Comptes rendus : Régionalisme et régions - Moyen-Orient

Rigoulet-Roze, David, Géopolitique de l’Arabie saoudite, coll. Perspectives géopolitiques, Paris, Armand Colin, 2005, 312 p.[Notice]

  • Frédéric Lasserre

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  • Frédéric Lasserre
    Département de géographie et
    Observatoire de recherches internationales sur l’eau
    HEI, Université Laval,
    Québec

Peu d’ouvrages de géographie s’intéressent directement à l’Arabie Saoudite, en particulier sous l’angle de sa problématique géopolitique, et si on a vu fleurir après le 11 septembre 2001 un grand nombre d’analyses « géopolitiques », ces dernières n’en avaient souvent que l’étiquette. Parmi les ouvrages déjà publiés sur la question, on peut mentionner Géopolitique de l’Arabie Saoudite, d’Olivier Da Lage (Bruxelles, Complexe, 1996) ; Géopolitique et histoire du Golfe, de Charles Zorgbibe (Paris, puf, 1995), ou encore Les monarchies du Golfe, de Fatiha Dazi-Héni (Paris, Presses de Sciences po, 2003). Le présent ouvrage, publié dans une collection dirigée par Yves Lacoste, s’inscrit dans l’école de pensée de ce dernier en prétendant user de la géopolitique comme méthode d’analyse des rivalités de pouvoir. La première partie s’efforce de mettre en perspective historique la construction de l’État saoudien moderne et ses composantes géopolitiques. Le premier chapitre décrit la genèse de l’État, en détaillant ses fondements religieux, c’est-à-dire comment le wahhabisme et le pouvoir de la famille des Saoud vont se lier, et comment après plusieurs échecs tout au long du xviiie et du xixe siècle, cette association va triompher dans la péninsule par la construction d’un royaume qui a su écarter ses rivaux. Ce chapitre est intéressant, dans la mesure où l’on comprend les bases politiques, religieuses et géographiques du royaume saoudien, fondé sur une alliance entre un pouvoir temporel et un pouvoir spirituel. L’auteur explique très bien comment les ruraux sédentaires, d’où sont originaires les Saoud – qui ne sont donc pas des Bédouins nomades, comme on le prétend trop souvent – ont consolidé leur pouvoir, articulé entre pragmatisme envers les puissances européennes et expansionnisme territorial dans la péninsule arabique, basé sur une ferveur religieuse instrumentalisée. Dans un second chapitre, l’auteur se penche sur l’Arabie Saoudite de la seconde moitié du xxe siècle. Après une introduction rappelant des éléments de géographie physique, l’auteur entreprend de décrire les quatre grandes régions composant l’Arabie Saoudite : le Nedj, berceau théologico-politique ; le Hassa, poumon économique ; le Hedjaz, coeur religieux du monde musulman et enfin l’Assir, la marche méridionale. Vient alors la présentation des plans d’urbanisation de l’État et de la tentative de sédentarisation des bédouins. Ensuite l’auteur s’interroge sur l’existence d’une identité nationale saoudienne. Certes, ce chapitre est très intéressant et instructif mais on reste sur notre faim, surtout sur les conflits sociaux entrecroisés entre nomades sédentarisés, travailleurs étrangers, subordonnés du régime, jeunes diplômés et chômeurs, ainsi que sur la question du statut de la femme. La fin de ce chapitre s’attarde longuement sur la question de la succession du roi Fahd et des jeux de pouvoir à la cour. Le 3e chapitre est exclusivement consacré à la problématique politique de la remise en cause du pouvoir des Saoud, à la suite des attentats qui sont perpétrés, de la première tentative d’assaut rebelle sur les lieux saints de La Mecque en 1979 à aujourd’hui. On est alors dans une problématique politique, au demeurant très intéressante, mais non de géopolitique, car il ne s’agit désormais plus d’étudier des enjeux de pouvoir portant sur des territoires, ou le déploiement des stratégies d’aménagement du territoire saoudien, ou de l’articulation de la stratégie régionale saoudienne dans la région, mais bien la question de la légitimité du pouvoir saoudien et de sa rivalité avec les éléments fondamentalistes qui le contestent. Seules les relations avec les États-Unis sont explicitement abordées. C’est bien dommage. Faut-il y voir une illustration supplémentaire de l’emploi galvaudé du terme de géopolitique, malheureusement devenu synonyme d’études du pouvoir, et où le contenu géographique est largement évacué …