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Résultat d’un projet de l’International Peace Academy (ipa), cet ouvrage collectif explore les relations entre les Nations Unies et les organisations régionales dans le domaine de la paix et de la sécurité.
Le constat est connu, la littérature abondante. La régionalisation des questions de sécurité n’est pas nouvelle, l’onu ayant parfois eu recours aux organisations régionales pour tenter de maintenir la paix et la sécurité durant la guerre froide, en vertu du chapitre viii de la Charte des Nations Unies. Mais avec la fin de la confrontation bipolaire et le renouveau onusien, les Nations Unies se retrouvent rapidement débordées par la multiplication des opérations de paix et se tournent alors vers les organisations régionales pour les épauler. Officiellement, cette collaboration interinstitutionnelle procède d’une volonté de partager les tâches et les responsabilités. Beaucoup plus prosaïquement, cette évolution est aussi le résultat de calculs politiques, stratégiques et économiques.
Rappelant les raisons de cette évolution, les auteurs examinent dans une première partie les avantages et les inconvénients de la régionalisation des opérations de paix. Ainsi, le recours aux organismes régionaux sert-il parfois de faire-valoir aux grandes puissances, qui peuvent dès lors plus facilement détourner les yeux de crises ou de conflits dans lesquels elles ne veulent pas s’engager et risquer la vie de leurs soldats. Dans d’autres cas, cette « régionalisation » leur permet au contraire de contrôler plus facilement les opérations dans des régions qu’elles considèrent comme stratégiques, tout en agissant sous le couvert du multilatéralisme. Enfin, faire appel aux organisations régionales permet aussi de mieux répartir le poids financier de ces opérations. Cependant, rappellent également les auteurs, les organisations régionales présentent aussi plusieurs inconvénients : manque d’impartialité, manque de capacités ou encore de compétences pour faire face aux tâches qui leur sont assignées. Ce qui n’en fait pas toujours les mieux placées pour mener à bien ces opérations de paix.
Dans une deuxième partie, les contributeurs analysent plus spécifiquement les relations entre les Nations Unies et les organisations européennes compétentes en matière de paix et sécurité (otan, osce, ue). Dans le chapitre 4, Dick Leurdijk montre comment l’otan réussit à évoluer d’une organisation de défense vers une organisation de sécurité collective, et relégua les Nations Unies au second plan dans les Balkans, en particulier au Kosovo. L’otan agit à la demande des Nations Unies en Bosnie (même si, comme le rappelle l’auteur, il n’y avait pas de référence précise au chap. viii des Nations Unies), puis lança seule, sans l’aval du Conseil de sécurité, l’opération « Forces Alliées » au Kosovo. Toute coopération avec les Nations Unies ne fut pas pour autant exclue. Cependant, la répartition des rôles serait assez bien définie : à l’otan les opérations militaires ; aux Nations Unies et autres organisations européennes, les aspects plus civils.
Dans le chapitre suivant (chap. 5), Nina Graeger et Alexandra Novosseloff reviennent précisément sur les fonctions assumées par l’osce et l’Union européenne dans le domaine de la paix et de la sécurité. En Bosnie, en Slavonie orientale ou au Kosovo, mais aussi en Georgie et au Tadjikistan, nous expliquent les auteurs, l’osce a activement coopéré avec les Nations Unies en assumant le plus souvent des fonctions de police. De son côté, l’Union européenne, qui avait été particulièrement absente en Bosnie, s’est lancée depuis, dans des missions de paix sur le terrain, comme en témoignent les opérations en Macédoine puis au Congo, au printemps 2003. Pour les auteurs, le modèle subcontracting qui avait jusque-là prédominé n’est donc plus de mise, et cette volonté de l’Union européenne de devenir un acteur global tant sur le plan diplomatique que militaire, oblige par conséquent à repenser les relations entre cette dernière et l’Organisation des Nations Unies, mais aussi entre les différentes organisations européennes entre elles.
Dans une troisième partie, les contributeurs reviennent cette fois plus spécifiquement sur les aspects normatifs et opérationnels de la coopération entre l’onu et les organisations régionales engagées dans la reconstruction des Balkans : coordination entre civils et militaires, coopération en matière de réforme des systèmes pénal et judiciaire, formation des polices nationales...
Enfin, la quatrième partie élargit le champ de comparaison à trois autres régions du monde : l’Asie et plus spécifiquement l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine à travers l’oea, et l’Afrique, avec un accent particulier sur l’Afrique de l’Ouest et les expériences de l’ecomog et ecowas au Liberia et au Sierra Leone.
Comme souvent dans ce genre d’entreprise collective, l’ensemble des articles est d’intérêt variable et de qualité inégale. L’ouvrage offre des analyses et des réflexions intéressantes sur l’état actuel et l’avenir des relations entre les Nations Unies et les organisations européennes dans le domaine de la sécurité. Cependant, l’ensemble souffre d’un certain « européocentrisme » et la perspective comparative de l’ouvrage est globalement décevante. Non seulement les auteurs ne tirent guère de leçons des expériences européennes pour les autres régions du monde, mais ils se posent encore moins la question inverse, à savoir quelles leçons tirer pour l’Europe des interactions entre les Nations Unies et les organisations régionales en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
Les organismes européens seraient-ils trop spécifiques pour transposer leurs expériences ailleurs ? Certes, on ne construit pas de modèle efficace sur des cas atypiques, quand bien même voudrait-t-on les présenter comme exemplaire. Toutefois, il n’aurait pas été inutile d’étudier plus en profondeur les cas abordés dans la quatrième partie (Asie, Amérique latine, Afrique) ou dans l’article de Ian Martin (Haïti, Éthiopie-Érythrée, Timor oriental..). Sans parler de l’Afghanistan ou encore de l’Irak, trop brièvement évoqués dans la conclusion.
En dépit de ces observations, cet ouvrage a toutefois le mérite de soulever des questions importantes : la régionalisation des opérations de paix est-elle souhaitable et inévitable ? Faut-il tenter d’institutionnaliser davantage ces liens ou bien poursuivre dans la tendance actuelle, à savoir opérer sur des bases ad hoc et privilégier les alliances à géométrie variable ?
Dans leur réponse, les auteurs restent prudents à défaut d’être originaux. Penchant en faveur d’un renforcement de la coopération et de la coordination opérationnelle entre les Nations Unies et les organismes régionaux dans le domaine des opérations de paix, ils estiment néanmoins que l’institutionnalisation des relations entre l’onu et les différentes organisations régionales ne doit pas se faire au détriment de la capacité de ces organisations à fournir des réponses adéquates aux problèmes posés. Somme toute, cette vision fonctionnaliste, voire néo-fonctionnaliste des organisations internationales rappelle ce que pensait déjà Inis Claude en 1967 : la question n’est pas tant de savoir ce que peuvent faire les Nations Unies, que de chercher à quoi elles peuvent être utiles.