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Ce n’est que depuis quelques années que l’analyse de la politique étrangère canadienne est devenue un champ d’étude systématique ; par contre en ce qui concerne la diplomatie canadienne, il y a encore énormément à faire. Certes beaucoup d’ouvrages ont été écrits sur l’histoire, en particulier sur l’âge d’or de notre politique étrangère et sur nos diplomates, mais rares sont les analyses de notre diplomatie, c’est-à-dire des stratégies et des méthodes utilisées par nos diplomates dans la poursuite des objectifs de notre politique étrangère. Le but de cet ouvrage d’Andrew Cooper est d’examiner la diplomatie canadienne, mais aussi de contribuer à une meilleure compréhension du rôle des conférences mondiales onusiennes, de la place des organisations non gouvernementales (ong) dans ces conférences et des mutations que connaît la diplomatie moderne. Ce dernier sujet en est un que Cooper a déjà commencé à examiner dans un ouvrage précédent sous sa codirection avec John English et Ramesh Thakur intitulé Enhancing Global Governance. Towards a New Diplomacy ? (2002).
Le point de départ de cette étude sur la diplomatie canadienne est la reconnaissance de l’importance d’une réalité assez récente en politique internationale : les conférences mondiales parrainées par l’Organisation des Nation Unies. Il s’agit de conférences consacrées à un domaine particulier (issue-specific) qui, de plus, ont ouvert la porte à des précédents procéduraux, créant ce que Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, a défini comme « la nouvelle diplomatie ». Cette nouvelle diplomatie est d’ailleurs liée à un aspect plutôt nouveau de la vie internationale, conséquence des conférences onusiennes, que Cooper appelle « la gouvernance globale ». L’auteur examine dans cet ouvrage non seulement comment la diplomatie canadienne oeuvre dans ce nouveau contexte mondial mais aussi ce que signifient gouvernance globale et nouvelle diplomatie.
Cooper a fait un effort de recherche considérable et remarquable sur plusieurs conférences onusiennes pour étudier la diplomatie canadienne ainsi que le nouvel environnement international. Dans un premier chapitre, il indique que c’est la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm en 1972 qui a frayé la voie pour un nouveau genre de conférence mondiale, celle qui réussit à promouvoir un effort de coopération internationale tant sur le plan institutionnel que sur le plan des objectifs : « Elle produisit un plan d’action avec plus de cent recommandations dans des domaines allant de la réduction des déversements des déchets dans les océans à la préservation de la faune. » Les sept chapitres qui suivent se basent sur d’autres conférences onusiennes et testent différents aspects de la nouvelle diplomatie et de la gouvernance globale : le nouveau partenariat entre État et société ; le rôle des individus (questions de leadership) ; le choix entre l’imposition ou la négociation en ce qui concerne le système de gouvernance ; questions de souveraineté ; questions de civilisations ; la différence entre hommes et femmes ; et finalement la valeur des conférences mondiales, une remise en question provoquée par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée tenue à Durban en 2001. En mettant en exergue le problème israélo-palestinien à Durban, « une telle préoccupation singulière a eu pour effet de freiner toute discussion substantive sur un ordre du jour global ». Ceci dit, ce n’était pas nécessairement un échec : « la valeur fondamentale de Durban – comme c’est le cas de toute autre conférence onusienne – a été sa capacité de rester sur les devants de la gouvernance globale ». Il sera intéressant de voir quel sera le succès de la prochaine conférence mondiale.
Dans chaque chapitre, Cooper examine le rôle des représentants canadiens, fussent-ils des diplomates ou des représentants d’ong canadiennes. Il fait état de l’importance du multilatéralisme en politique étrangère canadienne, de la flexibilité de la diplomatie canadienne, de la nature complexe, voire contradictoire, de sa participation et du professionnalisme de ses représentants qui ont parfois à faire face à une politique incertaine quant au rôle du Canada dans ces conférences. La diplomatie canadienne est en fait un excellent cas d’étude de la nouvelle diplomatie, diplomatie qui est caractérisée par de nouvelles sources d’agencement, par la participation d’ong et par le rôle que peuvent jouer des puissances moyennes comme le Canada. Il est intéressant de noter les caractéristiques que Cooper voit pour définir notre diplomatie : « la persistance ; la recherche de solutions qui vont au-delà de l’État national et qui planent au-dessus des vieilles divisions entre le domestique et l’international ; un degré de compréhension des identités hybrides et multiples ; le souci de voir le multilatéralisme se manifester sur un terrain plus vaste ; et la considération que – à tort ou à raison – les institutions internationales sont importantes ».
Cet ouvrage est remarquable tant pour son envergure que pour l’analyse des trois thèmes qui sont à l’ordre du jour depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale : la gouvernance globale, la nouvelle diplomatie et la réaction des États face à ces deux nouvelles réalités internationales. En se concentrant sur la participation canadienne dans les rencontres internationales, Cooper a montré comment il est possible d’étudier la diplomatie canadienne. Ce n’est pas le moindre de ses mérites. Cet ouvrage se doit d’être sur la liste des lectures obligatoires de tout cours de politique étrangère canadienne, de diplomatie et d’organisations internationales.