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Le livre est constitué de 30 articles, dont 29 parus antérieurement dans le Journal of Democracy. Ses directeurs le présentent comme une tentative d'expliquer la résistance qu'offrent le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au développement de la démocratie et de démontrer le besoin urgent d'adapter les cadres théoriques et analytiques aux particularités de cette région.
Les essais sont regroupés sous trois rubriques générales : Democratization in the Arab World, Iran and Turkey et Islam and Democracy. La première rubrique regroupe des études de cas et des articles synthèses portant sur le monde arabe (Algérie, Arabie Saoudite, Égypte, Émirats [Bahrein, Koweit et Qatar], Jordanie, Maroc, Tunisie et Yemen). Sous la deuxième rubrique sont examinées les institutions politiques de l'Iran et de la Turquie. La dernière rubrique discute des possibilités de libéralisation et de démocratisation dans l'ensemble de l'aire géographique musulmane.
Le lecteur désirant se familiariser avec la réalité de la région appréciera :
Une juxtaposition d'analyses dont l'aire géographique dépasse l'aire arabe à strictement parler pour englober deux pays musulmans non arabes : l'Iran (cinq chapitres à lui seul) et la Turquie.
Des analyses utilisant la stratégie des acteurs comme principale variable explicative, évaluant le degré d'ouverture de la plupart des régimes étudiés à l'aune du bon vieux paradigme des rapports de force entre les acteurs des quatre pouvoirs, et tenant compte de manière réaliste des conditions internes et internationales du changement.
La dépréciation convaincante de l'attitude fataliste culturaliste qui, dans la littérature scientifique, considère trop souvent la culture islamique comme un obstacle invariable et incontournable à la démocratisation.
La classification des régimes de la région en deux catégories : ceux qui sont totalement fermés à la démocratisation (l'Irak d'avant la guerre de 2003, la Syrie, la Libye, la Tunisie et l'Arabie Saoudite) et ceux qui, à travers les années, fluctuent sans cesse entre plus ou moins de liberté.
Les textes sont de valeur inégale toutefois. Certains enrichissant les connaissances par leur profondeur documentaire et théorique. Telles sont les contributions de Daniel Brumberg : son analyse de la logique de survie (logic of survival) du régime iranien face à la contestation politique montante, son bilan du courant postmoderne (enlightened Muslim thought) qui se développe dans la région, ainsi que sa vision dynamique de la catégorie politique « autocracie à forme libéralisée » (liberalized autocracy).
Telle est aussi la discussion nuancée et originale de Willliam B. Quandt sur les formes du changement politique en Algérie.
Tels sont aussi les trois essais d'Abdou Filali-Ansary dans la troisième partie de l'ouvrage, alors qu'il traite tour à tour de la rencontre de l'Islam et de l'Occident (datée de manière inattendue), du défi de la sécularisation dans la région, et de l'évolution de l'idéologie islamiste dans ses versions traditionnelle, moderne et postmoderne (même s'il n'utilise pas exactement ces termes).
Les autres textes relèvent davantage de la chronique journalistique spécialisée que de la littérature académique. Certains de ceux-ci ont quand même le mérite de bousculer les idées reçues et les clichés prévalant dans les cercles académiques « occidentaux » - au sens géographique, et non pas culturel, du terme -. Dans cette deuxième catégorie, le lecteur aura intérêt à prendre connaissance :
De la contribution des soeurs Boroumand sur la continuité historique de la terreur, de la Révolution française à la Révolution iranienne.
Des conditions programmatiques proposées par Vickie Langhor pour que s'amorcent des processus viables d'ouverture politique en pays musulman.
Du bilan pessimiste dressé par Mohamed Talbi sur tous les pays de la région sans exception.
Pour les spécialistes de la région, par contre, l'ouvrage n'apporte rien de très substantiel : ni dans la chronique des régimes politiques observés, ni dans le développement théorique en matière de politique comparée.
Parmi les faiblesses théoriques de l'ouvrage, notons les termes de démocratie et de libéralisation qui semblent varier d'un auteur à l'autre et l'absence totale de cadre méthodologique pouvant intégrer les opinions des différents contributeurs. Par contraste avec la qualité de certains des essais, plusieurs autres recourent trop facilement à des clichés simplificateurs du genre « pas de démocratie sans développement au préalable » ou de « la guerre sans merci des islamistes contre les civils en Algérie ». Certains encore appuient sans réserve la vision fataliste des cycles élaborée par Ibn Khaldoun. Plusieurs négligent d'étayer leurs thèses par un minimum de références empiriques ou développent insuffisamment leurs concepts. De la sorte, la lecture de l'ouvrage laissera au lecteur une impression de confusion.
En somme, à cause des faiblesses théoriques de l'ouvrage et de son manque d'unité, le double objectif que se fixaient au départ les directeurs de la publication n'est pas atteint : une telle collection d'essais pourrait certes contribuer à expliquer la résistance qu'offre la région observée au développement de la démocratie et à démontrer le besoin urgent d'adapter les cadres théoriques et analytiques aux particularités de cette région. Toutefois, tant l'explication que la démonstration demeurent à construire.