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Ouvrage collectif dirigé par deux personnalités qui disposent à la fois de l’expérience académique et du terrain, Femmes et conflits armés développe une thématique négligée et incomplète à ce jour. Il s’agit d’examiner la pluridimensionnalité du parcours et du rôle du « sexe dit faible » c’est-à-dire des femmes, tour à tour victimes de guerre, militantes de paix, combattantes, citoyennes actives, kamikazes ; femmes souvent occultées par la dominance masculine dans les cercles décisionnels malgré la haute valeur ajoutée qu’elles peuvent en général apporter à la gestion postconflit.
C’est également un ouvrage pluridisciplinaire réunissant onze contributions internationales mais majoritairement canadiennes, membres de la société civile et représentants des organismes gouvernements nationaux et internationaux. Le contenu fut alimenté préalablement par la conférence d’avril 2003 sur le même sujet organisé par la chaire de recherche du Canada en sécurité internationale de l’Institut québécois des hautes études internationales à l’Université Laval.
Le livre est structuré en deux parties et dix chapitres, et enrichi d’une bibliographie consolidée. Une première partie aborde les multiples rôles des femmes dans les conflits armés alors que la deuxième partie traite des femmes dans la consolidation de la paix. Il s’agit toujours au sein de chaque chapitre d’examiner dans le détail, ici une résolution onusienne, là encore une étude de cas, ici les leçons tirées par la Croix-Rouge internationale, là encore les liens entre les rapports sociaux et le genre.
L’ensemble des chapitres aborde en autant de pistes et de vécus particuliers les questions « sexospécifiques » et mettent en évidence les différentes conceptions de la paix et de la sécurité entre hommes et femmes, en sus des conséquences néfastes des guerres pour le « sexe dit faible » (victimisation).
En effet, elles peuvent être aussi guerrières, réconciliatrices, citoyennes actives, pacificatrices. Mais au-delà, l’objectif global du livre est bien d’améliorer la gestion des conflits armés internationaux en tentant de déterminer les actions et les moyens nécessaires en misant sur les femmes comme autant d’actrices trop souvent sous-estimées.
Pour pouvoir maîtriser cette matière particulière, en chapitre deux (Claire Turenne Sjolander) sera analysée l’évolution des normes internationales pour une protection accrue des civils en temps de guerre, dont la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’onu sur « Les femmes, la paix et la sécurité ». Ensuite, il est question au chapitre 3 (Julie Gagné) d’examiner de manière exhaustive la littérature sur le sujet, avec celle qui aborde la thématique des victimes, puis celle des participantes à la consolidation de la paix, en précisant que les femmes combattantes sont souvent sous-estimées, à la fois par les chercheurs, les académiques et les négociateurs de paix. Les quatre chapitres suivants sont des études de cas sur la situation et le rôle des femmes dans certaines zones : Sierra Leone (sous la plume de Kristopher Carlson et Dyan Mazurana), Proche-Orient (Marie-Joëlle Zahar), en Afrique de l’Ouest (Danièle Laliberté) ou transversalement avec l’examen des recherches menées par le cicr (Charlotte Lindsey).
Quant à la deuxième partie, nous y trouvons également des études transversales comme celle de Nadine Puechguirbal (chap. 8) sur les rapports sociaux du sexe au lendemain des guerres ; mais aussi d’autres études de cas comme l’Afghanistan (Sonia Jedidi) et le Rwanda (Myriam Gervais).
Construisant la triangulation entre académiques, ong et décideurs, les auteurs tentent au final de réconcilier les approches, d’éclairer tous ceux qui sont amenés à consolider l’humanitaire au profit des êtres les plus fragiles.
Il ressort de cette démarche un ouvrage très particulier sur un sujet rarement abordé en littérature livresque francophone qui, certes, recèle parfois des redites, mais qui nous transporte dans un langage à la fois clair et précis dans les méandres des questionnements sexospécifiques du champ de la sécurité.
Particulièrement touchées par les conflits armés, les femmes sont aussi mises sur le devant de la scène dès l’instant où le Conseil de sécurité a reconnu explicitement qu’il y a une relation entre préservation de la paix et l’égalité entre hommes et femmes. Ce qui impose que la réconciliation, la négociation et le maintien de la paix doivent être soutenus par une politique volontariste de non-discrimination. Mais malgré plusieurs déclarations et autres conventions internationales de protection des femmes – parfois difficiles à appliquer – ainsi que leur évident rôle dans le maintien de l’ordre social, elles sont particulièrement fragilisées dans les zones de crises civiles et dans les espaces où opère la privatisation des guerres. Les violences envers les femmes y deviennent souvent une stratégie de terreur et d’asservissement ethnique dans la mesure où elles sont considérées comme les gardiennes symboliques de l’identitaire ethnique intergénérationnel. On peut d’ailleurs regretter que la réponse juridique de la communauté internationale ne puisse aboutir à l’exhaustivité des poursuites, le politique pouvant avoir un autre agenda.
Sous-exploitées souvent comme actrices engagées dans les différents processus de paix alors qu’elles ont la propension naturelle et le souci matériel de la survie et du lien social – surtout si elles sont devenues chefs de ménage par disparition violente du conjoint –, les femmes peuvent être et on l’oublie souvent, des femmes combattantes. Elles le sont alors par conviction idéologique, par survie, par sécurité, par recrutement forcé. Elles peuvent y être soldates, espionnes, « logisticiennes », productrices de nourriture ou épouses prisonnières plus ou moins libres.
Situation complexe et diversité des rôles sont rarement pris en compte par les agences officielles lors de la mise en place des politiques de démobilisation et de réinsertion des femmes.
Dans d’autres situations, malgré leur participation à la lutte de libération et de confrontations intercommunautaires, elles peuvent perdre les acquis de l’autonomisation, de l’action et de la maturation politique gagnés durant les phases violentes. Les motifs en sont généralement le conservatisme social, les traditions culturelles, le poids du religieux et les espaces dominants patriarcaux.
En d’autres mots, les conflits peuvent aussi apporter des « gains » aux femmes par le biais de leur engagement pluridimensionnel, mais cela est souvent instrumentalisé et donc très aléatoire dans l’après-conflit. Il s’agit d’une relégation, alors qu’une majorité d’entre elles sont favorables à la paix et qu’elles prouvent au jour le jour leur influence positive dans le secteur informel et la société civile, engagées qu’elles sont dans les travaux postconflits, les microprojets de désarmement, la réinsertion sociale des combattants, la réunification familiale des enfants-soldats.
De toute évidence, cet ouvrage important par le sujet et riche par le contenu nous renvoie à deux objectifs prioritaires : d’une part, assurer plus avant encore la distinction entre civils et combattants, afin de surprotéger le civil et particulièrement de l’extrême vulnérabilité de la femme dans les espaces de violence ; d’autre part, faire assimiler par les politiques l’importance que peut jouer le féminin dans l’après-conflit.