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De nombreux auteurs présentent le Canada comme un pays non militaire, anti-militaire, ou voire même pacifiste. Avec Campaigns for International Security, Douglas Bland et Sean Maloney soutiennent que le Canada est loin d'être non militaire, en fait, il est sans politique de défense. L'originalité de cet ouvrage ne consiste pas vraiment en ses observations et recommandations générales aussi bien que spécifiques, mais au fait qu'il est pratiquement l'unique ouvrage académique portant sur la politique canadienne de défense.
Le livre se divise en six chapitres et comprend deux annexes. Les deux dernières parties offrent une typologie intéressante des activités militaires, une liste des opérations nationales et internationales auxquelles ont participé les Forces canadiennes durant les années 1990 et 2000, ainsi qu'une liste des différentes abréviations militaires.
Dès le premier chapitre, les deux auteurs définissent le contexte international, ainsi que la participation canadienne aux actions militaires du Nouvel ordre international. Pour Douglas Bland et Sean Maloney, le Canada n'est plus seulement une nation engagée dans le maintien de la paix, mais un acteur oeuvrant à la stabilité internationale. Cet ouvrage est donc centré sur un concept clé, celui des campagnes de stabilité ou Stability Campaigns. Ce concept est défini de manière large. Bien que les objectifs d'une campagne de stabilité soit militairement presque les mêmes que ceux du maintien de la paix, pour Douglas Bland et Sean Maloney, les deux notions sont différentes. Selon ces auteurs, le déploiement de forces durant une campagne de sécurité est sujet aux objectifs politiques de l'État. Les opérations de stabilisation ne sont donc pas impartiales ou neutres comme dans le cas du maintien de la paix. Les différences majeures entre les deux concepts se situent au point de vue des objectifs à atteindre, mais également au niveau des moyens employés. Outre la définition de ce concept, le premier chapitre dresse un bilan des activités canadiennes dans le Nouvel ordre mondial. En général, selon ces auteurs, le Canada a grandement contribué à la stabilité internationale depuis la fin de la guerre froide. Cependant, pour Bland et Maloney, l'avenir est sombre car les capacités militaires canadiennes s'effritent rapidement et la politique canadienne de défense est improvisée et souvent incohérente.
La deuxième section propose ce qui devrait être la politique de défense canadienne ou du moins, des pistes pour l'élaboration d'une telle politique. Ces deux auteurs adoptent la définition et la vision de l'élaboration des politiques telles que proposées par William Jenkins. Selon cette approche, l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique se définit comme étant une série de décisions par des acteurs spécifiques à l'intérieur d'un processus de décisions. La majorité du chapitre porte donc sur l'identification théorique des types de processus d'élaboration de la politique de défense, ainsi que des acteurs influents au sein de ce processus.
En lien avec ce développement théorique, la troisième partie du livre nous révèle que l'attitude canadienne envers la défense et la sécurité reflèterait un comportement national canadien Canadian Way of Warfare et en particulier l'approche nationale des relations civilo-militaires. Douglas Bland et Sean Maloney définissent cette attitude comme étant la volonté de s'impliquer dans des processus militaires, sans y investir de ressources militaires ou monétaires importantes. Ainsi, sans la menace d'une crise urgente, les Canadiens ne seraient pas enclins à investir des ressources pour leur propre défense.
Campaigns for International Security nous révèle donc que le maintien de la paix tel qu'imaginé en 1956 répondrait à ces impératifs typiquement canadiens. L'activité majeure des Forces canadiennes durant les cinquante dernières années étant la participation à des opérations avec les Nations Unies, le peuple canadien aurait développé un « mythe » national d'utilisation de la violence altruiste. Basé sur cette croyance, la population canadienne est donc d'avis que le pays n'a finalement pas besoin de véritables forces armées. C'est à ce « problème » que veulent s'attaquer Douglas Bland et Sean Maloney.
