Introduction : Quand Sophia rencontre ArèsDes intérêts de la philosophie en Relations internationales[Notice]

  • Frédéric Ramel

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  • Frédéric Ramel
    Maître de conférences en science politique
    Université Jean Moulin Lyon 3, France

En 1961, Stanley Hoffmann émettait un diagnostic inquiétant : « La philosophie politique des relations internationales est en fâcheux état ». Aujourd’hui, les symptômes d’une décrépitude ne sont plus aussi marqués. La fin de la bipolarité et l’incertitude sur la nature actuelle du système international ont favorisé un regain d’intérêt pour les problématiques philosophiques. Elles bénéficient ainsi d’une grande vitalité que ce soit au sein des départements de philosophie ou bien dans les enseignements et programmes de recherche en science politique. Preuve en est, la publication de deux numéros spéciaux d’Études internationales à un an d’intervalle sur les liens entre philosophie politique et relations internationales. Cette situation peut entraîner des crispations. Elle risque d’accentuer le fossé entre positivistes radicaux et approches philosophiques, celles-ci étant taxées de « formes naïves d’essayisme mondain » aux antipodes du labeur que représenterait le travail sociologique. Le jugement formulé par le positivisme radicalisé a suscité et suscite encore aujourd’hui une vague de contestation. Ces positions tranchées, de part et d’autre, accentuent la vulnérabilité de la jeune Science politique en tant que discipline. En 1975, Fred I. Greenstein et Nelson W. Polsby ouvraient la préface du premier Handbook of Political Science en qualifiant celle-ci d’amorphe, hétérogène et mal définie. Dans le courant des années 90, l’évaluation de Mattei Dogan conclut à trois processus complémentaires : spécialisation (établissement institutionnalisé de sous-branches), fragmentation (ces sous-branches de plus en plus isolées les unes par rapport aux autres fragilisent la visibilité voire l’existence d’une identité globale de la science politique), hybridation (appel à d’autres sciences sociales comme la psychologie, la géographie, l’économie politique etc.). Ce constat invite à souligner la migration des concepts d’une discipline à une autre mais aussi la fécondité des rencontres. La créativité de la Science politique se préservera à la condition de demeurer extravertie. Une telle assertion sert de socle à la présente réflexion. Nous sommes persuadés que la science politique peut laisser place, parallèlement à des travaux de nature sociologique, à des discours philosophiques qui tendent non seulement à rendre explicites les soubassements des théories empiriques (globales ou partielles) mais aussi à dégager des lignes de force quant aux mutations politiques internationales et par là, à inspirer des théoriciens contemporains (positivistes ou non). Cette introduction entend souligner les intérêts de la philosophie dans le champ des Relations internationales. La formulation de ces intérêts n’engendre pas une exclusivité des discours philosophiques sur la réalité internationale, bien au contraire. Répétons-le : il ne s’agit en aucun cas de décrédibiliser la sociologie ou la théorie empirique dans ce champ. La philosophie exerce en effet une double fonction. Elle clarifie les fondations des théories. Elle contribue à définir les orientations de la pensée par rapport aux événements. Le champ scientifique correspond à un espace d’affrontements dont l’enjeu est le monopole de « l’autorité scientifique » laquelle se définit à la fois comme capacité technique et comme pouvoir social. Les propos de Pierre Bourdieu peuvent tout à fait s’appliquer aux relations internationales. Depuis la fin des années 80, son champ propre se caractérise par une vague de contestations de plus en plus virulentes à l’encontre des nouvelles formulations du réalisme scientifique (les néoréalismes) qui tendent à bénéficier d’une position académique toujours dominante et ce, malgré l’essor du néolibéralisme. La situation qualifiée par des spécialistes d’hégémonique au sein de la discipline reste d’actualité. Les critiques qui prennent pour cible ces néo-réalismes et, par conséquent, cherchent à éroder l’autorité scientifique dont ils sont revêtus jusqu’à présent, usent de la philosophie comme ressource. Leurs salves se focalisent sur deux fronts : le retour des normes d’une part, la déconstruction du discours scientifique …

Parties annexes