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Au lendemain de la signature à Rome, le 29 octobre 2004, par les chefs d’État et de gouvernement des vingt-cinq États membres du traité constitutionnel européen, qui assoit le rôle du Parlement européen, il s’avère opportun de s’interroger sur le renouveau du parlementarisme en Europe occidentale. L’ouvrage dirigé par les politistes Olivier Costa, Éric Kerrouche et Paul Magnette apporte des éléments de réponse nouveaux et ouvre de nombreuses pistes de réflexion. Inspiré par le courant néo-institutionnaliste, ce livre démontre la diversité des adaptations des Parlements nationaux pour damer le pion au gouvernement. Toutefois, il tente de se démarquer de cette approche réductrice en s’attachant aux effets sur le parlementarisme de l’avènement de la gouvernance. À ce titre, il expose les nouvelles fonctions assumées par les Parlements pour continuer à jouer un rôle sur l’échiquier politique (fonction de contrôle et de communication).
D’ailleurs, dans sa préface, le professeur de science politique Jean Blondel insiste sur l’originalité de la démarche des auteurs, qui s’intéressent au rôle imparti au Parlement dans un système fondé sur la gouvernance, au lieu de relancer le débat sur le déclin du parlementarisme.
L’intitulé même de la dense introduction d’Olivier Costa, Éric Kerrouche et Paul Magnette (le temps du parlementarisme désenchanté ? Les parlements face aux nouveaux modes de gouvernance) est sans équivoque. Après avoir retracé l’évolution de la pensée scientifique (thèse du déclin de l’approche institutionnelle, et, ensuite thèse de l’adaptation de l’approche fonctionnaliste), ce texte relativise l’impact des huit causes (règne de l’exécutif, discipline partisane, expertise, succès des thèses libérales, corporatisme, abandon du monopole de l’expression de la volonté générale, intégration régionale et décentralisation) de la mutation du parlementarisme en dégageant une typologie fondée sur cinq idéaux-types d’adaptation des parlements (nostalgiques, laxistes, partisans du développement de la fonction de contrôle du Parlement, avocats d’une fonction de médiation et d’arbitrage et les adeptes d’une véritable collaboration du Parlement avec les autres acteurs). Rompant avec l’opposition des régimes parlementaire et présidentiel, les auteurs recourent au concept de veto player pour illustrer la magistrature d’influence des différents parlements sur les politiques publiques. Toutefois, le tableau qui est brossé sur le renouveau du parlementarisme est contrasté. De plus, les Parlements européens continuent à jouir d’une légitimité, à exercer des prérogatives symboliques (voter les lois, ratifier les traités, contrôler le gouvernement et réviser la constitution) et à incarner le lieu du débat public. Toutes ces problématiques sont ensuite approfondies par les douze articles composant les trois parties de l’ouvrage.
La première partie, consacrée au « parlementarisme en Europe », repose sur des approches transversales. Le lecteur est, tout d’abord, invité par Éric Kerrouche à « appréhender le rôle des parlementaires » grâce à « une étude comparative des recherches menées et perspectives ». Loin de se contenter des rares recherches réalisées en la matière, l’auteur démontre l’intérêt – notamment par des figures pédagogiques – du concept outil d’éligibilité pour enrichir nos connaissances sur le travail des parlementaires. Ensuite, après s’être interrogé sur les « parlements entre gouvernement et concordance », le professeur Daniel-Louis Seiler prédit que l’Union européenne poursuivra la voie de la démocratie représentée. Cette conclusion prospective éclaire, enfin, l’étude du chercheur Olivier Rozenberg sur « la perfectible adaptation des parlements nationaux à l’Union européenne ».
La deuxième partie s’attache à la « pratique parlementaire en Europe ». Dans une première étape, la contribution de Paul Magnette traite du « parlementarisme dans une démocratie de compromis » à partir de « réflexions sur le cas belge ». Ses développements et ses tableaux illustrent parfaitement l’éminente thèse de Maurice Duverger sur la relation consubstantielle entre l’absence de fait majoritaire et l’affaiblissement du parlementarisme. Pour la deuxième étape, Peter Dorey analyse « le Parlement en Grande-Bretagne » en distinguant trois périodes : l’âge d’or du modèle de Westminster, l’époque du déclin et la phase présente et à venir du renouveau, qui s’explique – paradoxalement – par le fait que sa fonction symbolique et culturelle s’affermit avec le déplacement du lieu de pouvoir. Le voyage continue avec la communication de Luca Verzichelli intitulée « le parlement italien est-il encore une institution centrale ? Le renouveau de la démocratie parlementaire en Italie ». À partir de nombreuses figures, l’auteur démontre que l’Italie a été marquée de 1992 à 2002 par des pratiques majoritaire et polycentrique. L’itinéraire se poursuit à l’Est avec, en guise de quatrième escale, l’étude sur « les parlements en Europe centrale et orientale. Bulgarie, Pologne et Roumanie » écrite à trois mains par Jean-Michel de Waele, Petia Gueorguieva et Sorina Soare. Cette analyse révèle que le Parlement n’est pas, malgré les situations hétérogènes des cas examinés, la pierre angulaire du processus de démocratisation des anciens pays communistes. En cinquième lieu, l’angle d’attaque politiste d’Isabelle Bourbao-Guiziou sur « le parlementarisme à la française : une Assemblée nationale sous contrainte ? » confirme la thèse constitutionnaliste de « la chambre d’enregistrement » tout en montrant le rôle majeur joué par la chambre basse. La professeure Armel le Divellec dresse, ensuite, un bilan positif du « parlementarisme en Allemagne : de l’exception au modèle européen ». En dernier lieu, Torbjörn Bergman et Thomas Larue dévoile les arcanes du « régime parlementaire en Suède » où le Parlement incarne toujours la légitimité démocratique.
La dernière partie traite du « parlementarisme au-delà des régimes parlementaires ». Dans la première contribution dédiée au « parlement dans un régime non parlementaire : le cas de la Suisse », le professeur Frédéric Varone expose les limites de ce régime directorial. La dernière et captivante contribution a trait au « parlementarisme au-delà de l’État : le cas de l’Union européenne ». De manière pertinente et convaincante, le professeur Olivier Costa prédit une parlementarisation de l’Union européenne, qui sera, néanmoins, à court terme « nécessairement limitée ».
Ces réflexions peuvent être poursuivies grâce aux bibliographies complètes et fouillées présentées en fin de chaque article. De plus, il est intéressant de consulter en fin d’ouvrage le titre, les champs de recherche et les travaux des différents contributeurs.
La lecture de ce recueil d’articles est facilitée par l’absence d’un style ampoulé, par l’usage modéré du jargon des politologues et par la présence d’une liste exhaustive des abréviations et d’une table des matières.
Ce spicilège s’adresse aux politistes, mais aussi à tous les citoyens qui s’intéressent à la figure emblématique de la démocratie représentative et à tous ceux qui contribuent à la vie politique.