Pour ces auteurs, il est évident que le Canada a besoin de forces armées et qu'il faudra, à un moment ou à un autre, les utiliser pour faire valoir ses intérêts nationaux et accroître son influence. Selon cette logique, la politique canadienne de défense serait constamment imprégnée par une contradiction entre la façon préférée par les politiciens de faire les choses (le maintien de la paix) et la façon traditionnelle des militaires (intervention militaire). Pour Bland et Maloney, ces façons de faire sont le résultat d'une perception différente du monde. La pensée des militaires canadiens reposerait sur six mythes contredits par neuf réalités politiques qui sont décrits en détail dans le chapitre. Celui-ci se poursuit avec l'identification des racines historiques du maintien de la paix international comme étant le principe de liberté et non celui de la paix. Il s'agit ici d'une autre opportunité pour les auteurs de souligner les nombreuses divergences canadiennes en matière de défense, entre les buts et les moyens, ainsi que la vision politique et la planification militaire.
Pour nos auteurs, cette divergence entre l'autorité politique et les dirigeants militaires s'accentua durant les années quatre-vingt dix, à la suite de l'absence d'une politique cohérente et de l'improvisation du gouvernement Chrétien. C'est du moins la conclusion du quatrième chapitre qui décrit les décisions et indécisions politiques durant cette décennie. Les exemples cités varient de l'élaboration du Livre blanc de 1994 au système d'acquisition et de gestion de l'équipement de la défense.
La cinquième partie propose un modèle de financement basé sur un passé très lourd, mais qui n'est pas à rejeter totalement. Quelques propositions innovatrices y sont avancées, telle une redéfinition des partenariats avec l'entreprise privée pour la location à long terme de certains équipements militaires comme des avions, au lieu d'investir la majorité du budget de la défense dans l'achat et la construction.
Le sixième et dernier chapitre propose de nombreuses recommandations afin de permettre au Canada d'élaborer une éventuelle politique de défense. Les éléments clés de cette élaboration seront de considérer que le Canada est de facto engagé dans des activités de stabilisation internationale et non plus seulement dans le maintien de la paix. En contrepartie, les capacités militaires canadiennes sont en déclin et sont bien loin de répondre aux besoins réels.
Outre ces considérations, les auteurs renchérissent avec les recommandations suivantes : le Parlement devra jouer un plus grand rôle dans l'élaboration et le suivi des activités de la politique de défense ; la politique de défense doit faire partie d'une stratégie plus englobante de la sécurité nationale ; une meilleure coopération avec les États-Unis sera requise, sans nécessairement adopter automatiquement les mêmes politiques ; et la reconstruction des forces canadiennes devra répondre à l'un des trois choix suivants : la spécialisation de ses forces dans un rôle spécifique, se restreindre à conduire seulement des activités régionales ou arrimer simplement ses activités sur les décisions des Nations Unies. Outre les aspects financiers et humains de la reconstruction et la transformation des Forces canadiennes, il est clair pour Bland et Maloney que la crise définissant présentement la politique étrangère et de défense canadienne ne pourra être résorbée avant cinq ou dix ans car l'achat d'équipement, le développement des capacités militaires et l'entraînement des soldats exigent considérablement de temps, même si une décision et des directives claires sont émises immédiatement.
Campaigns for International Security s'adresse à un public très large. Son approche théorique appuyée par de nombreux exemples historiques et des données empiriques, permettent aux universitaires, aussi bien qu'aux praticiens, d'y retrouver de nombreux éléments intéressants. L'ouvrage est bien structuré et facile à consulter. Ce livre possède cependant les défauts de ses qualités. En effet, en couvrant un domaine large et de nombreux aspects de la politique de défense canadienne, le développement théorique laisse les universitaires sur leur faim. Campaigns for International Security se situe donc entre un véritable ouvrage théorique sur le processus d'élaboration de la politique de défense canadienne et une lettre ouverte bien documentée adressée aux politiciens. Les étudiants y trouveront de nombreux éléments intéressants au sujet des cultures militaire et politique canadiennes, tout en lançant plusieurs pistes de recherche.