Corps de l’article
Cette collection contient les communications d’experts invités au colloque Merchants of Labour. Policy Dialogue on the Agents of International Labour Migration, organisé par l’International Institute for Labour Studies, organisme de recherche autonome de l’Organisation internationale du travail, en avril 2005. Le sujet des agences de recrutement a pris de l’ampleur ces dernières années, avec la croissance des contrats spécifiques pour des emplois hautement qualifiés, réservés aux secteurs de fine pointe technologique et les plus porteurs dans l’économie mondiale. Les agences de recrutement sont aussi devenues plus présentes dès lors qu’elles offraient une alternative aux ententes bi- ou multilatérales signées entre États sur la mobilité de la main-d’oeuvre, notamment entre régions qui ne disposent pas d’accords de coopération économique ou commerciale. Les 23 contributions qui se retrouvent dans ce livre portent soit sur les pratiques existantes, soit sur les défis, soit sur les principes directeurs qui devraient prévaloir dans le recrutement et l’emploi de travailleurs migrants.
Dans la première partie de l’ouvrage portant sur la diversité des marchands de travail, Philip Martin traite des services de recrutement de travailleurs migrants en évoquant les difficultés à faire bénéficier l’ensemble des acteurs concernés. Il souligne à cet égard que l’entente entre le Canada et le Mexique sur les travailleurs agricoles est un exemple de bonne pratique à répéter. Un autre auteur tente une comparaison entre les agences de transferts d’argent, qui se sont institutionalisées depuis une dizaine d’années, et les bureaux de recrutement de travailleurs migrants qui pourraient aussi bénéficier de la même évolution. Une troisième contribution adopte une perspective historique sur les marchands de travail pour montrer l’apport central des acteurs économiques les plus puissants dans l’instauration de règles et de principes de protection des droits des travailleurs ; sans le soutien des entreprises qui embauchent ces migrants, les droits et protection du travail risquent de rester lettre morte.
La deuxième partie porte sur des études de cas d’agences de recrutement, choisies parmi les pays les plus concernés par cette pratique. Un premier chapitre donne une vue d’ensemble, en analysant les pratiques des agences de recrutement asiatiques – en Inde, au Pakistan, aux Philippines et au Sri Lanka – responsables d’abus et de violations nombreuses, tant dans le non-respect des contrats que dans les cas de fraudes. Le cas des Philippines est ensuite présenté du point du vue des marchands eux-mêmes et l’auteur souligne l’importance de règles et principes généraux permettant de réguler cette activité. Le cas du Sri Lanka évoque l’existence de services de monitorat des agences de recrutement dans les pays de destination des travailleurs, qui servent à mieux suivre les pratiques de ces organismes privés. Pour ce qui est du Bangladesh où les transferts de salaires des travailleurs migrants représentent plus du quart des réserves en devises étrangères du pays, le défi consiste à renforcer la capacité de surveillance de ces services par les pouvoirs publics. Le cas de l’Australie permet de voir que le système d’immigration permanente et temporaire est bien encadré, sauf en ce qui concerne les agences de recrutement qui sont généralement autorégulées. L’auteur préconise l’élaboration d’une liste de principes sur la bonne gouvernance pour mieux encadrer ces pratiques. À Singapour, on apprend qu’une division de gestion de la main-d’oeuvre étrangère fut mise en place en 2003, reconnaissant ainsi l’importance du bien-être des travailleurs étrangers. À Bahrein, une réforme de 2004 entreprise par le prince héritier pour réformer le marché du travail constitue une étape importante, nous dit l’auteur, vers l’adoption d’une approche du travailleur étranger entièrement nouvelle et fondée sur la reconnaissance des besoins réels de l’économie en matière de main-d’oeuvre étrangère. Pour ce qui est de l’Égypte, les agences de recrutement privées sont reconnues pour leur utilité à lier l’offre nationale et la demande internationale de travail. L’ancienne loi sur le contrôle des étrangers héritée du système d’apartheid fut remplacée en 2002 par une loi plus respectueuse des droits des travailleurs étrangers, mais, nous dit l’auteur de ce dernier chapitre, l’Afrique du Sud doit aussi revoir la façon dont cette loi est administrée pour mettre fin aux abus dont est souvent victime la main-d’oeuvre étrangère.
La troisième partie de l’ouvrage porte sur les standards de l’oit en matière de recrutement. L’historique du traitement des agences de recrutement par l’oit et la teneur de la Convention no 181 de 1997 sur les Agences privées de recrutement et ses recommandations font l’objet du premier chapitre. L’auteur souligne également la transformation de l’approche de l’oit en la matière, plus libérale et favorable au secteur privé avec la Convention de 1997, que jamais auparavant. Viennent ensuite les points de vue des employeurs et des organisations de travailleurs sur la Convention. Les employeurs sont en général favorables à la Convention, et n’expriment comme reproche que le faible taux de ratifications. Le chapitre qui traite du point de vue des travailleurs offre une mise en contexte de la Convention par rapport à d’autres développements qui pourraient remettre en question les protections évoquées dans la Convention, en l’occurrence l’Accord général sur le Commerce des services et la directive Bolkenstein de la Commission européenne. L’expérience et le point de vue de l’oit sont également présentés, d’autant plus utiles qu’ils soulèvent les limites des instruments existants. Un dernier chapitre élargit la problématique à la lutte contre les activités criminelles reliées au recrutement des travailleurs migrants, discutant également du Protocole de Palerme (2003) et des risques d’ignorer les abus de contrat en focalisant sur les opérations de grande envergure du crime organisé.
La dernière partie de l’ouvrage propose un regard prospectif sur les stratégies à mettre en oeuvre et les politiques innovatrices à considérer. Un chapitre portant sur la lutte contre le travail forcé des migrants souligne la nécessité d’élargir la régulation au-delà des agences de recrutement, pour inclure également les politiques de contrôle migratoire de façon générale. Deux autres contributions présentent les mesures que les organisations syndicales ou les pouvoirs publics pourraient implanter. Un chapitre traite de la lutte contre l’exploitation des travailleurs dans le secteur agricole au Royaume-Uni. Enfin deux chapitres évoquent les défis que représente l’exode des cerveaux pour les pays d’origine et pour les travailleurs dans le secteur de la santé. Ils proposent une plus grande régulation politique pour éviter les abus.
Cet ouvrage est important pour les spécialistes pour ce qu’il confirme, à savoir l’importance des agences de recrutement dans la dynamique migratoire, et pour ce qu’il affirme, le mythe d’un marché du travail mondial, qui ne serait régi que par les lois de l’offre et de la demande de travail. Les agences de recrutement, qu’elles soient publiques ou privées, constituent un intermédiaire de plus en plus présent dans les pays d’origine et dans les pays d’accueil et leur influence sur les flux et les modalités de la migration peuvent être très importante. Mais au-delà de cette position, l’ouvrage demeure assez désorganisé ; il n’y a pas de traitement systématique ou statistique de la question, et les contributions, par ailleurs très variées en termes de point de vue, sont de qualité très disparates. L’approche tripartite, multipartite du livre, puisqu’on inclut outre les points de vue des employeurs, des syndicats, de l’oit celui de certaines ong et de chercheurs, est original et instructif. Mais le traitement aléatoire du sujet par les auteurs fait en sorte que la plupart des chapitres sont de peu d’utilité pour les chercheurs. On peut penser qu’en publiant ce livre, l’International Institute for Labour Studies a plutôt cherché à donner le coup d’envoi d’études plus approfondies, que d’affirmer un point de vue définitif sur la question.