Introduction[Notice]

  • Nathalie Tousignant et
  • Martin Pâquet

…plus d’informations

  • Nathalie Tousignant
    Professeure d’histoire contemporaine
    Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles
    Chargée de cours invitée, Institut d’études européennes
    Université catholique de Louvain, Belgique

  • Martin Pâquet
    Professeur d’histoire
    Département d’histoire
    Université Laval, Québec

L’interlocuteur s’interroge : cédez-vous à la tentation de la dernière mode intellectuelle pour analyser la mise en place de politiques communautaires, l’influence des réseaux et la dynamique liée aux acteurs individuels et collectifs ou essayez-vous de rendre plus attrayante une analyse historienne, fouillée, documentée ? La tentation est grande, en effet, de succomber aux sirènes des tendances en vogue et au chatoiement éphémère des feux de la rampe. Dans le champ scientifique, parfois sensible aux interventions politiques et idéologiques, l’apparition de termes et de concepts neufs donne lieu régulièrement à ces effets rhétoriques de nouveauté, par lesquels les acteurs engagés dans des stratégies de promotion sociale usent d’un discours établissant la distinction avec d’autres locuteurs, relayant ces derniers dans les positions subalternes de l’archaïsme et de la ringardise. Plutôt que d’éclaircir une réalité en mouvance constante, le concept devient ici une arme rhétorique dans le cadre d’une lutte pour la monopolisation des biens symboliques, où ceux qui maîtrisent le langage détiennent un avantage indéniable sur ceux qui ne possèdent pas ce précieux capital. Une arme fort efficace, disons-le, qui légitime dans les esprits les relations de domination symbolique dans le temps présent. Dès lors, son invocation, voire son incantation, obscurcit les enjeux de ladite réalité sociopolitique. Terme connaissant une fortune certaine dans le contexte de la mondialisation des échanges économiques, du développement d’organisations supranationales, du primat du libéralisme et de la remise en question de la régulation étatique, la gouvernance comme concept opératoire et outil heuristique souffre souventefois de cet avatar des rapports de force idéologiques. Elle relève tantôt d’une conception cybernétique des rapports humains qui prolifère dans les sciences sociales depuis le milieu du xxe siècle, rapports humains pensés en fonction de l’activité économique et de leur estimation en termes de coûts et de bénéfices. Cette scolastique cherchant à légitimer les rapports de domination perce parmi certains écrits d’intellectuels médiatiques qui, férus de « technologie sociale » et agitant le slogan de la « société de connaissance », diagnostiqueront des « pathologies de gouvernance » : une « mauvaise performance » due à l’inefficacité de la coordination, à l’égalitarisme dogmatique et au consensus de convenance – autant d’« effets pervers » issus de la prise de décision collective. La prescription de ces docteurs Knock comprendra alors évidemment la déréglementation de larges pans de l’activité sociale et la promotion débridée d’un homo oecomonicus entrepreneurial au détriment du bien commun à court et à long termes. De l’autre côté du spectre idéologique, d’autres subvertissent le concept de gouvernance pour mieux l’intégrer dans leur programme politique. Ainsi, enchâssé dans un discours militant, le concept acquiert une grande part d’idéel, à l’instar de plusieurs projets utopiques, et sa capacité analytique s’en trouve – hélas ! – émoussée. Fi donc, la préciosité à l’égard de la gouvernance, car il s’agit bien de mettre en lumière des pratiques qui se sont développées au fur et à mesure de la mise en oeuvre des grands principes de l’intégration européenne. Plus encore, la construction de l’Europe depuis l’après-guerre, dans ses dimensions identitaires ou celles de la mise en place de stratégies gestionnaires et organisationnelles, offre à l’analyste un fascinant terrain d’enquête pour saisir l’histoire des prises de décision, ce domaine en émergence de l’histoire de la culture politique depuis les propositions paradigmatiques de Michel Foucault sur la gouvernementalité. D’où l’intérêt manifeste de l’étude de la gouvernance et de ses incidences dans la construction européenne. Au-delà du plat pays de l’empirie, sur un plan épistémologique plus global, il en va de l’élaboration d’outils nous permettant de comprendre des phénomènes complexes, sis sur différents ordres de réalité aux …

Parties annexes