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Peu de disciplines sont aussi mal connues, y compris par les universitaires, que le droit, en particulier le droit international. Ainsi, on affirme souvent que celui-ci est impuissant à contribuer au règlement pacifique des différends, notamment les différends territoriaux qui sont les plus nombreux. Pourtant, c’est dans la majorité des cas que les décisions des tribunaux internationaux sont respectées par les Parties, lorsque ces instances ont été saisies par compromis. Par ailleurs, les résultats sont moins éloquents quand l’affaire est introduite par requête unilatérale.
C’est un fascinant voyage que le lecteur est invité à parcourir en lisant International Law in World Politics, car il ne s’agit pas seulement de plonger au coeur de deux disciplines en examinant certes leurs objets respectifs d’études, mais aussi de longer, si on peut dire, la frontière qui les unit plutôt qu’elle les sépare. Le droit international et la politique internationale sont en effet deux sciences de plus en plus rapprochées dans le contexte de la mondialisation, mais elles n’en sont pas moins distinctes – réalité que certaines écoles de pensée ont tendance à occulter, notamment quant à l’autonomie du droit international.
Cette interrelation presque inextricable, cette question de savoir lequel, de l’oeuf ou de la poule, vient en premier, l’auteure la présente avec une clarté admirable dès le chapitre introductif, en montrant, par exemple, que les traités multilatéraux (cette source la plus importante du droit international, chap. 7 et 8) sont le résultat d’âpres négociations au cours desquelles les États les plus puissants semblent de toute évidence partir avec une longueur d’avance. Pourtant, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, mentionnée par Scott à plusieurs reprises tout au long de l’ouvrage, n’est-elle pas d’abord le fruit de la volonté des États en développement auxquels on a reconnu des juridictions exclusives sur d’immenses zones de pêche (200 milles marins), réputées jusque-là de haute mer et donc ouvertes à tous, mais en pratique aux États technologiquement et économiquement avantagés.
En d’autres termes, le principe de l’égale souveraineté des États, qui sont les sujets principaux du droit international (chap. 2), consacre l’égalité de droit, tandis que subsiste l’inégalité de fait, comme du reste en droit interne. La notion de consentement, fondamentale en droit international, met en évidence la proximité de la discipline avec la politique, à un point tel que l’ouvrage aurait pu tout aussi bien s’intituler World Politics in International Law ou mieux encore International Law and World Politics.
Scott examine aussi ces interrelations dans les activités des organisations internationales et des acteurs non étatiques (chap. 3 et 4), soit l’Assemblée générale des Nations Unies, son Conseil de sécurité, les ong comme Amnesty International ou Greenpeace, les sociétés multinationales, enfin la Cour internationale de justice (cij), qui aurait mérité à elle seule un chapitre entier, puisque le principe du consentement, sans lequel elle ne saurait fonctionner, est ici particulièrement intéressant à examiner.
L’auteure accorde par ailleurs à ce tribunal quelques pages fort intéressantes au chapitre 5, dans lequel elle adopte une approche résolument théorique en prenant ses distances, si on peut dire, par rapport à la politique, en montrant l’autonomie considérable du droit : « International law may be entwined with world politics, but it is not enmeshed » (p. 87). Scott définit alors la discipline comme étant l’étude des règles, principes et concepts, qui peuvent être divisés en trois catégories (ou niveaux) entre lesquels il existe une interrelation. Ainsi, il faut distinguer, au premier niveau, l’école philosophique à laquelle appartient le droit (positif ou naturel); au second niveau, se trouve le moteur permettant de faire fonctionner ces règles (par exemple, les sources du droit ou la procédure devant la cij) ; enfin, au dernier niveau, Scott distingue les divers champs d’application du droit (usage de la force, aviation, etc.). S’agissant des divers modes de saisine de la Cour (requête unilatérale, clause compromissoire, déclaration facultative de juridiction obligatoire), le sacro-saint principe du consentement de l’État émerge en permanence, et l’on se retrouve au coeur de la politique.
Pourtant, l’auteure soutient avec beaucoup de conviction, au chapitre 6, que l’analyse juridique, qui prétend être apolitique, est souvent mise au service des forces politiques. Ainsi, Scott compare-t-elle les arguments juridiques de deux discours différents concernant la même affaire et avec lesquels on peut être ou ne pas être d’accord : d’une part, la licéité de l’usage de la force par l’otan dans les bombardements de la Yougoslavie durant la crise du Kosovo ; d’autre part, les arguments de la Yougoslavie, quand elle a saisi la cij en alléguant l’illicéité des actions prises par plusieurs des États membres de l’otan qui avaient participé à ces bombardements.
La réticence à faire évoluer et surtout à faire appliquer des règles juridiques marquées par le partage et la générosité (tel le concept de patrimoine commun de l’humanité), n’est pas bien sûr l’apanage exclusif des plus puissants, comme l’auteure s’applique d’ailleurs à le démontrer aux chapitres 9, 10, 11 et 12, consacrés respectivement au contrôle juridique des armes, aux droits de la personne, au droit humanitaire et à la protection de l’environnement. Pourtant, force est de constater, note Scott, la persistance d’un fossé important entre la pratique de bien des États et l’existence des normes universelles en matière de droits de la personne (déclaration de 1948, pactes de 1966, convention de 1951 relative aux réfugiés, convention de 1965 concernant la discrimination contre les peuples, celle de 1979 contre les femmes, convention relative aux droits des enfants de 1989).
Dans une conclusion brève mais très dense qui invite à la réflexion, l’auteure soumet au lecteur cinq questions que se pose l’internationnaliste au sujet de l’avenir de sa discipline. Le droit international peut-il relever le défi que pose le rôle croissant des acteurs non étatiques et des sociétés multinationales ? Serons-nous témoins de la victoire des droits de la personne sur la souveraineté de l’État ? Le droit international requiert-il que l’État soit démocratique ? Le positivisme juridique est-il une école encore appropriée au nouvel environnement mondial ? Enfin, se peut-il que la politique internationale soit devenue surjuridicisée ?
Très solidement documenté, l’ouvrage puise tout autant dans le domaine des relations internationales que du droit et il examine aussi bien les nouvelles approches de cette dernière discipline (par exemple, les études féministes et le soft law) que les sources traditionnelles. Notons d’ailleurs que l’auteure a ajouté à ses nombreuses notes une bibliographie complémentaire qui comporte notamment d’utiles références sur Internet. Nous regrettons cependant l’absence de tables des affaires citées à laquelle tous les juristes sont habitués, qui eût fait de ce très riche essai un véritable ouvrage de référence. Car International Law in World Politics. An Introduction est beaucoup plus qu’une introduction ; et s’il s’adresse très certainement aux étudiants de sciences politiques, comme le mentionne l’éditeur, les étudiants en droit y trouveront aussi de riches informations et de précieuses sources de réflexion.