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Dix ans après les débats difficiles sur la ratification du traité de Maastricht, et alors que le débat européen se focalise sur le projet de Constitution, l’Union européenne demeure encore très méconnue du grand public, apparaissant tantôt lointaine et abstraite, tantôt bureaucratique et anonyme. En proposant une analyse politique de l’Union européenne, l’ouvrage de Paul Magnette complète les approches institutionnelles traditionnelles et dépasse les péroraisons stériles qui, tour à tour, encensent les succès de la construction européenne ou en stigmatisent les atermoiements.
Après avoir souligné dans son propos liminaire, dans quelle mesure le processus d’intégration européenne se démarque des autres formes de construction fédérale, l’auteur insiste sur le caractère réducteur de la logique utilitariste pour cerner les fondements et les fonctionnements des institutions européennes. S’inscrivant dans la lignée des travaux de Jean-Louis Quermone, Carlos Closa Montero et Simon Hix, l’auteur s’attache à mettre en avant l’aspect novateur des relations entre États qui se manifeste dans les montages institutionnels et les processus décisionnels européens. D’où une présentation, non pas chronologique, mais accordant une grande place à ce que l’auteur appelle les « faits générateurs » : la « fédération d’États » (partie 1), les mécanismes de décision (partie 2) et, pour finir, la manière dont l’Union européenne affecte les perceptions des acteurs politiques et des citoyens (partie 3).
La première partie traite du rapport entre l’Union européenne et les États membres en pointant l’européanisation et ses limites (chap. 1), ainsi que l’équilibre qui s’établit entre les différents niveaux de pouvoir (chap. 2), l’Union et les États exerçant un contrôle réciproque entre eux. Dans le premier chapitre, l’auteur démontre à quel point la marge de manoeuvre de l’Union est restreinte et strictement encadrée par les gouvernements des États membres. L’Union demeure un cadre au sein duquel les dirigeants des États membres élaborent des politiques communes. Pour illustrer son propos, l’auteur évoque l’aspect historique des trois phases de l’européanisation : celle des fondations (du Traité de Rome jusqu’à l’adoption de l’Acte unique en 1986), puis la période de stabilisation et, depuis le traité de Maastricht, la phase de refondation avec l’élargissement et la rationalisation du domaine de l’Union. Paul Magnette identifie, ensuite, les trois ressorts – ou dynamiques – de l’européanisation, que sont les pressions extérieures, la convergence des idées et la médiation des institutions. Enfin, et contrairement aux politiques économiques pour lesquelles les États sont profondément affectés par l’intégration, l’auteur observe que les politiques institutionnelles, de sécurité et de l’identité constituent de réelles limites à l’européanisation. Le deuxième chapitre focalise l’attention du lecteur autour du contrôle, réciproque, qui s’exerce entre l’Union et ses États par le biais de dispositifs, souvent complexes, de répartitions des tâches (notamment le principe de subsidiarité), jouant à double sens et visant à prévenir ou à solutionner les conflits « verticaux » inhérents à tout système fédéral.
La deuxième partie permet de disséquer les mécanismes qui président au fonctionnement des institutions, selon un équilibre habile entre l’Union et les États. Ainsi, ce que l’on appelle la « méthode communautaire » consiste à combiner la négociation intergouvernementale et la décision supranationale. L’auteur se penche, d’abord séparément (chap. 3) puis de manière croisée (chap. 4), sur les trois pôles qui constituent la structure essentielle de l’Union. Il s’agit du « triangle institutionnel » formé par la Commission, le Conseil et le Parlement. Le juge n’agissant ni sur le même plan, ni sur le même mode, que les composantes de ce « triangle », le rôle politique de la Cour de justice fait l’objet d’une examen particulier. Le contrôle juridictionnel n’intervient pas, en effet, au coeur de la décision, mais en amont (prévention des conflits) et en aval (régulation des conflits). Il répond, en outre, à une logique formaliste assez inhabituelle dans les négociations politiques.
La nature du régime politique de l’Union européenne est abordée dans la dernière partie, intitulée « une démocratie anonyme ». L’auteur décline, ici, les thèmes du morcellement de la vie politique (chap. 6), puis de la perspective d’une « démocratie transnationale » (chap. 7). En ce qui concerne la morphologie très éclatée de la sphère publique européenne, elle tient, nous dit l’auteur, à la présence massive des groupes d’intérêts, mais aussi au caractère embryonnaire des partis politiques, ainsi qu’à la faible structuration des opinions publiques, qui restent formées dans le giron national et peinent à s’européaniser. Dans le septième et dernier chapitre, l’auteur se penche sur le « déficit démocratique » qui entame la légitimité de l’Union. Ainsi, l’affermissement régulier du Parlement n’a pas suffi à persuader du caractère foncièrement démocratique de l’Union, pas plus qu’il n’a contribué à européaniser les agendas politiques. De la même manière, tout le discours sur la « gouvernance démocratique » se heurte au fait que les citoyens se définissent, avant tout, au travers d’une identité nationale...
Au final, parce qu’il s’adresse à un large public et qu’il est facile d’accès, ce livre se révèle être une contribution utile et efficace à la compréhension des débats de fond sur la nature de l’Union européenne.