellement, mais pas seulement, les chemins divergents d’avec les démocraties libérales qui sont mis de l’avant. Après un rappel sur les sources théoriques du communisme, les bases du communisme et du socialisme sont rappelées (propriété collective des moyens de production, idéologie marxiste et rôle de l’État). Ensuite, les auteurs font le lien avec la traduction institutionnelle de ces théories et idéologies : système autoritaire de centralisme démocratique et place écrasante du parti communiste, qui explique la coexistence d’un régime d’assemblée et d’un parlement faible. Les institutions des États socialistes se caractérisent donc par une absence de véritable division des pouvoirs. Le cas de la Russie actuelle est étudié à la lumière de cette histoire, qui donne quelques éléments sur l’émergence d’une figure dirigeante forte, et sur l’évolution des institutions judiciaires.
Enfin, les auteurs s’attachent à l’étude des régimes politiques des pays du tiers-monde. Tout en reconnaissant l’extrême diversité de ceux-ci, ils affirment le choix de cette notion de tiers-monde, qui fait référence à une réalité historique. Ces pays ont en effet une certaine histoire commune, dans la mesure où ils aspiraient à profiter de la troisième vague de modernisation, dépendaient des pays capitalistes et communistes tout en étant indispensables à ceux-ci (source de matières premières, marchés à conquérir), et revêtaient une importance démographique. Guy Gosselin et Marcel Fillion rappellent ensuite les arguments des théories opposées qui cherchent à définir la situation du tiers-monde, celle du développement et celle de la dépendance. Ils notent que les pays du tiers-monde se caractérisent aussi par une certaine homogénéité des problèmes qu’ils rencontrent : pauvreté chronique, tiraillement entre tradition et modernisme, clivages forts entre classes, ethnies ou régions d’un même État, et déficit de légitimité de l’État, de ses institutions et de ses dirigeants. De là, un portrait à grands traits des institutions politiques dans ces pays est établi : difficile identification à l’institution parlementaire, prédominance de l’exécutif sur le législatif, importance de la bureaucratie d’État, déséquilibre des systèmes partisans, élites politiques réduites, coupées de la société et insouciantes. Pour autant, les pays du tiers-monde ne constituent pas un tout uniforme, et les auteurs distinguent au sein de celui-ci des régions caractéristiques en terme de régimes politiques : l’Amérique latine, le continent africain, le Moyen-Orient. L’Asie est abordée à travers les exemples de la Chine, construite depuis plus de 50 ans sur un modèle communiste, et de l’Inde qui puise son inspiration dans les démocraties libérales occidentales. La Chine a vu sa culture politique reconstruite de toutes pièces par le parti communiste ; l’Inde, pour sa part, se caractérise par la conciliation d’une identité moderne et d’une appartenance ancrée à un groupe traditionnel.
Ce manuel à la fois riche et précis brille surtout par son approche originale qui fait appel à de nombreuses disciplines, et ne se contente pas de décrire les régimes politiques, s’attachant à expliquer leur origine et leur fonctionnement. Les auteurs utilisent à bon escient à la fois les données historiques et les événements récents, les explications théoriques et les outils quantitatifs pour apporter à l’étudiant débutant en science politique ou à l’autodidacte des bases essentielles. Pour autant, le caractère transversal et pluridisciplinaire de l’ouvrage le rend aussi utile aux connaisseurs, et constitue une occasion de faire le lien entre des éléments trop souvent considérés isolément.