Alors que plusieurs juristes internationalistes continuent à voir les violations des règles juridiques comme étant une anomalie qui peut être normalisée par quelque moyen relevant du droit international, adoptant ainsi implicitement une vision binaire (déterminée par l’opposition légal/illégal) de leur objet d’étude, certains politologues, prétextant que le droit semble impuissant dans plusieurs situations où des violations évidentes se produisent, persistent à reproduire la thèse selon laquelle celui-ci n’existerait pas. Or, il appert de plus en plus que le rôle que joue ce système normatif dans l’ordre international est bien plus complexe et qu’il doit être évalué autrement qu’au seul regard de cette relation binaire. On remarque en effet que même lorsque les États ne respectent pas leurs obligations, celles-ci réussissent néanmoins souvent à infléchir leurs actions. Aussi, même lorsque la poursuite de leurs objectifs politiques leur font adopter des comportements apparemment illicites, certains États cherchent de manière récurrente à dévier le moins possible du droit grâce, notamment, à des interprétations particulières de celui-ci. Parallèlement à cela, on remarque que les acteurs non étatiques s’approprient de plus en plus le « langage » du droit international comme nouveau cadre normatif afin de structurer leurs revendications. Enfin, force est d’admettre que dans de nombreux domaines (pensons aux relations économiques), le droit international (di) a un impact important sur les relations internationales (ri). En d’autres termes, il n’est plus possible de penser les ri sans intégrer dans l’analyse la dimension juridique, pas plus qu’il n’est possible de penser le di sans en considérer la politisation autant au moment de son écriture, que de son interprétation et de son utilisation. L’objectif principal de ce numéro spécial est d’offrir des pistes de réflexion qui puissent rendre compte du rôle constitutif du di et des ri au regard des rapports, dynamiques et hiérarchies de pouvoir au sein du système international. Il cherchera notamment à questionner la valeur heuristique des dichotomies qui constituent traditionnellement le fondement de ces disciplines. Un tel travail peut difficilement se concevoir autrement que par une approche critique qui cherche à historiciser les relations de pouvoir et les institutions et qui soit mue par une normativité émancipatrice. L’introduction à ce numéro spécial procédera en trois temps : nous commencerons par expliquer la pertinence du décloisonnement des deux disciplines en expliquant l’importance que celui-ci revêt dans la compréhension de l’une et de l’autre. Autrement dit, nous soutiendrons qu’il n’est plus possible d’avoir une compréhension juste des ri sans intégrer dans l’analyse la dimension juridique des rapports internationaux ; et qu’une analyse dépolitisée du di est également grandement impertinente, cette discipline n’étant vraisemblablement rien de plus qu’une sous-discipline des ri. Un nombre grandissant d’auteurs ont, au cours des dernières années, cherché à établir ce lien interdisciplinaire, et cette première partie sera par-là l’occasion de souligner leur contribution tout en montrant leur insuffisance. Elle cherchera également à mettre en relief l’importance d’aborder la problématique du décloisonnement disciplinaire sous l’angle des approches critiques. La seconde partie développera brièvement quelques idées sur l’objectif émancipateur des approches critiques en les comparant avec les objectifs normatifs des théories de résolution de problèmes. Nous terminerons avec une courte présentation des contributions à ce numéro spécial. Comme le soulignait Robert Cox, l’objectif de parcimonie mis en valeur par les approches de résolution de problèmes (problem solving theories) au nom de la rigueur scientifique ne saurait être atteint sans accepter un lot de présuppositions empiriquement contestables. Bien que ces approches se présentent généralement comme de simples outils permettant aux chercheurs d’appréhender une réalité qui leur serait extérieure et qui serait mue par des lois dites objectives, …
IntroductionLe décloisonnement du droit international et des relations internationales : l’apport des approches critiques[Notice]
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Thierry Lapointe
Thierry Lapointe est doctorant à l’Université York et chargé de cours à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal, Canada ;Rémi Bachand
Rémi Bachand est postdoctorant au Centre d’études et de recherches de l’Université de Montréal (cerium) et chercheur invité à l’European Law Research Center Harvard Law School, Cambridge, Mass., États-Unis