Les dernières années ont été riches en contributions universitaires et journalistiques sur l’empire américain, les politiques impériales de l’administration Bush et sur la signification de l’hégémonie. Pourtant, les conclusions semblent toujours aussi simples malgré la complexité des questions. Ce numéro spécial veut apporter un éclairage approfondi sur les véritables mutations de la puissance américaine. Le débat reste entier : les États-Unis sont-ils un empire ou un hégémon ? Peut-on comparer cet empire à ceux du passé ? Le premier mandat de l’administration Bush témoigne-t-il d’une politique impériale pérenne ou éphémère, en continuité ou en rupture avec l’histoire de la politique étrangère des États-Unis ? Quelle part faut-il accorder aux facteurs géopolitiques, économiques, culturels, idéologiques et institutionnels pour expliquer l’évolution de la puissance américaine ? Autant de questions auxquelles ce numéro tente de répondre. Deux niveaux d’analyse sont privilégiés : au niveau théorique, les auteurs analysent la signification et la portée de l’hégémonie américaine ; au niveau empirique, ils en étudient les effets sur le système international. À la lecture des articles qui suivent, les chercheurs pourront vite réaliser que les débats sur l’empire américain donnent une impression de « déjà vu ». Et pour cause ! Si les théories sont parfois novatrices (notamment en permettant une lecture critique des termes utilisés), l’analyse n’évite parfois pas les jugements simplificateurs et, malgré tout, la recherche fondée sur un avancement des connaissances paraît toujours insuffisante. Bref, il y a matière à réflexion constante sur l’empire, tant les controverses qui entourent l’interprétation de l’hégémonie américaine restent nombreuses. La recherche n’est pas en panne, loin de là. On compte par dizaines le nombre d’ouvrages et d’articles sur le thème de l’empire américain, et c’est là l’une des conséquences des politiques que l’administration Bush a menées depuis cinq ans. On retrouvera tout au long de ce numéro spécial quantité de références récentes sur la signification et la portée de l’hégémonie américaine. L’écueil principal demeure l’usage des termes. À cet égard, le débat reste aussi vif qu’il y a trente ou quarante ans : doit-on parler d’empire ou d’hégémonie dans le cas de la politique extérieure des États-Unis ? Il est vrai, comme le fait remarquer Michael Cox, que « l’idée même d’empire américain, il y a une ou deux décennies, aurait engendré l’indignation vertueuse de certains cercles aux États-Unis. Ce n’est vraisemblablement plus le cas aujourd’hui ». Autrement dit, l’idée que les États-Unis constituent un empire et mènent une politique impériale est de plus en plus répandue, chez les chercheurs comme sur l’ensemble de l’échiquier politique. Et pourtant, les mots donnent un sens à l’explication. Le terme Empire a une connotation territoriale et se réfère à un contrôle direct et coercitif de ses sujets (à la manière des anciens empires européens), tandis que celui d’hégémonie renvoie plutôt à des formes indirectes ou informelles de persuasion et d’asservissement des acteurs du système international. Si le premier terme est plus réaliste et militaire, le second est plus libéral et institutionnel. Certains diront qu’au bout du compte, les deux finissent par se ressembler. Il y a cependant des différences à parler d’hégémonie américaine sous l’administration Clinton et d’empire américain sous la présidence Bush. Serait-il plus juste alors de faire référence à la « tentation impériale », comme le fait Michael Cox, ou à un « nouvel empire » (comme le font plusieurs auteurs d’un récent numéro de Security Dialogue), voire à un « empire par défaut » comme l’affirme depuis longtemps l’historien John Lewis Gaddis ? Dans tous les cas, les États-Unis sont une représentation et une articulation particulière de l’idée d’empire : ils ont …
IntroductionLectures sur l’hégémonie et l’avenir de la puissance américaine[Notice]
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Charles-Philippe David
Professeur de science politique
Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques
Observatoire sur les États-Unis
Université du Québec à Montréal