L’ouvrage de Georges Labrecque, tiré de ses recherches de doctorat, puis revu et remanié, constitue un excellent ouvrage de référence pour quiconque s’intéresse aux questions de frontières, de frontières maritimes en particulier. Géographe de formation, M. Labrecque fait la démonstration qu’il maîtrise les outils tant de la géopolitique moderne et du droit de la mer, tout en évitant de tomber dans les écueils d’une approche trop théorique et peu opérationnelle. Son ouvrage s’inspire de deux traditions écrites ; tout d’abord, les travaux de réflexion des géographes théoriciens de la géopolitique moderne, Yves Lacoste, Paul Guichonnet et Claude Raffestin (1974), auteurs d’une Géographie des frontières et, surtout, Michel Foucher, auteur du monumental Fronts et frontières. Un tour du monde géopolitique (1988), qui ont su s’affranchir des pesanteurs des modèles réaliste et matérialiste au profit d’une réflexion multidisciplinaire, pour produire une étude presque complète des tracés frontaliers terrestres dans le monde, sans verser dans le piège du catalogue. Seul regret de M. Labrecque : le faible investissement de Foucher en ce qui concerne les frontières maritimes. L’auteur s’appuie aussi sur les ouvrages de J.R.V. Prescott (1985), The Maritime Political Boundaries of the World, et de J.I. Charney et L.M. Alexander (dir., 1993), International Maritime Boundaries. L’auteur constate de plus la relative imprécision qui règne en matière d’illustration des frontières maritimes. Cartes et atlas confondent fréquemment frontière délimitée et frontière virtuelle, ou potentielle, c’est-à-dire que l’on peut tracer en théorie selon les balises données par la Convention de Montego Bay de 1982, mais qui ne sont en rien le produit agréé de négociations entre les deux États concernés. Partant de ce constat d’un domaine d’étude encore peu défriché, l’étude systématique des frontières maritimes, M. Labrecque se propose de construire une étude complète de ces frontières, en suggérant une grille de classification des tracés selon neuf critères répartis en quatre familles : des critères génétiques : agréées, décidées ou imposées ; endogènes ou exogènes ; uniséquentielles ou multiséquentielles ; achevées ou inachevées ; des critères fonctionnels : multi ou uni ; symétriques ou dissymétriques selon qu’elles séparent des espaces maritimes semblables ou fondés sur des catégories différentes du droit de la mer (par exemple, plateau continental et zone économique exclusive) ; des critères morphologiques, selon qu’elles partagent des espaces maritimes à partir d’une même côte ou entre deux côtes opposées ; des critères instrumentaux enfin. L’auteur propose par ailleurs de nombreux autres critères d’analyse. Il rappelle aussi, de façon claire et concise, les grands principes de délimitation des espaces politiques et juridictionnels prévus par le droit de la mer, avant de passer à un tour du monde, une série d’études de cas couvrant la totalité des espaces maritimes. On ne pourra reprocher à l’auteur son incompétence ou des fondements théoriques insuffisants : il démontre une grande maîtrise, tant des concepts que de la matière qu’il expose. En ce sens, l’ouvrage constitue une louable entreprise de rédaction d’une recension des tracés frontaliers bilatéraux. On pourra regretter, cependant, quelques points, qui ne sauraient entacher réellement l’ouvrage – qui reste ainsi perfectible. Tout d’abord, l’analyse fréquente et répétée de l’étude de cas du tracé de la frontière canado-américaine dans le golfe du Maine, base des travaux de maîtrise de l’auteur, travaux où il a par ailleurs excellé. Mais la répétition de ce cas de figure finit par produire le sentiment qu’elle se fait au détriment de l’analyse d’autres cas, sans doute tout aussi intéressants. Ensuite, le caractère un peu énumératif des multiples études de cas ; en la matière, l’ambition de l’auteur étant de produire une étude complète des frontières maritimes, il était difficile de …
Labrecque, Georges, Les frontières maritimes internationales. Géopolitique de la délimitation en mer, coll. Raoul-Dandurand, 2e éd. rev. et augm., Paris/Montréal, L’Harmattan/La Chaire Raoul-Dandurand, 2004, 532 p.[Notice]
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Frédéric Lasserre
Département de géographie et
Observatoire de recherches internationales sur l’eau
hei, Université Laval, Québec